L'Echo de la Fabrique : 9 mars 1834 - Numéro 62

 

AU RÉDACTEUR.

Lyon, le 6 mars 1834.

Monsieur,

Le quartier St-Georges est habité spécialement par des ouvriers en soie ; la baisse des prix de façon et la suspension forcée des travaux ont rendu pénible la position du plus grand nombre. Les mutuellistes se sont empressés de leur prodiguer des secours qui, bientôt, ont du être insuffisans. Plusieurs citoyens, n?écoutant que leur zèle pour le bien public, n?ont pas refusé leur concours à cette bonne ?uvre ; une quête à domicile fut arrêtée dernièrement, et on députa, auprès de nous, des délégués qui nous invitèrent, au nom de nos concitoyens, à nous charger de cette honorable mission qu?il nous était, dès lors, impossible de refuser.

Nous étant présentés chez M. Lyonnet, épicier, montée des Epies, n. 2, nous fîmes connaître l?objet de notre visite. Aussitôt, sa femme nous adressa le refus le plus formel, ajoutant qu?elle croirait se compromettre si elle donnait la moindre chose. L?un de nous, le sieur Jomet, fit observer à cette dame que l?excès de la misère pouvait porter, malgré lui, l?homme nécessiteux à de fâcheuses extrémités, et qu?il était dans l?intérêt de tous d?éviter une si déplorable issue. Voici les propres expressions qui sortirent alors de la bouche du sieur Lyonnet : « Je m?attends bien d?un jour à l?autre à être pillé par? » Nous aurons la prudence de ne pas reproduire ici le mot irritant qu?employa le sieur Lyonnet. En sortant de chez ce dernier, et après avoir éprouvé aussi chez un autre individu une réception hostile (nous devons à la vérité de dire que partout ailleurs nous fûmes accueillis avec la plus flatteuse bienveillance), nous eûmes un instant l?intention de cesser nos démarches, et nous en fîmes part aux citoyens qui avaient eu la première idée de cette quête, les suppliant de ne donner aucune publicité aux propos imprudens qu?avaient laissé échapper les mariés Lyonnet. On nous fit facilement comprendre qu?il ne nous était guère possible de cacher les motifs de notre brusque retraite, et cette réflexion nous a seule déterminés à mener à fin notre mission.

Toutefois, notre colloque avec les mariés Lyonnet n?a pu rester un secret, car les moindres circonstances en ont été rapidement connues, grace, sans doute, aux indiscrétions du sieur Lyonnet. Si sa conduite lui a valu la sévère décision, prise par les ouvriers, de ne plus rien acheter dans son magasin, il n?est pas loyal de sa part de chercher à détourner l?orage en accusant deux de ses concitoyens, qui n?ont pas craint de descendre jusqu?à la prière pour désarmer l?indignation des ouvriers et obtenir l?oubli d?une si blâmable étourderie.

Le sieur Lyonnet a cédé à des conseils irréfléchis, en adressant au journal l?Echo de la Fabrique, une lettre où il se livre à un démenti téméraire, et où il taxe de calomnie et d?imposture un récit qu?il attribue à une prétendue jalousie d?étal. Cette dernière supposition est une injure gratuite, puisque la distance qui sépare les deux magasins des sieurs Lyonnet et Jomet, tous deux épiciers, rend la concurrence peu probable, pour ne pas dire impossible ; quant au sieur [10.2]Laplace, il a reçu souvent des voyageurs que lui adressaient les Lyonnet ; ce sont les seuls rapports qui aient existé entr?eux.

Certains d?avoir accompli un devoir d?humanité ; comment pourrions-nous être raisonnablement soupçonnés d?intentions malveillantes envers les Lyonnet dont le langage nous a autant surpris qu?affligés. Il ne doit imputer qu?à sa légèreté les suites fâcheuses d?une action que nous n?avons nullement provoquée, et dont nous aurions voulu, au contraire, étouffer jusqu?au souvenir. Attaqués par la voie de la presse, c?est devant nos concitoyens, et par la presse, que nous devons repousser la calomnie ; l?opinion publique nous jugera.

Agréez, etc.

LAPLACE fils, JOMET aîné.

 

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