L'Echo de la Fabrique : 22 janvier 1832 - Numéro 13

NOUVELLES DIVERSES.

Un mal grave est produit par l'excès de travail nécessaire pour continuer à rendre les manufactures profitables. Même avant la guerre, la concurrence forçait les manufacturiers anglais à exiger de leurs ouvriers des efforts contraires a leur santé, même préjudiciables à l'existence physique ordinaire. Le teint livide de l'artisan est devenu proverbial ; et quelle autre chose que [5.1]des distorsions de formes peut-on s'attendre à trouver chez l'enfant qui, au lieu de jouer dans les champs, en s'amusant plus qu'il ne se fatigue dans les occupations simples d'une vie rurale, est attaché dès l'âge de cinq ans à l'esclavage d'une machine, et ne respire l'air, ne fait d'exercice et ne développe ses organes physiques et intellectuels que dans l'atmosphère des chaudières de teinture, ou des machines à vapeur, et ne se familiarise, dans tout le cours de sa vie, qu'avec les machines à filer, et les moulins à tordre le fil, pendant douze heures par jour ? On parle des nègres arrosant de leur sueur le sol de la Jamaïque, sous un soleil brûlant, ou grelottant dans les mines de l'Amérique ; mais au moins l'enfance n'y est pas mise à la torture, et les maladies n'affligent pas des créatures humaines avant qu'elles puissent articuler leurs plaintes.

Que l'on jette les yeux sur les relations de l'occupation des ouvriers dans les fabriques de coton ; et si l'on a des entrailles, on absoudra les adorateurs de Moloch du reproche d'être les seuls sacrificateurs de victimes humaines. Mais voici l'aggravation du mal : le système de travail forcé est maintenant devenu nécessaire ; on ne saurait s'en relâcher si on veut continuer à dominer les marchés de l'Europe ; il faut même le renforcer, le rendre plus rigoureux, si l'on veut continuer à vivre du produit des manufactures ; car toute l'Europe s'élève contre l'Angleterre, ses ouvriers, ses produits. L'Angleterre n'est plus exclusivement le pays des machines. Elles sont acclimatées parmi toutes les nations tout autant qu'en Angleterre ; celle-ci, privée dorénavant de ces alliés jusqu'alors exclusifs, doit soutenir une lutte inégale contre un ennemi débarrassé des taxes qui oppriment le colosse de la Grande-Bretagne. La question est maintenant de savoir si le travail peut encore augmenter : l'ouvrier peut-il vivre à moins de frais ? peut-il faire de plus grands efforts de travail ? On s'accorde à affirmer qu'il ne le peut pas, et que même, s'il le pouvait, on ne devrait pas l'exiger : ce serait exiger un suicide. D'ailleurs le monde n'est-il pas déjà gorgé du produit des manufactures  anglaises ? Le continent, le Nouveau-Monde, les colonies britanniques, les établissemens orientaux, sont déjà surchargés du produit de ses fabriques ; d'ailleurs, chaque jour ces pays font des progrès vers le moment où ils se suffiront à eux-mêmes. Quel sera donc le sort du capital immense enfoui dans les manufactures, et des marchands principaux qui vivent de leur transport jusqu'aux bornes de la terre ? Ou, ce qui est d'une considération plus importante, que deviendront les trois millions d'individus qui vivent maintenant de la main-d'?uvre de ces divers produits ?... Le remède qui puisse conjurer l'imminent danger que présente cet état de choses, est un de ceux que les passions et l'imprévoyance des hommes empêcheront d'adopter. L'Angleterre ne renoncera jamais à la prétention d'être l'atelier général du monde. Elle ne voudra jamais descendre à l'humiliation de cesser de vendre des mousselines, des boutons et des canifs à meilleur marché qu'aucune manufacture étrangère, ni au crime de lèse-nationalité de mettre hors de ces prisons enfumées, de ces caves fétides et de ces continuels réceptacles d'exhalaisons pestilentielles appelés manufactures, quelques millions de jeunes hommes et de femmes, pour leur laisser gagner leur pain dans les travaux des champs, leur faire échanger les machines à vapeur contre la charrue et la bêche, les réduits pestilentiels où ils sont entassés, contre les prairies et les récoltes ; la distorsion, le vice et la mort contre la beauté, l'innocence, la fraîcheur et la vie. Cependant il faut que ce changement [5.2]s'opère, sinon toute l'Angleterre sera ébranlée jusque dans ses fondemens.

La nécessité de la révolution de France n'était qu'une ombre auprès de la réalité du mal, et du besoin actuel de plusieurs millions d'individus de se procurer du pain qu'on ne peut plus leur donner.

La France fut bouleversée, parce que la noblesse était une classe privilégiée qui s'emparait exclusivement de tout l'avancement militaire et ecclésiastique. C'était en grande partie de la vanité blessée ; mais la France, dans les temps les plus désastreux, nourrissait toute sa population ; mais le paysan français était plus heureux, et, à tout prendre, plus aisé que l'artisan anglais. En Angleterre on a déjà atteint le maximum du travail, on a aussi atteint le maximum du salaire ; tous les marchés du monde regorgent de ses produits. Les remèdes populaires auxquels on a déjà eu recours, sont la destruction des machines et l'incendie de tout ce qui abrège la main-d'?uvre. Chacun sait jusqu'à quel point de pareils moyens doivent aggraver le mal, et combien facilement ils traînent à leur suite le vol et l'assassinat ; l'incendiaire ne devient jamais un ouvrier paisible, et l'on ne peut plus se fier à lui.

Le remède proposé par les orateurs populaires est la diminution des taxes. Mais tout homme connaissant l'Angleterre sait que les taxes sont déjà réduites au plus bas degré possible. Toutes les administrations whigs ou torys ont vainement tenté de les réduire davantage ; toutes sont arrivées à cette déclaration : « Les taxes sont déjà réduites au plus bas degré possible. » Mais supposant qu'il fût possible de supprimer toutes les charges de l'état, l'armée, la marine, la liste civile ; que l'on pût effacer la dette publique, et réduire à la mendicité un million et demi de veuves et d'orphelins, de vieillards et d'enfans, par la banqueroute nationale, la grande question ne serait pas encore résolue.

Que deviendront trois millions d'individus qui doivent périr s'ils ne fabriquent du drap et des étoffes de coton ? Il ne leur restera qu'à prendre les armes, et à arracher aux autres classes, par la force, la subsistance qui leur manque. Il n'y a point d'expédient politique qui puisse découvrir un remède contre la faim. Le bouleversement total de la société ne favoriserait certainement pas le travail ; car en de pareilles circonstances le commerce et l'industrie meurent. Une rémission partielle de taxes ne ferait pas renaître la prospérité ; car il resterait toujours à combattre l'avancement progressif de l'industrie en Europe, qui rend inutile toute rémission qu'on puisse faire, et fait continuellement une guerre sourde, mais funeste à l'industrie anglaise.

On a parlé de la ressource de l'émigration ; mais ce n'est pas le fileur ni le tisserand qui émigrent, ce sont le fermier et l'artisan, vivant d'un simple métier. Le fermier emporte avec lui sa bêche et ses connaissances pratiques ; le forgeron emporte son marteau. Mais comment le tisserand emportera-t-il ces immenses machines qui lui sont nécessaires pour pouvoir produire dans une proportion qui puisse lui être profitable ? Comment embarquera-t-il sa machine à vapeur de la force de cent chevaux, et son établissement merveilleux et compliqué de machines dont il n'est lui-même qu'une partie subordonnée, et auxquelles il n'est pas plus essentiel qu'elles ne le sont pour lui ?

C'est dans le travail forcé, l'état précaire des manufactures, qu'il faut chercher l'origine des mécontentemens croissans du peuple. Ces mécontentemens peuvent avoir été accélérés ou augmentés par les démagogues ; mais il n'est pas au pouvoir d'une feuille périodique, [6.1]d'un pamphlet, d'un orateur, de convertir en fiel le sang de tout un peuple, ni de pousser tout une masse d'hommes honnêtes et industrieux à des actes de violence contre ceux qui les emploient, contre leurs voisins et leur pays, ni enfin d'enflammer l'esprit de la classe manufacturière jusqu'à la frénésie contre des institutions, simplement, parce que ce sont des institutions de leurs ancêtres qu'ils ne sont pas en état de discuter, et que leur éducation ne les a pas mis en état de comprendre.

C'est vers ce point que doit être dirigée l?attention de tout ministère qui ambitionne le mérite de maintenir la nation en repos. Quel que soit le désir d'améliorer le système de représentation nationale, c'est plus profondément qu'il faut chercher la source du mécontentement général et manifeste qui s'empare graduellement de l'esprit du peuple. Le manque de pain est le véritable mot de la rébellion. Le désespoir les étouffe : la loyauté primitive des c?urs anglais, et la déclaration universelle des séditieux, que, s?ils doivent périr, ils ne périront pas seuls, est la véritable expression de l'esprit qui anime la multitude. Le seul remède est de revenir sur ses pas, de cesser d'unir l'idée de la grandeur nationale avec celle d'être les premiers manufacturiers du monde, ou en d'autres mots, de cesser de vouloir être les instrumens et les esclaves des besoins de toutes les nations de la terre.
(Le Français.)1

- A Bristol, il règne une grande irritation parmi le peuple ; il n'est maintenu dans l'obéissance que par le grand nombre de troupes qu'on a envoyées dans cette ville. On ne pense pas que les auteurs des troubles du mois d'octobre soient condamnés à mort ; mais il est probable qu'ils seront déportés.

- Le duc de Wellington a été tellement affaibli par sa maladie, que les médecins regardent comme impossible qu'il fournisse encore une longue carrière.
(Constitutionnel.)

- Les voleurs ne respectent plus rien ; hier matin ils se sont introduits chez un inspecteur de police, et en ont enlevé plusieurs effets mobiliers.
(Gazette des Tribunaux.)

- M. Bouvier du Molart est dangereusement malade à Metz.

- La santé du général Lafayette est assez améliorée pour qu'il ait pu sortir hier, afin d'assister au mariage d'une de ses petites-filles avec M. Bureau de Pusy, fils du député de l?assemblée constituante, qui partagea avec M. Lafayette la captivité d'Olmutz.
(Globe.)

- Depuis l'apparition du choléra en Angleterre, 1,677 individus ont été attaqués de cette maladie ; 575 ont succombé. Les autres sont rétablis ou en traitement.

- Nous le demandons à tous les hommes de bonne foi, quel est le parti, quel est le journal qui ne s'empressât de glorifier et de soutenir le gouvernement, s'il adoptait le programme suivant pour son programme de l?Hôtel-de-Ville ?

Etablir dans le plus bref délai et pour tous successivement un système d'éducation morale et professionnelle.

Imprimer à la société une immense activité pacifique :

1° Par la création d'un vaste ensemble de communications de chemins de fer, canaux, routes, etc.;

2° Par l?établissement d'institutions de crédits propres à doter la capacité qui couvrirait la France comme un réseau ;

3° Par la fondation, sur plusieurs points du territoire, [6.2]de hautes écoles où seraient formés des ingénieurs et des médecins, c'est-à-dire, les officiers de l'armée pacifique des travailleurs.
(
Globe.)

Notes de base de page numériques:

1 Probablement Le Français. Journal politique, commercial et littéraire, lancé en novembre 1831.

 

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