L'Echo de la Fabrique : 15 janvier 1832 - Numéro 12... Eh bien ! oui1 ; rire par le temps qui court, il faudrait avoir, comme on dit, l’ame vendue, disait un chef d'atelier en sortant de son magasin à un ancien ami qui, plus heureux que lui, avait encore une pièce. Peut-on être gai, je vous le demande, quand on vient de vous dire d'une voix douce comme celle du guichetier de Roanne : Il n’y a plus d’ouvrage… vous avez fait de si beaux chefs-d’œuvre !… allez vous-en… Sans doute, reprit l'ami qui avait encore un pièce, notre position n'est pas du tout plaisante, et nous ne sommes point sur des lits de roses ; mais pourtant je crois que nous pouvons, dans notre misère, nous égayer de la sottise des uns, de la faiblesse des autres et de la manie de beaucoup. Par exemple, ne peut-on pas rire de ce pauvre M. G… qui veut que ses ouvriers renoncent à toucher l’Echo de la Fabrique, même du bout du doigt, ou paf ! plus d'ouvrage ?… Voilà certes de quoi se dérider le front au moins pendant cinq minutes ; et de cet autre M. G... qui publie partout qu'il paye au-dessus de défunt le tarif et qui, si on lui en fait compliment, répond que ce n'est pas vrai, qu'on l'insulte ou qu'on provoque à la haine. Ne riez-vous pas, je vous le demande, de ces hommes de la peur qui insultent, sans le vouloir, à la classe ouvrière, en arrêtant la marche de leur commerce par la crainte de l’émeute, comme s’ils n'avaient pas eu de [2.2]fortes preuves de la probité de cette classe ? A ceux-ci on ne doit qu'un rire de pitié pour leur peu de discernement. Peut-on réellement garder un ton sérieux en lisant une feuille de la république, de l'empire, et de la restauration, le Journal des Débats enfin, qui dit que les ouvriers, les prolétaires sont plus à craindre que les barbares des steppes de la Tartarie ? Le plus petit ouvrier en soie va se regarder de pied en cap, va mettre la main sur son cœur, et ne trouvant rien en lui de barbare, partira par un éclat de rire. Qui est celui qui ne rira pas en lisant les discussions d'une assemblée de fortes têtes, où l’on se dispute pendant trois jours sur le sens grammatical d'un mot, et où l’on n'a pu encore prendre deux ou trois heures pour discuter si dorénavant le peuple mangera du pain ou non ?… Peut-on enfin, sans pouffer à en mourir, lire l'éloquent discours du philantrope M. Fulchiron qui, sortant de s'arrondir à l'office ministériel, prétend qu'un ouvrier peut bien vivre en gagnant de 28 à 32 sous ?… Quand on entend un homme frais et vermeil, possédant une centaine de mille francs de revenus, parler ainsi du pauvre, ne doit-on pas rire, rire, et beaucoup rire, fusse même avec un peu de malice ?… Vous voyez, dit en terminant, l'homme qui avait encore une pièce, que nous pouvons nous venger du mépris et des sottises des grands, en riant de leur orgueil, de leurs faiblesses et de leurs injustices, et je crois que le meilleur moyen de s'en faire respecter, est de ne point aller pleurer auprès d'eux... Notes de base de page numériques:1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). |