L'Echo de la Fabrique : 27 avril 1834 - Numéro 67

A nos Lecteurs.

Les poursuites dirigées par M. le procureur du roi contre notre journal, dont sept numéros successifs ont été, comme nos lecteurs se le rappellent, incriminés sans que l?assignation signifiée à notre gérant prît la peine d?indiquer quels étaient ceux de nos articles qui avaient pu motiver les excessives rigueurs de ce magistrat, ont sans contredit entouré de bien des difficultés la publication de notre feuille.

Pour nous, qui, déjà nous l?avons dit, sommes intimement convaincus de nous être renfermés dans les bornes légales que nous a tracées la loi, nous avons cru voir dans ces poursuites l?intention évidente d?arracher aux travailleurs cette tribune contre laquelle sont venues se briser bien des injustices, et surtout les ridicules vanteries débitées chaque jour par nos très hauts et très puissans seigneurs et maîtres sur le bienheureux régime de la libre concurrence, de la liberté illimitée du commerce !

Aujourd?hui nous devrions jeter notre plume et laisser au temps le soin de faire triompher la cause des travailleurs, de l?humanité, car nous avons peu d?argent à jeter à la gueule de ce monstre affamé qu?on appelle le fisc, et sommes fort peu partisans de l?excellent régime des amendes. ? Mais nous avons fait appel à nos mandataires, et, nous devons le dire à tous (voire même à Messieurs du Parquet), nous les avons trouvés prêts à lutter avec nous contre toutes tentatives qui seraient faites injustement pour arracher aux classes travailleuses l?importun organe de leurs droits, de leurs besoins, de leurs maux et de leurs justes plaintes. ? Ainsi donc nous reprenons le cours [1.2]de nos publications, et nous espérons que M. le procureur du roi voudra bien régler au plus tôt le compte énorme qu?il nous a ouvert : c?est son devoir, et il comprendra qu?un plus long retard apporté à son accomplissement serait une criante injustice ; et il est magistrat !!!

Il nous importe, à nous, que notre procès soit vidé, parce qu?il nous importe de savoir, ce qu?en conscience nous ignorons, quelles sont les infractions dont nous nous sommes rendus coupables. ? Il nous importe de savoir, d?une manière claire et précise, ce qui est du domaine de la politique, ce qui est du nôtre. Enfin, il nous importe de savoir quelle part nous sera faite dans la discussion des intérêts matériels et des besoins sociaux.

Maintenant dirons-nous à nos lecteurs la part qu?ont apportée dans l?interruption de la publication de notre feuille les sanglantes et douloureuses journées d?avril ?

Dirons-nous les faits qui ont fait éclater soudainement cette guerre affreuse ; ceux qui l?ont marquée d?un cachet horriblement épouvantable, et iront, vengeurs impitoyables de l?humanité outragée, réclamer leur place dans l?histoire de notre belle et malheureuse France !

Dirons-nous que, l?ame froissée et horriblement tourmentée de cette guerre où citoyens et soldats ont été offerts en holocauste à l?infernal génie des guerres civiles, dirons-nous que nous avons pleuré sur tant de vies froidement dépensées au nom de la SOCIÉTÉ, de L?ORDRE et de la CIVILISATION ! ? qu?au prix de notre existence tout entière nous aurions voulu repousser loin du pays, loin de notre cité cet épouvantable fléau qui nous offre encore aujourd?hui l?aspect d?une ville vaincue et laissée à la merci du vainqueur !?

Plutôt faisons silence : aux yeux de certains hommes, qui pourtant ont les mêmes raisons que nous pour gémir des événemens qui viennent de s?accomplir, la douleur chez nous c?est de l?hypocrisie ; et d?ailleurs nous les voyons encore, regrettant que la tête de l?hydre n?ait pas été tranchée d?un seul coup ! que les esprits à théories, même pacifiques, n?aient pas été ensevelis sous les débris entassés par le canon !...

Oh ! qu?ils nous crachent l?insulte au visage et lancent sur nous le fiel de leurs honteuses passions ! nous [2.1]n?imiterons par leur exemple, et réservant à un plus noble emploi nos forces et notre courage, nous marcherons luttant contre nos prévisions pour conjurer la tempête dont le présent qui meurt a menacé l?avenir, et si quelques fruits viennent un jour (nous l?espérons) payer nos faibles efforts, ils nous vengeront assez, car chez nous jamais ne viendront s?asseoir la haine et la proscription. ? Il nous faudrait être bien vils et bien méprisables, nous qui nous sommes faits les apôtres de la paix et de l?harmonie entre tous, pour demander au canon la destruction des vieilles idées que nous combattons : une telle honte ne sera jamais imprimée sur nos fronts.

 

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