L'Echo de la Fabrique : 6 avril 1834 - Numéro 66

Littérature.le temps.

Fugit irreparabile tempus.

Jeté par l’Eternel sur un point de la terre,
Homme, fils du néant, j’interroge des yeux
Et les monts et les mers, et la voûte des cieux,
Et les moindres objets que la nature enserre.
A peine ai-je sur eux porté quelques regards
Qu’ils semblent fuir de toutes parts,
Poussés par une main terrible :
Saisi moi-même, alors, le cœur transi d’effroi,
Je cède à la force invincible
Dont le rapide élan m’entraîne malgré moi.

Quel est ce mouvement, cette action puissante,
A qui rien ici-bas ne saurait résister,
Qui fait naître et mourir, tomber et subsister
Au sein des élémens l’animal et la plante ?
Qui, des astres divers précipitant le cours,
Mesure les nuits et les jours
Par le plus inconstant partage ?
Quel est cet être, enfin, qui n’a point de repos
Qu’il n’ait dévoré son ouvrage,
Et plongé l’univers dans son premier chaos ?

Mais lorsqu’à le chercher ma vue au loin s’égare,
Le Temps, le Temps lui-même a déjà fendu l’air,
Et sur un char ailé, glissant comme l’éclair,
Me laisse épouvanté de sa fuite barbare.
Ainsi, toujours fidèle à sa mobilité,
Le Temps avec rapidité
S’élance et dévore l’espace :
Implacable ennemi, tyran fier et jaloux,
Partout il imprime sa trace,
Et proscrit l’univers dans son vaste courroux.

Eh ! que sont devenus ces peuples, ces empires
Qui pesaient sur la terre aux jours de leur grandeur ?
Que reste-t-il, hélas ! de leur vaine splendeur ?
Le Temps les a détruits… O terre, tu respires !
Sous le niveau fatal pêle-mêle entassés,
Leurs débris confus, dispersés
Ne sont qu’une cendre mouvante ;
Et ceux qu’éclaire encor l’astre brillant du jour
Tomberont sous la faulx tranchante
Du temps qui les fait vivre et périr tour-à-tour.

Qui pourrait nous sauver de ses affreux ravages ?
Sa pitié, même, encor nous réserve l’affront
Que son doigt ennemi grave sur notre front,
Ou s’impriment des ans les terribles outrages.
Beauté, grâces, jeunesse, au déclin d’un seul jour,
D’une aurore, hélas ! sans retour,
Ont vu s’évanouir leurs charmes :
Le doux parfum des fleurs s’exhale en un matin ;
Malgré nos cris, malgré nos larmes,
Naître, changer, mourir, c’est le commun destin.

Mais que dis-je ? au désert, d’immenses pyramides
Du temps qui les créa semblent braver l’effort :
Ces sombres monumens, asiles de la mort,
Triompheraient-ils seuls de ses mains parricides ?
Ah ! si leurs vastes flancs ne sont pas attaqués,
[7.1]Voyez, de leurs sommets tronqués,
Descendre une antique poussière :
Chaque siècle en passant, heurte, lève sans bruit
Une pierre encore, une pierre,
L’édifice ébranlé croule et tout est détruit.

O Temps ! cruel auteur de notre long supplice,
Jusques à quand sur nous pèsera ton pouvoir !
Victimes du trépas, n’avons-nous plus l’espoir
D’échapper à la mort, ta fatale complice ?
Ah ! j’en crois cet instinct, ce rayon de clarté,
Que Dieu lui-même en sa bonté
Daigna mettre au fond de mon ame :
O temps ! tu dois finir et la mort avec toi ;
C’est la justice qui réclame
Pour vous l’affreux néant, l’éternité pour moi !

Oui j’entrevois le jour de sublime espérance
Où le Dieu trois fois saint, apaisé pour jamais,
Rendra, sans repentir, le bonheur et la paix
A nos cœurs trop long-temps brisés par la souffrance.
Quand ce Dieu, tout amour, renouvelant les cieux,
Viendra, triomphant, glorieux,
S’unir à notre ame ravie !
Le Temps cessera d’être, et la mort à son tour,
Absorbée, enfin, par la vie,
N’aura pas même un nom dans l’éternel séjour.

Adrien beuque.

 

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