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16 novembre 1833 - Numéro 5
 

 




 
 
     
Des Coalitions.

[1.1]Cette question est celle, nous ne disons pas du moment, mais bien de l’époque. Elle prédomine toutes les autres, elle les absorbe ; on va comprendre pourquoi. C’est la cause de l’humanité toujours pendante au tribunal du progrès, et qui se plaide sous une forme nouvelle. Nous emprunterons à ce sujet les réflexions suivantes du Messager des Chambres, journal d’opposition modérée : « Il importe, dit le rédacteur, de ne pas se méprendre sur la portée de ce mouvement général qui s’opère parmi les travailleurs. S’il était produit par un long chômage, par l’insuffisance comparative nettement établie des salaires et des besoins de la vie, on pourrait en attendre le remède d’un accident heureux. Mais telle n’est point la cause véritable de la situation des ouvriers en face des maîtres, le travail ne manque point, et sa rétribution n’est point absolument insuffisante. Les coalitions, à les considérer sous leur point de vue rationnel, sont un symptôme éclatant du besoin et de la volonté d’ascension des classes inférieures. Ce n’est plus assez pour elles de ne pas mourir de faim, de ne plus être exposées aux maltraitemens matériels de leurs supérieurs ; elles veulent compter pour quelque chose dans l’ordre politique, y prendre enfin une importance analogue à celles qu’elles ont dans l’ordre social » (Voyez le Messager du 9 novembre).

A cent lieues de distance, et avant que cet article remarquable eût paru, M. Anselme Petetin répondant au Courrier de Lyon, a envisagé de la même manière la question des coalitions. Le journal ministériel croyait trouver un argument décisif contre ce qu’il appelait une manie de coalition, dans l’état de la classe ouvrière qu’il déclarait prospère, comparativement aux souffrances qu’elle avait endurées à d’autres époques, et notamment sous l’empire, et il en concluait que l’esprit d’anarchie seul poussait cette classe dans une voie contraire à ses véritables intérêts ; en un mot, il voyait bien la coalition flagrante, mais il en recherchait la cause sans la trouver. Selon lui, c’était un effet sans cause. Le rédacteur du Précurseur lui répondit avec raison et franchise, à peu près en ces termes (nous n’avons pas son article sous les yeux) : « La classe ouvrière, plus instruite aujourd’hui, prévoit la misère à venir ; et c’est justement parce qu’elle peut faire présentement quelques sacrifices pécuniaires, qu’elle se hâte de se coaliser, de s’associer contre les malheurs futurs. Sous l’empire, l’ouvrier qui n’avait pas de pain allait mendier ; aujourd’hui, plus soucieux de la dignité d’homme, il mourrait plutôt de faim, et l’on ne se résoud pas facilement à mourir. Pensez-vous faire un crime aux prolétaires de leurs prévisions ? Ils ont, continuait le Précurseur, je le veux bien, de quoi satisfaire aux besoins [1.2]matériels de l’existence ; mais il est pour eux de nouveaux besoins à satisfaire, des besoins intellectuels, et ceux-ci sont aussi légitimes que les autres, etc. » Comme on l’aperçoit, ces deux opinions sont identiques, et le Messager les a formulées nettement, en disant que les coalitions étaient un symptôme éclatant du besoin d’ascension des classes inférieures. Nous partageons cette opinion, mais nous croyons devoir modifier celle du Messager par une autre de la Tribune, que le Précurseur a aussi recueillie, et de laquelle il résulte que la misère doit aussi être comptée au nombre des causes qui produisent les coalitions dont il s’agit. En effet, la Tribune établit, d’une manière péremptoire, que les salaires ont augmenté depuis le 17me siècle, mais seulement d’une valeur inférieure de moitié à l’augmentation qu’ont subie les objets de première nécessité, depuis la même époque. Nous donnerons, dans un prochain numéro, l’article de la Tribune qui répond par des chiffres aux objections de l’aristocratie financière contre la classe laborieuse. Il nous suffit maintenant de bien constater notre point de départ. Ainsi, dès à présent, et avant de nous occuper de la comparaison du salaire et des besoins matériels de la vie, nous posons en fait que la question des coalitions n’est autre que celle de l’émancipation physique et morale de la classe prolétaire. Considérée sous ce point de vue élevé, cette question mérite donc toute l’attention et du gouvernement et de la société. Que demandent les ouvriers ?  Augmentation de salaire ; 2° diminution des heures de travail ; 3° concurrence avec les maîtres, afin de partager les bénéfices de la production. L’augmentation de salaire est la demande la plus générale, parce qu’elle résume en quelque sorte les deux autres. La diminution des heures de travail est la demande particulière de certaines professions insalubres ou pénibles. La concurrence avec les maîtres n’est encore qu’un essai, une idée que l’expérience mûrira ; elle est propre à certaines industries dont les travailleurs ont compris qu’ils accomplissaient eux-mêmes, sauf la fourniture de la matière première, la totalité de la fabrication. Un ouvrier tailleur, un bottier, auxquels on remet un habit, une paire de bottes à confectionner, savent de suite quel bénéfice le chef d’atelier fera sur leur main-d’œuvre ; ils ont pu trouver sa part de bénéfice trop forte, et l’idée de lui faire concurrence a dû immédiatement surgir en eux. Il ne saurait en être de même d’un garçon boulanger, d’un compagnon de fabrique d’étoffes de soie, d’un ouvrier mineur, d’un doreur, etc.

Qu’on considère, ensemble ou séparément, ces trois motifs des coalitions, on verra qu’ils ont pour pivot le besoin qu’éprouve la classe ouvrière de s’élever au niveau de celle qui lui est immédiatement supérieure, comme cette dernière s’est elle-même élevée sur les débris [2.1]des classes qui la primaient. Nous avons donc raison de penser et de dire que c’est encore aujourd’hui que sous d’autres noms se plaide la cause du genre humain. Les esclaves sont devenus de simples serfs, qui, eux aussi, avaient les besoins matériels de la vie, et ne s’en sont pas, contentés ; les serfs sont devenus prolétaires. Le mouvement d’ascension doit-il s’arrêter ? Le croire serait une erreur manifeste ; le vouloir, c’est bien la pensée de quelques-uns, mais le pouvoir ! Il n’a été donné à personne de ne pas mourir, ni à aucune société de rester constamment la même, à aucune aristocratie de survivre à son âge.

Qu’oppose donc la société actuelle à ce mouvement d’ascension, si ce n’est quelques articles d’un code fait pour d’autres temps, pour d’autres hommes, pour des mœurs différentes ? Sans doute la loi est respectable ; mais que fait la loi sans les mœurs ? Quid leges sine moribius ? Avons-nous besoin de prouver que la loi, qui proscrit les coalitions, n’est plus en rapport avec nos mœurs ? On pourrait bien le croire inutile ; cependant nous entreprendrons cette discussion : ce sera le sujet d’un prochain article.

Marius Ch.....

BANQUET

des mutuellistes de lyon et st-etienne, a givors.

Dimanche dernier, les chefs d’atelier mutuellistes de Lyon et de St-Etienne se sont réunis à Givors dans l’auberge de Joux, surnommé l’hercule, à l’effet de resserrer, par un banqueti, les liens de la fraternité existant entr’eux. Cette réunion se composait d’environ 80 Lyonnais et 60 Stephanois. Le plus grand ordre, la cordialité la plus franche ont constamment régné, dans cette fête industrielle. Divers toasts et discours ont été prononcés par MM. Bernard, gérant de l’Echo de la Fabrique, Dufour, Morel, Charnier, etc. Les réponses improvisées des Stéphanois ont fait une vive sensation. La chanson le Mutuelliste, par M. Rémond fils, insérée dans le dernier N° de l’Echo de la Fabrique, a été chantée par M. Bernard et applaudie par l’assemblée.

Les habitans de Givors, peu accoutumés à une aussi grande affluence, en conserveront long-temps le souvenirii.

Quoique nous ne soyons pas l’organe spécial de la société des Mutuellistes, nous croyons devoir anticiper sur le récit que l’Echo de la Fabrique fera sans doute de cette fête, et signaler, à la classe ouvrière en général, le bien qui doit résulter de ces réunions fraternelles. Les potentats ont les leurs, pourquoi les peuples ne songeraient-ils pas à les imiter ? Le banquet de Givors a été, dit-on, le congrès de Munchen-Graetz1 des Mutuellistes.


iLe Réparateur est le seul journal de Lyon qui ait eu connaissance de ce banquet, ou du moins qui l’ait annoncé.
ii. Le repas, qui était au prix de 2 fr. 50 c. par personne, a été servi par M. Joux , avec une méthode et une abondance qui feraient honneur au traiteur d’une grande ville. Un bon dîner ne gâte jamais rien.

Au Rédacteur.

Quoique renfermé dans le coin de mon ermitage, j’ai lu votre estimable journal ; votre tâche est grande et pénible, ne vous le dissimulez pas : vous rencontrerez bien des obstacles, mais je ne doute pas que votre sagacité et votre persévérance ne viennent à bout de les surmonter. Néanmoins je pense que vous ne trouverez pas mauvais qu’un pauvre solitaire vienne joindre ses faibles efforts aux vôtres pour coopérer au bien. Je vais donc vous rapporter un passage que j’ai lu dans la Vie des Saints. L’époque, j’en conviens, est un peu reculée. Voici ce passage tel que je l’ai lu :

Un grand saint, qui se mortifiait tant qu’il en était olive, ce qui faisait qu’on l’appelait Saint-Olive, et possédant l’art de fabriquer des boulettes (car il s’en est fait dans tous les temps), occupait beaucoup de travailleurs, lesquels supportaient avec résignation les pénitences plus ou moins rudes qui leur étaient infligées ; [2.2]lorsque tout-à-coup l’esprit malin, cherchant sans doute à ébranler la foi de ce grand homme, suscita contre lui une infinité de damnés travailleurs qui eurent l’audace de se plaindre d’être mal payés, et portèrent le désordre parmi leurs confrères qu’occupait ce grand saint ; et, à l’exception pourtant de quelques-uns, tous se révoltèrent contre lui et jurèrent de le quitter.

Grande fut la douleur du petit nombre resté fidèle, en voyant leur patron sur le point d’être abandonné. En vain protestèrent-ils contre les satanés travailleurs, les choses marchaient toujours. Ils s’adressèrent alors au grand Saint-Bernard, qui, par ses ferventes prières, obtint que Dieu secourût son collègue alors absent. Dieu cédant aux importunités du grand Saint-Bernard, envoya une idée lumineuse à un des disciples de saint-Olive. Ce disciple convie à un déjeûner ses travailleurs restés fidèles. L’histoire dit qu’on y remarquait le compère G…, le complaisant V…, le paisible F…, le chaleureux M…, et bien d’autres dont les noms ont échappé à l’historien. Tous, en buvant le pétillant Champagne, jurèrent de mourir ou de ramener leurs confrères égarés. En effet, à force de réunions, de protestations, ils en ramenèrent plusieurs, qui, oubliant leurs sermens, rentrèrent dans la maison du saint homme, et les autres furent anathématisés.

Je conseille donc à MM. les négocians de nos jours, qui se trouvent dans la même position où se trouvait alors le grand saint-Olive, d’essayer le même moyen. Peut-être ce palliatif ferait-il cesser la mésintelligence qui règne entre eux et les travailleurs ; car il paraît, d’après ce récit, qu’un déjeûner a bien de la vertu. Un penseur moderne n’a-t-il pas dit que la fourchette était le sceptre du monde1?

Veuillez, M. le rédacteur, etc.

le solitaire du mont sauvage.

conseil des prud’hommes.

Séance du jeudi 14 novembre 1833.

L’affaire de Egliz et Girard, négocians, contre Carrier Fabric., qui a occupé, au mois de septembre 1832, plusieurs fois le conseil, a reparu de nouveau. Les sieurs Egliz et Girard ne voulant pas se tenir au jugement prononcé, la cause est renvoyée à huitaine.

Guillemain, fabricant, contre Luquin frères, négocians. Guillemain demande un défraiement sur deux métiers de schals à lisse que Luquin frères lui mettent à bas. Ceux-ci prétendent que c’est à raison de la mauvaise fabrication. Le conseil renvoie les parties par devant MM. Reverchon et Perret.

André, fabricant, contre Servant et Ogier. Cette cause avait été conciliée à la séance du 8 nov. Le sieur André revient et déclare vouloir une indemnité. De plus, il dit qu’il y a des erreurs sur son livre, tant sur le compte des matières que sur celui de l’argent. Les parties sont renvoyées par devant MM. Bender et Bourdon, pour le tout.

Hivernon, fabricant, contre Joubert apprenti. Un membre du conseil avait été visiter l’atelier et avait fixé à l’apprenti une tâche de demi-aune sur un velours. L’apprenti s’est arriéré depuis le 15 juin de 14 aunes. Le conseil le condamne à les payer.

Guillon, apprenti, contre Audibert, fabricant. Le premier réclame contre des tâches trop fortes. Les sieurs Labory et Perret sont délégués pour aller visiter l’étoffe et fixer les tâches.

Rivière, négociant, contre Nouillé, fabricant. Rivière avait avancé un métier, il réclame qu’il lui soit rendu, attendu qu’il cesse de donner de l’ouvrage. Nouillé observe que c’est lui qui a été cherché le métier, qu’il l’a fait ponteler à ses frais, et qu’il n’a fait que peu d’ouvrage ; ce qui fait qu’il ne peut pas payer pour le lui faire reporter. Le conseil condamne Rivière à faire enlever le métier à ses frais, et renvoie les parties par devant MM. Goujon et Bourdon pour leur réglement de compte.

AU RÉDACTEUR.

Je crois devoir autant dans l’intérêt public que dans le mien particulier, dire un mot de mon affaire avec M. Michel.

En 1827, j’ai commencé de travailler pour la maison Michel et Giraud ; [3.1]en 1829, M. Giraud quitta son associé. M. Michel continua le commerce, et je continuai de travailler pour lui. Vous connaissez les usages de la fabrique ; les chefs d’atelier ont des livres sur lesquels on marque, soit le prix des étoffes et la matière première qu’on leur confie, soit le compte de l’argent qu’on leur remet, soit enfin les conventions qu’on leur impose souvent à leur insçu. Pour ne pas sortir de la question, je me contenterai de vous dire que le 12 novembre 1831, M. Michel m’ouvrit un nouveau livre que j’ai en ma possession, attendu qu’il est le dernier. Ce livre porte à la date précisée au compte d’argent : solde d’ancien livre 119 f. 75 c. ; à la date du 3 mars, se trouvent ces mots étranges : solde du compte d’argent de Michel et Giraud frères, d’accord d’être retenus à la huitième, 154 f. 50. A la fin d’août 1832, j’ai cessé de travailler pour M. Michel. Naturel de régler nos comptes, et c’est alors seulement que je m’aperçus de cette somme de 154 f. 50 c. J’en réclamai comme de raison le retranchement, et je demandai en même temps les indemnités qui m’étaient dues pour montages de métiers tirelles. C’est là tout ce que novembre a produit ; faut-il au moins ne pas le laisser perdre. M. Michel réclamait, lui, 255 f. 55 c. En retranchant les 154 f. 50 c. dont s’agit, il restait créancier de 101 f. 55 c. ; comptez les indemnités qui m’étaient dues, et dont je fournirai l’état, j’étais créancier au lieu de débiteur. J’eus cependant la faiblesse de souscrire un effet de 50 f., et je pensais bien qu’en acquittant ce bon, tout était terminé entre nous. M. Michel est resté long-temps sans venir le réclamer. Je l’avais souscrit avec mauvaise humeur ; avait-il la pudeur de renoncer à une dette aussi peu vraie ? Il parait que cette idée n’était pas la sienne, ou que le temps l’a bientôt effacée. Il est venu au conseil des prud’hommes, qu’il m’avait cependant déclaré redouter beaucoup (il est vrai que c’était au commencement de son installation), demander le payement de 255 f. 55 c., solde de son compte d’argent. Renvoyés devant arbitres : je me suis récrié et ai demandé s’il n’avait pas un billet de 50 f. Etourdi par ma brusque apostrophe, M. Michel avoua. Vous n’en avez pas besoin, lui observa complaisamment M. Labory ; mais j’insistai ; la parole était lâchée, et je dois rendre à M. Gamot cette justice qu’il se joignit franchement à moi pour exiger la production de ce billet. Je croyais mon procès sûr ; eh ! bien, le conseil a annulé ce billet et ordonné que nous compterions à nouveau. En vérité, je ne conçois pas cette jurisprudence.

J’ai paru devant les prud’hommes arbitres, ils m’ont déclaré créancier de 125 f., somme équivalente au plus à ce que j’ai perdu pour frais de montages, déduction faite de mes façons, d’où résulterait que j’aurais travaillé gratis. Ils n’ont pas voulu s’expliquer sur le maintien de la somme de 154 f. 50 c. que je ne dois nullement, et m’ont renvoyé au conseil.

Je vous le demande, est-il possible que si j’étais débiteur de la maison de commerce Michel et Giraud, Michel liquidateur n’ait pas fait suivre sur le compte d’argent cette somme, au lieu de la garder in petto, et de me la porter en compte trois ans après ? Je livre cette question à tout homme de bonne foi.

Quant au quantum de l’indemnité à moi due, n’est-il pas souverainement injuste qu’on veuille la soumettre à un arbitrage, lorsque la preuve écrite d’un réglement fait résulte d’un billet ? Si j’avais dû davantage, pourquoi n’aurais-je souscrit qu’un billet de 50 f. ? Je livre encore cette question aux hommes de bonne foi.

J’attends le jugement du conseil, il doit revenir sur une décision que rien ne justifie en fait ni en droit. Ma défense est simple, je me borne à dire : Je dois 50 f. et rien autre, je suis prêt à les payer à M. Michel contre la remise du billet que je lui ai souscrit, lorsque cessant de travailler pour sa maison, nous avons réglé nos comptes.

J’ai l’honneur, etc.

carrier,
Fabricant, rue de la Terrasse.

Note du rédacteur. – Si les faits que M. Carrier expose sont exacts, et nous avons tout lieu de le croire, nous avouons en toute humilité que nous ne concevons rien aux décisions des prud’hommes. Annuler un titre écrit afin de faire revivre d’anciennes créances qu’il a eu précisément pour but de régler définitivement, est un acte pour lequel la jurisprudence n’a pas de nom. Le vol, la fraude, la cause illicite ou l’absence de cause, et la violence, sont les seuls moyens en vertu desquels on puisse faire annuler un billet. Michel n’en invoque aucun ; dès lors le billet que Carrier lui a souscrit, est valable ; il ne peut être annulé. Ce point reconnu constant, quel doit être l’effet de ce même billet ? C’est nécessairement (l’usage et la loi sont d’accord sur ce point), de régler, de solder le compte des parties. On ne saurait lui attribuer une autre cause, et même cela résulte des circonstances de l’affaire. De quoi se compose la créance de Michel ? D’une somme de 154 f. 50 c., laquelle, par son étrangeté, par son inscription tardive, donne le droit de suspecter la sincérité. En retranchant cette somme, il reste 101 f. 5 c., somme insuffisante pour faire face aux indemnités dues à Carrier, puisque les arbitres lui allouent aujourd’hui 125 f. Est-il donc étonnant que Michel se soit fait justice et ait volontairement réduit à 50 f. une créance qui devait en vérité peser sur sa conscience ? Espérons donc [3.2]que le conseil reviendra sur une décision erronnée, et évitera au tribunal de commerce la nécessité de réformer un jugement qui ne saurait soutenir une décision sérieuse.

Le Journal du Commerce de Paris propose, pour arriver à résoudre d’une manière pacifique les différens survenus entre les maîtres et ouvriers de Paris et d’autres villes, d’y établir un conseil de Prud’hommes. Cette mesure peut être utile ; mais il commet une erreur en citant pour exemple qu’à Lyon, pendant l’année 1828, sur 3,362 affaires, 22 seulement n’ont pas été transigées. A cette époque, le conseil ne faisait pas rédiger les jugemens qu’il rendait, il se contentait d’en garder note. Cet abus a cessé dans le mois de février dernier par suite d’une lettre que M. Chastaing, alors rédacteur en chef de l’Echo de la Fabrique, prit sur lui d’écrire à M. Fraisse, directeur de l’enregistrement (Voyez la lettre de ce dernier, Echo de la Fabrique, n. 9, 3 mars 1833). D’ailleurs il ne faut pas trop décorer du nom de transactions des décisions qui étaient plutôt imposées aux ouvriers que consenties par eux, et qui ont, en définitif, amené la misére de ces derniers, et par suite la catastrophe de novembre 1831.

Nous avons reçu, contre le système d’échange, une lettre que nous insérerons dans le prochain numéro.

Lexicologie.

monsieur. – sire. – messire. – cité. – citoyen.

(Suite et fin).

Après la victoire du 10 août 1792, une Convention nationale fut rassemblée pour juger les crimes du château. Le 22 septembre, jour de leur première séance, les mandataires du peuple, légalement élus par les assemblées primaires, prononcèrent l’abolition de la royauté en France, et instituèrent la république. Peu de temps après, la Convention supprima la qualification de monsieur, et la remplaça par celle de citoyen. Cette dernière demeura la seule légale, la seule en usage dans tous les actes civils et administratifs jusqu’en l’an onze de la république. A cette époque, Bonaparte, qui avait déja conçu le coupable projet de rétablir la monarchie à son profit, ordonna de remplacer la qualification de citoyen par le vieux monsieur, en parlant aux fonctionnaires, ce qui était un acheminement vers les monseigneurs, les comtes, les ducs et les barons, qu’il nous rendit par la grace de Dieu en l’an 13, en s’attribuant à lui-même les titres de sire et de majesté.

En effet, dans un pays où les hommes deviennent sujets d’un autre homme, il n’y a plus de citoyens, il n’y a qu’un maître et des esclaves de différens ordres, et des esclaves ne sont pas des citoyens. Ceci deviendra plus intelligible par l’explication un peu approfondie des mots cité, citoyen.

Les anciens donnaient le titre de citoyens (cives) à tous les membres qui composaient la cité (civitas), parce que, ainsi que l’a dit J.-J. Rousseau, les maisons font la ville, mais les citoyens font la cité. La cité, ainsi conçue, c’est l’Etat. Une cité est une association d’hommes égaux en droits, qui consentent à vivre sous une même loi. Les affaires de la cité sont les affaires publiques, d’où la république.

Les anciens Hébreux, comme l’a fort bien montré M. Salvador1, formaient une république, car l’égalité était le principe fondamental de leur association (loi de Moïse, p. 10). L’unité nationale, l’être peuple, y était désigné sous le nom d’Israel (p. 6) ; mais la communauté, considérée sous son rapport de cité, s’appelait Qahal, et la congrégation rassemblée pour quelqu’objet d’intérêt public, Hadath Israel (Exode xii, 6) ; et l’on voit par là que la qualification d’enfans d’Israël revenait chez eux à celle de citoyens d’Israël.

La communauté chrétienne fondée par Jésus-Christ, ayant également l’égalité pour base, formait une cité que l’on désignait aussi par un collectif. L’Eglise (Ekklesia) ne signifiait d’abord que l’assemblée de la communauté [4.1]chrétienne, et ce n’est que par métonymie, c’est-à-dire, en prenant le contenant pour le contenu, que l’on a donné le nom d’église au bâtiment dans lequel se réunissent les membres de cette cité.

C’était aussi par abus que, chez les Grecs, le mot polis désignait une ville ; sa première signification était celle de cité, c’est-à-dire, le corps politique des citoyens formant la république. Il est facile de juger que ce mot est un collectif, en le comparant à l’adjectif polus, qui signifie beaucoup, nombreux. Et d’ailleurs Thucydide ne laisse aucun doute à cet égard ; car il dit positivement : « La ville (polis) consiste dans les hommes et non dans les murailles. » Il suit de là que le mot politès correspond directement au civis des Latins, et par conséquent à notre citoyen.

Les Athéniens n’accordaient pas si facilement la qualité de citoyen aux étrangers, que les Romains ; mais ils négligeaient en cela le très grand avantage de s’accroître de tous ceux qui l’ambitionnaient. Il ne faut pas croire néanmoins que les Romains n’en aient pas fait le même cas que les Athéniens. Voltaire semble avoir pris à tâche de nous prouver le contraire dans sa tragédie de Brutus2.

[…]
Je vois cette ambassade, au nom des souverains,
Comme un premier hommage aux citoyens romains.
(Acte I, scène I).

brutus, a arons.
[…] Arrêtez ; sachez qu’il faut qu’on nomme
Avec plus de respect les citoyens de Rome.
(Scène II).

brutus à son fils.
Sois toujours un héros ; sois plus, sois citoyen.
(Acte IV, scène IV.)

Ces recherches suffiraient sans doute pour convaincre le commun des lecteurs, que la qualification de citoyen est bien plus honorable que celle de monsieur ; mais comme je veux obliger les aristocrates eux-mêmes, s’entend ceux qui n’ont pas renoncé tout-à-fait au sens commun, à convenir de cette vérité, j’ajouterai encore quelques témoignages qui seront, je l’espère, d’un grand poids pour eux.

Saint Paul, soumis à la flagellation par le tribun, n’a qu’à déclarer qu’il est citoyen romain pour arrêter l’exécution, et le tribun, surpris en en apprenant la nouvelle, lui déclara que lui-même avait acquis cette qualité à grand prix d’argent (Actes xxii).

Saint Augustin n’a point hésité à donner le nom de cité de Dieu au plus beau de ses ouvrages en faveur du christianisme ; dès-lors, il a qualifié de citoyens tous les membres de la société chrétiennei. Et le grand évêque d’Hippone suivait en cela l’exemple de saint Jean, qui, dans son Apocalypse, appelle la Jérusalem céleste, où doivent résider les justes, une cité sainte (chap. 21, 22.)

Plusieurs hymnes que l’on chante à l’église, parlent des citoyens du ciel. Après cela, tâchez de rabaisser la qualification de citoyen au niveau de l’insipide monsieur.

tettard.


iSaint Augustin fonda à Hippone une communauté de personnes qui ne possédait rien en propre. C’était une petite république.

Nouvelles générales.

PARIS. – Les maîtres tailleurs, coalisés à l’instar de leurs ouvriers, en apprenant l’arrestation de quelques-uns de ces derniers, ont signé, au nombre de plus de 60, une pétition pour demander leur élargissement.

– Les ouvriers compositeurs se sont réunis le 10 de ce mois, et demandent une augmentation de salaire. L’un d’eux (Jules Leroux1) a proposé l’établissement d’une grande imprimerie exploitée par les ouvriers seuls.

– Il manquait à la Tribune, le 10 nov., pour compléter son amende de 22,076 fr. 85 c., la somme de 4,634 fr. 62 c.

[4.2]– M. Abel Transon a ouvert le 4 nov. dernier, quai Malaquais, n. 1, dans le local de la Société de civilisation, un cours de science sociale dans lequel il expliquera la théorie de Fourrier.

– M. Lionne, gérant de la Tribune, vient d’être condamné, le 12 nov., par la cour d’assises de Paris, à 24,000 f. d’amende et un an de prison.

– L’émeute de St-Amand est appaisée.

Lyon.

Dimanche dernier, à 9 heures et 1/2 du soir, sur la chaussée de Perrache, un jeune homme a été renversé par une des voitures qui ramenaient les Mutuellistes du banquet de Givors. Il a été transporté sans connaissance à l’Hôtel-Dieu.

– La cour d’appel de Lyon a fait sa rentrée solennelle le 14 novembre, après avoir entendu une messe à l’effet de prier le St-Esprit de l’éclairer. M. Chaix a fait la mercuriale d’usage qu’il a terminée en félicitant les avoués de leur désintéressement. Le tribunal civil a fait sa rentrée le même jour.

cancans.

St-Viennet, le martyr d’Estagel, a laissé en manuscrit un traité sur l’usage où l’on est d’appeler les ânes, Martinon attend la publication prochaine.

Un taille-plume gothique à tête de moustapha à échanger.

C’est affreux que vous alliez dîner à mon lieu et place. – Est-ce que ce dîner gratis vous tentait ? – Non, dutout ; mais comme homme libre, je croyais en avoir le droit.

On demande si au dîner prud’hommique de St-Rambert il y avait plus de plats longs que de carrés ou ronds, et, dans le cas où les prud’hommes manquans seraient venus, de quelle façon auraient été les nouveaux plats que l’Echo de la Fabrique assure qu’il y aurait eu ?

Les mauvais payeurs déchirent les billets. Nous connaissons un tribunal qui les annule.

Il y a, dit-on, de vieilles rancunes contre un saint de notre fabrique ; mais St-Bernard vient à son aide.

ANNONCE.

AGENCE GÉNÉRALE D’AFFAIRES.
cabinet d’affaires contentieuses de commerce.
PERRUSSEL ET COMPe.
Rue Trois-Marie, n. 12, près la prison, à Lyon.
Le directeur de cet établissement à l’honneur de prévenir MM. les négocians, banquiers, capitalistes, rentiers, propriétaires, et toutes personnes qui voudront bien l’honorer de leur confiance, qu’il a spécialement attaché à son bureau un notaire, un avoué, un avocat, un teneur de livres et un huissier, et enfin tout ce qui peut être utile à quelles affaires qu’on puisse lui présenter.
Correspondance générale, convocation de créanciers, faillites, régies et locations des maisons en ville et à la campagne, rentrées des sommes dues à quel titre que ce soit, défense devant les tribunaux de commerce, de justice de paix, conseil de prud’hommes, conseil municipal, tribunaux civils et autres ; liquidation et épuremens de comptes, arbitrages et passations d’actes sous seing-privé, tels que : ventes, baux, cessions, transactions, partages entre co-héritiers majeurs, etc., etc. ; placement de toutes sortes de fonds, par billets à hypothèques, ventes et achats de propriétés à la ville et à la campagne, ventes et achats de toutes sortes de fonds et établissemens.
Le directeur prévient qu’il ne lui est dû des honoraires, que lorsque l’affaire confiée a réussi ; à défaut de ce, il ne lui sera rien alloué pour les écritures et courses ; l’enregistrement sur ses livres est gratis. La réussite qu’il a obtenue à faire rentrer les mauvaises créances jusqu’à ce jour, ainsi que la réussite dans toutes les affaires qui lui ont été confiées, sont un sûr garant de la confiance que l’on voudra bien lui accorder. Il offre ses services à toutes les villes de France, pour les affaires sur la place de Lyon et ses environs. On peut correspondre avec sa maison. (Affranchir lettres et paquets.)

Notes (BANQUET)
1 Le Congrès de München-Graetz eut lieu en septembre 1833, réunissant la Russie, l’Autriche et la Prusse. À l’initiative du tsar, on discuta surtout entre les trois pays des restrictions du droit d’asile aux réfugiés, mesure qui fut adoptée à Vienne en janvier 1834.

Notes (Au Rédacteur. Quoique renfermé dans le coin de...)
1 Il s’agit ici d’une référence à un passage de la pièce Vatel ou Le petit fils d’un grand homme (1825), d’Eugène Scribe (1791-1861).

Notes (Lexicologie.)
1 Joseph Salvador (1796-1873), auteur notamment d’une Histoire des institutions de Moïse et du peuple Hébreu (1828).
2 Il s’agit ici d’une référence au Brutus de Voltaire (1694-1778) joué pour la première fois en 1730, publié l’année suivante.

Notes (Nouvelles générales. PARIS . – Les...)
1 Jules Leroux (1806-1883), frère cadet de Pierre Leroux ; il venait de publier, Aux ouvriers typographes. De la Nécessité de fonder une association ayant pour but de rendre les ouvriers propriétaires des instruments de travail.

 

 

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