L'Echo de la Fabrique : 15 janvier 1832 - Numéro 12

AU MÊME.

Monsieur,

Vous vous donnez beaucoup de peine pour parvenir à concilier les esprits ; vos colonnes sont pleines des [5.2]mots d'oubli du passé, de voile jeté sur les jours de malheurs, et par fois vous vous adressez à MM. les négocians avec tant de modération, que vraiment plus d'un ouvrier croit que certains articles de votre journal sortent d'un comptoir ou d'un magasin. Pour moi, Monsieur, je ne le crois pas ; je suis persuadé que c'est par amour pour le pays, et pour éviter les dissensions civiles, que vous écrivez ainsi ; mais savez-vous comment on répond à vos articles de paix et de concorde ? On dit que votre feuille est un journal incendiaire, qu'il provoque à la haine, et que le commerce ne reprendra pas, tant que les ouvriers vous liront. Eh ! pourquoi ? parce que vous avez la générosité de prendre la défense des ouvriers, parce que vous appelez les choses par leur vrai nom, sans vous embarrasser si cela blesse tel ou tel petit égoïste, et que vous dites avec le poète :

J'appelle un chat un chat, et Rollet un frippon.

J'ai cru devoir vous instruire de ce qui se passe à votre égard dans certains magasins, afin que vous en fassiez votre profit ; car souvent je me dis : Ce pauvre rédacteur de l'Echo ! il épuise sa logique pour ramener les esprits : eh bien ! il parle dans le désert. Dieu sait comme on le traite?

Ah ! Monsieur, si vous aviez vu, comme moi, froisser, déchirer en lambeaux votre feuille, à propos d'une séance du conseil des prud'hommes, où vous aviez eu la hardiesse de dire que le conseil avait condamné M. un tel à payer 50 francs à l'ouvrier, vous seriez vraiment dégoûté de faire de la modération : pourtant, comme vous êtes l'organe fidèle des ouvriers de Lyon, et que ces ouvriers ont le c?ur vraiment généreux, je vous conseille de continuer votre mission de paix et d'oubli, en frappant toutefois de votre fouet tous ces petits nains commerciaux qui clabaudent contre votre estimable journal, dont le seul tort est de démasquer leurs petites man?uvres.

Pour moi, Monsieur, je vous sais gré de la part honorable que vous accordez aux négocians honnêtes qui ne spéculent point sur nos misères ; car il ne faut pas confondre le baume avec la ciguë.

Agréez, etc.

Un canut, votre abonné.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique