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13 novembre 1833 - Numéro 4
 

 




 
 
     

AVIS.

[1.1]Ce journal s’adresse à toutes les classes de Travailleurs. Il n’est pas le journal spécial d’une industrie, mais celui de toutes.

Expositions publiques

de l’industrie.

L’Echo de la Fabrique contient, dans son avant-dernier numéro, un article intitulé : A quoi servent les expositions des produits de l’industrie ? Cet article est extrait du Peuple Souverain, journal de Marseille ; mais, par le fait de sa seconde publication, le gérant de l’Echo de la Fabrique se l’est rendu propre et l’a approuvé, nous devons du moins le croire. Il importe dès-lors de prémunir les ouvriers contre la doctrine erronée qui est professée dans cet article. Nous pouvons prendre la défense du haut commerce et de l’industrie de luxe, sans donner lieu à aucun soupçon fâcheux : nos preuves sont faites. Nous ferons observer d’abord que notre critique s’adresse davantage à la reproduction de l’article dans le journal d’une ville manufacturière, qu’à son insertion primitive dans le journal d’une ville de commerce maritime. On le sent, la différence est grande, et toutes les opinions empruntent plus ou moins le reflet de l’atmosphère où elles vivent ; elles ont toutes une couleur locale qui les rend vraies ou fausses relativement. Ce n’est qu’en parlant des vérités incontestables et fondamentales que la philosophie a pu se plaindre que la chose vraie d’un côté du détroit ne le fût pas de l’autre.

Marseille, par sa position géographique, qui a déterminé ses habitudes commerciales, est étrangère à l’industrie. Marseille remplit à l’égard du commerce l’office d’un voiturier : comme ce dernier elle transporte la marchandise, spéculant plutôt sur la quantité du chargement que sur sa qualité ; l’Océan est sa route, des vaisseaux lui servent de fourgons. Il n’est donc pas étonnant qu’une opinion mesquine sur les avantages de l’industrie ait pris naissance dans cette ville ; mais une semblable opinion dans nos contrées industrieuses, c’est une anomalie choquante. Nous devons, au contraire, encourager les expositions publiques de l’industrie. Les médailles qu’on y décerne sont les croix d’honneur du commerce. Il ne s’agit pas de faire de l’opposition pour paraître indépendant et ami du peuple ; il faut avant tout être juste, et remercier le gouvernement lorsqu’il agit bien. Nous appelons de tous nos vœux les expositions ; nous nous bornerons seulement à demander que l’intrigue et la faveur ne puissent y avoir accès. Et quelles sont les objections qu’on présente contre cette mesure d’intérêt général ? Aucune, ou à peu près, on va en juger. On n’ose pas dire qu’on n’ajoute aucun prix aux brillans [1.2]produits dont quelques fabricans distingués ont enrichi notre industrie ; mais on regrette que pour être bien vue à l’exposition, il faille que la fabrication emprunte des habits du dimanche et l’appareil des fêtes. Sans doute il est bon, dit-on, que nos filateurs de laine et de coton essaient de filer les numéros les plus élevés ; mais si l’on songe à la petite quantité qui s’en consomme par rapport à ceux qui servent à tisser les calicots et les draps ordinaires, on verra quels sont ceux qui méritent le plus d’intérêt. Nous pensons, nous, qu’il est naturel que l’industrie prenne ses habits de fêtes lorsqu’elle va poser en public, de même qu’un homme lorsqu’il va rendre ou qu’il attend une visite importante. Quant au reste de l’objection, ne sait-on pas que tout s’enchaîne dans l’ordre industriel comme ailleurs ; et lorsque les filateurs de laine et de coton seront parvenus à filer les numéros les plus élevés, leur expérience réagira sur les qualités inférieures. Pour rendre notre pensée plus complète, supposons qu’un article de quincaillerie ou d’ébénisterie, d’un travail magnifique, soit admis à l’exposition, sans doute un homme riche pourra seul présentement l’acquérir ; on pourrait répondre que c’est un impôt sur le luxe ; mais il arrivera aussi que l’industrie, toujours agissante, s’emparera de ce modèle, de ce nouveau terme de comparaison, et quelques années plus tard, ces deux branches d’industrie produiront des objets totalement semblables pour la main-d’œuvre (la seule qu’il faille considérer, les métaux précieux ne faisant qu’y ajouter une valeur idéale) et à bien meilleur prix. La perfection est le but vers lequel il faut toujours marcher, lors même qu’on n’espérerait pas d’y arriver.

Nous nous prononçons donc hautement, malgré l’avis du journaliste de Marseille, copié par l’Echo de la Fabrique, en faveur des expositions publiques ; mais nous désirerions que, pour qu’elles atteignent leur but, deux ou trois jours par semaine soient réservés aux ouvriers seuls ; ce serait pour eux un cours normal d’instruction théorique et pratique ; les autres jours seraient réservés aux visites d’appareil et aux achats des riches et des curieux. Nous reviendrons sur cette idée que nous croyons utile.

Marius Ch......

sur les prix

fondés par la société maçonnique du parfait-silence,

En faveur de l’instruction élémentairei.

Nous avons annoncé, dans notre dernier numéro, l’action philantropique de la loge du Parfait-Silence. L’année [2.1]dernière cette société a distribué de semblables prix ; nous ne doutons pas qu’elle persiste dans cette généreuse pratique. Après lui avoir payé le tribut d’éloges qu’elle mérite, nous appellerons la reconnaissance et l’attention des citoyens qui sont appelés à jouir de ses bienfaits. L’instruction, on le sent chaque jour davantage, est le pivot de l’émancipation des classes laborieuses. Nul doute que, plus instruits que nous, nos enfans seront aussi plus heureux ; de grands remercîmens sont donc dus aux propagateurs de l’instruction de l’enfance. Toutes les voix sont unanimes. Mais n’y avait-il rien à faire pour la génération existante ? devait-elle être déshéritée des faveurs de l’instruction ? Les Ecoles d’adultes ont résolu la question à son profit. Il fallait pour de grands enfans des écoles séparées ; on ne pouvait réunir sur les mêmes bancs l’enfant de sept ans et le jeune homme de vingt ; ce dernier peut sans honte s’asseoir à côté de l’homme fait de quarante ans, auquel la fortune a dénié jusqu’alors le moyen de s’instruire. caton ne craignit pas à soixante ans d’aller à l’école, comme il le disait en plaisantant, et Rome lui donna le surnom de sage. Qu’une fausse honte n’arrête donc pas les ouvriers sur le seuil des écoles qui leur sont ouvertes. Il n’est jamais trop tard pour apprendre.

Nous devons encore faire ressortir la prévoyance de la Société maçonnique dans le choix des prix qu’elle a fondés. De simples hochets peuvent et doivent convenir à l’enfance ; elle n’apprendra que trop tôt le prix qu’on attache à ce signe matériel, représentatif de la richesse ; que sa jeune ame en soit préservée le plus long-temps possible ! Mais l’adulte connaît, parce qu’il l’a senti, le prix, la nécessité de l’argent. D’un autre côté, et c’est le côté moral, celui que nous devons apprécier, l’adulte a fait le sacrifice d’un temps précieux ; la Société lui tient compte de cette bonne volonté, des privations qui en ont été la suite, et cet argent donné en son nom n’a plus rien qui choque la délicatesse. Un autre avantage résulte de la nature du don : une somme d’argent équivalente aurait pu être dépensée quelquefois sans fruit ; l’inscription de rente pourra la conserver pour un temps plus nécessiteux, et l’idée de l’augmenter viendra à plus d’un élève. Ce sujet nous plaisait ; nous nous sommes peut-être trop étendus. Peu de monde, nous le croyons, nous en fera un reproche.


i. La rentrée des classes dans les Ecoles d’enseignement mutuel a eu lieu le 5 novembre. Les Ecoles gratuites pour les adultes rue des Tables-Claudiennes, n. 10 ; rue de l’Enfant-qui-Pisse (dans l’impasse) ; montée des Capucins, n. 20 ; rue Jarente, n. 4 ; rue Madame, n. 10 (aux Brotteaux). – Le Cours normal primaire, également gratuit, pour les instituteurs et institutrices, est place de la Boucherie-des-Terreaux, n. 2. Ceux qui voudraient se faire inscrire pour suivre ce cours, doivent se présenter à M. Laforgue, place de la Miséricorde, n. 4, de huit à neuf heures du matin.

Association commerciale d’échanges.

AVIS.

Le mouvement et les travaux de l’échange ayant repris leur cours, une assemblée de MM. les Actionnaires-Sociétaires a eu lieu dimanche dernier dans une des salles du café du Messager des Dieux.

Les administrateurs de la société, en soulevant une question grave, déja soumise aux tribunaux de commerce, ont fait comprendre à leurs auditeurs qu’ils étaient tous associés entr’eux d’après la lettre même des statuts ou pacte social ; qu’alors même qu’il n’en serait pas ainsi, leur intérêt bien entendu exigerait qu’ils se considérassent comme tels. Ils ont représenté le monde travailleur sous la dépendance du monde des écus, l’industrie en véritable état de servage, et démontré que l’échange, par son mécanisme ingénieux et facile, enlève au numéraire le rôle dominateur qu’il a usurpé. Ils ont établi pour base de leur système, le travail et l’activité : tout en démontrant les vices du système monétaire, ils en ont cependant reconnu les avantages ; mais ils l’ont établi comme compensateur, et non pas comme dominateur ; ils en ont reconnu l’utilité, mais non pas l’absolue nécessité.

MM. les Sociétaires ont compris enfin que le manque d’argent entravant le développement et l’extension qu’ils pourraient donner à leur industrie, et l’échange y aidant au contraire (car l’échange augmente également la production et la consommation), ils devaient concourir à l’affermissement de ce système. Ils ont en conséquence, unanimement consenti à aller renouveler, par-devant notaire, l’adhésion souscrite sous seing privé, et, sur la demande formelle de MM. les administrateurs, il a été nommé trois commissaires ayant droit de surveillance dans les bureaux et devant servir d’experts pour la plus ou moins value des objets pris ou donnés à l’échange.

Ces commissaires ne sont que provisoires. Dans une assemblée qui aura lieu incessamment, et à laquelle tous les Sociétaires devront concourir, il sera définitivement nommé un nombre déterminé de commissaires surveillans, et un tribunal de prud’hommes ou juges de l’échange, jugeant en dernier ressort les différens entre leurs co-associés, [2.2]tant sur le prix des marchandises que pour les retards que MM. les adhésionnaires pourraient apporter dans l’exécution de leurs obligations.

Ainsi, l’échange qui aura déja appris aux hommes à considérer le travail comme la seule richesse, leur apprendra à se passer d’une justice coûteuse, et à terminer en famille les discussions d’une nouvelle famille ; et tous les associés ayant entr’eux les mêmes intérêts et les mêmes besoins, ces jugemens deviendront la base de l’harmonie sociétaire et le plus ferme appui de l’échange.

J. dubroca.

Note du rédacteur. – Nous assistions à cette séance vraiment remarquable, et nous devons déclarer que chacun en est sorti avec une intention bien arrêtée de resserrer les liens d’une société qui réalise dès à présent la théorie de Fourrier, avec laquelle elle a des rapports frappans. Nous devons aussi payer un juste tribut d’éloges au talent oratoire de M. Dubroca qui, dans une improvisation de longue haleine, a su captiver constamment un auditoire assez nombreux, par une diction élégante et logique. Ce jeune homme, natif de Bayonne, est un sujet précieux pour la propagation du système de l’échange.

Les garçons-perruquiers nous prient d’annoncer que s’ils attendent le 1er janvier pour faire connaître leurs prétentions, ce n’est nullement pour recevoir leurs étrennes avant toute discussion, comme on pourrait le croire, mais seulement parce que c’est à cette époque que commence pour eux un surcroît de travail occasionné par les visites, soirées, bals, etc. Nous nous empressons de faire droit à cette juste réclamation.

conseil des prud’hommes.

Séance du novembre 1833.

Joly, négociant, faisait appeler Grange, fabricant, et se plaignait que depuis trois mois qu’il lui avait confié une pièce de peluche, elle ne fût pas achevée. Grange a répondu qu’il ne pouvait trouver aucun ouvrier au prix de 2 fr. 25 c. stipulé par Joly. Ce dernier ayant consenti à augmenter de 25 c., les parties ont été conciliées.

André, fabricant, demandait une indemnité à Servant et Ogier, négocians, attendu qu’il était convenu avec eux que le métier de gilets satin qu’il leur avait monté ferait pour 400 f. de façons, et qu’ils l’avaient arrêté au moment où il n’avait fait que pour 300 fr. Les négocians ont répondu que le fabricant ayant été malade, ce qui l’avait empêché de travailler, la morte-saison était venue et les empêchait de continuer l’article. André a été débouté de sa demande.

Charbounet, fabricant, réclame à Villefranche, négociant, une indemnité de 50 fr. pour temps perdu sur un métier d’étoffe chinée. Le négociant convient que Charbounet a perdu du temps, et il explique que la pièce ayant été mal pliée, il a été obligé de la faire enlever. Il offre de payer trois journées et de la remplacer par une pièce d’une autre étoffe. Le conseil invite Villefranche à payer 20 f. d’indemnité au fabricant, et 2 f. pour tordage. Villefranche déclare s’en rapporter.

Nota. Nous croyons devoir prévenir, une fois pour toutes, que les audiences du conseil des prud’hommes des lundi et vendredi ne sont que de conciliation. On peut toujours en rappeler à l’audience du jeudi, qui est la seule où des condamnations puissent intervenir ; mais on n’est admis à s’y présenter, soit par renvoi, soit par citation, qu’après avoir épuisé le préliminaire de la conciliation, à l’une de ces petites audiences qui sont composées de deux prud’hommes-négocians et deux prud’hommes-fabricans.

12 nov. 1833.

Au rédacteur.

Monsieur,

Je vous prierai incessamment de vouloir bien insérer dans votre journal une lettre qui contiendra ma défense complète dans mon affaire avec M. Michel ; mais en attendant, et vu l’urgence (il est possible que le conseil des prud’hommes statue jeudi), je vous prie de soumettre aux hommes de loi et au public ces diverses questions : Le conseil des prud’hommes peut-il, afin de faire revivre d’anciens comptes, anéantir un billet souscrit par moi, dont mon adversaire est en possession, que j’offre de payer et que je soutiens, ainsi que je l’établirai dans ma prochaine lettre, avoir été souscrit pour solde de compte ? Un billet, qui n’a pas une cause déterminée, doit-il faire supposer qu’ il a eu pour objet de régler les avances antérieures lorsque le débiteur l’affirme, et cela surtout lorsque par suite de l’examen des anciens comptes on avoue qu’une indemnité est dûe ?

[3.1]N’est-on pas fondé à dire que cette indemnité, qu’on veut arbitrer aujourd’hui, a été déja réglée par le billet dont il s’agit ?

J’ai l’honneur, etc.

carrier,
Fabricant, rue de la Terrasse.

N. d. R. Nous n’hésitons pas à nous prononcer pour la solution des questions posées dans l’intérêt dudit Carrier. Nous attendons sa lettre explicative de l’affaire, et en l’insérant nous y joindrons nos réflexions.

Les ouvriers cordonniers-bottiers de la ville de Lyon et des faubourgs sont passés hier soir à notre bureau, et nous chargent d’annoncer qu’un grand nombre des maîtres de leur profession a écouté la voix de la raison et s’est déterminé à accorder l’augmentation demandée. Ils s’empressent de leur témoigner la reconnaissance qui leur est dûe ; ils croient seulement devoir faire observer que c’est évidemment contre leur intérêt que quelques maîtres n’ont voulu être portés que dans la seconde classe ; la nécessité pour eux d’avoir les meilleurs ouvriers les engagera certainement à réparer cette erreur. Voici, du reste, le tableau des maîtres qui ont adhéré à la réclamation des ouvriers, distribué en deux classes.

1re Classe : MM. Hasler, Bardinet, Gauthier, Gelot ; Mad. Goulde (à la Sirène), Moreau (Galerie de l’Argue), Chifflet (rue Mulet), Livet, Miége, Jacquin (place du Collége ), Montagnon, Gelot cadet, Jailloux, Thozet, Dutel.

2e Classe : MM. Eynard, Rocsch, Richerot, Mutaler, Vùlle, Lafay, Pascal, Æby, Harterre, Parrot, Hauber, Sauge, Courtois, Rivoire, Boirivan (aux Pierres Plantées), Thibaut (Place des Carmes), Picot et Larpin, Remondon, Curtet, Hub, Robert, Ve Sarget, Gudet-Martin, Martial, Bugistre, Heer, Lallemand, Scherding, Truche (aux P. Plantées), Graimot, Neffre, Granse, Durand, Blané, Guiné, Monnier, Combe, Chabert, Galand, Grand, Jaret, Duclos, Favre, Imbert, Jullien, Larochette (à la Croix-Rousse), Servant (à la Guillotière), Espié, Verdier, Lacavalerie, Andrieu, Graie, Gremoz, Marsiac, Santailler, Ricourd.

Nota. Nous insérerons toutes les réclamations qui pourraient être faites contre la teneur des tableaux ci-dessus.

Lexicologie.

monsieur. – sire. – messire. – cité. – citoyen.

C’est une chose bien étrange à voir dans le pays le plus avancé en civilisation, dans la terre classique de la philosophie du bon sens, qu’un si grand nombre de gens qui se laissent dominer par les préjugés. Nos pères ont dit cela, nos pères ont cru cela, nos pères ont fait cela, donc nous devons dire, croire ou faire comme nos pères. Le bel argument, ma foi ! Eh quoi ! parce que nos pères ont porté des culottes à brayettes et des boucles à l’œil, faudra-t-il que nous en portions aussi ? Non, certes, me répondra même l’aristocrate le plus entiché des vieilles coutumes : car l’on a reconnu l’indécence des culottes à brayettes, et le mauvais effet des boucles à l’œil, qui font un vieillard d’un homme de vingt ans, Fort bien ! Mais n’y a-t-il pas des choses tout aussi importantes à réformer dans nos usages que des brayettes et des boucles à l’œil ? Le langage ne réclame-t-il pas une épuration ? Si les mots doivent être la représentation fidèle des idées et des choses, pourquoi nous servons-nous toujours de termes impropres, de locutions indignes ? Ne s’apercevra-t-on jamais que les très humbles, les très obéissans serviteurs, sont des platitudes ? Ne saura-t-on jamais que la vraie politesse est celle qui repose sur l’amour du prochain, que celle-là est toute bienveillante ; que loin d’afficher la supériorité, elle relève par des égards l’honnête homme que la naissance ou les rigueurs du sort ont placé aux derniers degrés de l’échelle sociale ; que la bassesse et la flatterie ne sont point de la politesse, mais bien de la démoralisation, et que l’homme qui reconnaît des maîtres, se met de lui-même au niveau des animaux ? Ceci nous amène tout naturellement à rechercher l’origine du mot monsieur.

Le mot monsieur est composé de l’adjectif possessif mon et du mot sieur, qui n’est qu’une variété de prononciation du mot sire. Or, ce dernier mot, quoi qu’en dise Ménage1, vient du grec KURIOS, dominus auctoritatem habens, le maître absolu, celui qui s’empare de la puissance, de l’autorité.

[3.2]De KURIOS, on fait premièrement KUR, en retranchant la terminaison ; secondement, KIR, en prononçant l’upsilon (u) comme i ou bien y ; troisièmement, CIR, en adoucissant l’articulation du kappa (k) en c doux, comme on peut en juger du mot KUROS, que nous prononçons CYRUS ; d’où ensuite SIR, que les Anglais ont conservé, et que nous, nous avons allongé d’un e muet, selon notre coutume. Dans les commencemens, on ne se servait du mot sire qu’en parlant à des personnes de haut rang ; mais, par la suite, les juges et les consuls du commerce ayant usurpé cette qualification, elle tomba au nombre des mauvaises plaisanteries, et l’on ne s’en servit plus dans son acception absolue qu’en s’adressant aux rois. Ce fut sans doute pour satisfaire l’orgueil de la noblesse, offensée de voir des sire Pierre, des sire Mathieu, que l’on inventa le mot messire, composé, comme le dit assez judicieusement Nicod, cité par Ménage, de men, qui est notre mon en patois picard, et de sire ; et encore cette qualification, fut-elle réservée aux seuls chevaliers.

Quant à l’époque où le mot sire s’est introduit chez nous, je croirais volontiers qu’il faut remonter au temps des premières croisades. Son origine grecque me porte à penser que nos preux chevaliers nous le rapportèrent de l’empire de Constantinople, comme ils nous rapportèrent des reliques de Jérusalem.

A l’égard du mot sieur, duquel s’est formé monsieur, ce n’est, ainsi que je l’ai dit, qu’une variété de prononciation du radical KUR, dans laquelle, pour conserver le son de l’u, on a mouillé l’articulation du kappa, ce qui fait d’abord CIUR, puis SIUR, d’où enfin SIEUR. Ménage se trompe assurément quand il dit que du mot seniore, ablatif du latin senior, nous avons fait seigneur, et que de siore, contraction de seniore, nous avons fait sieur, les Italiens sire, d’où ensuite est venu notre sire. Si les mots sire et sieur sont sortis d’un même radical, comme il se trouve obligé d’en convenir, c’est du grec KURIOS, ainsi que je viens de l’exposer, et non du latin senior. C’est le mot seigneur seul qui dérive évidemment de senior ; et il est digne de remarque que seigneur dit moins que messire et monsieur, qui sont deux expressions hyperboliques, mensongères et ironiques pour ceux à qui on les adresse aujourd’hui ; car senior ne signifie que le plus âgé, l’ancien ; seniores, les anciens du peuple, les sénateurs, qui, dans les premiers temps, n’étaient ni comtes ni barons, mais les plus vertueux.

Dans la langue latine, c’est le mot dominus qui répond exactement au français monsieur : et cela est tout simple, puisqu’il correspond au grec KURIOS, de même que le verbe dominor, auquel il se rattache, correspond au verbe grec KURIEUO, se rendre le maître absolu.

Les Romains, du temps de la république, ne se servaient point du mot dominus ; ils ne se désignaient que par leurs noms. Cet usage subsista même après que César eut usurpé le pouvoir suprême. Suétone rapporte qu’au théâtre, un comédien ayant appelé Auguste dominus, tous les spectateurs jetèrent sur cet acteur des regards d’indignation ; en sorte que l’empereur défendit qu’on lui donnât davantage cette qualification. Caligula2 est le premier qui ait expressément commandé qu’on l’appelât dominus. Mais ensuite la flatterie surchargea le langage d’expressions encore plus nauséabondes. Martial3, en lâche adulateur, qualifia Domitien4 de dominum deumque nostrum (Domitien, notre maître, notre dieu).

Des empereurs, le dominus passa aux grands, et des grands aux simples particuliers, comme chez nous le sire, le messire et le monsieur. On ne se contenta plus d’être homme de bien, homme libre, membre de la cité, de jouir des droits de l’homme, on voulut être qualifié maître, dominateur. O vous ! qui vous glorifiez d’être républicains, pourquoi n’abjurez-vous pas ces vaines qualifications ? Donnez du monsieur à ceux qui veulent encore des maîtres ; mais bannissez entre vous les épithètes qui sont en contradiction avec, vos principes, et surtout ne cherchez pas à justifier vos faiblesses aristocratiques par ces raisons d’enfant : « C’est l’usage, la politesse le veut ainsi, ce mot est consacré. » Car je vous dirai, avec Paul-Louis Courrier : [4.1]« Voulez-vous donc toujours être non le plus esclave, mais le plus valet de tous les peuples ? »

(La suite au prochain Numéro.)

DE LA LINGERIE,

du repassage du linge et des modes en france,

Ce n’est que du règne de Louis XIV que la lingerie est regardée comme un art particulier. On en doit la connaissance à Mlle Merla, première fille de boutique de Mme de Liège, première lingère de Paris en 1627.

Cette demoiselle perfectionna cet art, qui avant ne consistait qu’en des pièces mal assorties et simplement ajustées ; c’est elle enfin qui, en donnant une régularité au concours d’assortimens dont les nuances des objets ont un charme particulier pour le costume d’une femme, a amené ce qu’on appelle la mode. Le perfectionnement dans l’art de l’ajustement des habits a fait naître celui de la coiffure, et le premier chapeau de dame qui ait été porté, est celui qu’avait Mlle de Lingon, dame d’honneur de la princesse de Condé, au bal donné à l’ambassadeur d’Allemagne par Louis XIV, à la naissance du dauphin, père de Louis XV. Il était de crin brun, et fut disposé par Mlle Jumieux, maîtresse lingère, rue Taranne. On peut donc dire, d’après l’histoire, que l’art de la modiste est né de l’art de la lingerie (Voyez de garsaut1, art. ling.). Voici l’origine de l’art de la repasseuse en linge fin, qui n’est, à proprement parler, qu’une branche de celui de la lingerie : avant d’avoir imaginé les fers, dont se servent les repasseuses pour rendre au linge ce poli qui en fait l’éclat et la fraîcheur, on étirait l’objet qui avait été blanchi entre deux baguettes qu’on éloignait et rapprochait à volonté, selon son étendue : on l’humectait au moyen d’une vapeur légère qui s’échappait d’une eau plus ou moins chaude, contenue dans un vase placé sous le linge ; ensuite, ce linge était placé entre deux planchettes un peu chaudes qui séchaient la vapeur ; on laissait sécher ce linge ; c’est ce qui se nommait rétablir l’uni. Pour le plissage, on se servait d’une espèce de pincette, à peu près comme nos fers à friser, ce qui se nommait coquiller le linge ; c’était là tout l’art de rétablir l’éclat du linge et du falbalas. Plus tard, vers 1689, une ouvrière de la rue St-Denis fit présent à la duchesse de Valbonne d’une fraise préparée à l’aide des doigts et d’un morceau de fer de 5 pouces en carré, semblable à peu près à un pilon, dont la barre était très unie. Ce ne fut qu’en 1709 que fut établi le premier atelier de repasseuse, rue du Bac, à Paris, dirigé par une dame anglaise nommée Miss Bartley. De cet atelier sortirent des ouvrages préparés, repassés, plissés par des procédés à peu près semblables à ceux d’aujourd’hui. Le premier atelier de modiste, dont l’histoire fasse mention, fut établi à Londres en 1710 (V. desnoyers2, auteur des Costumes français).

Nouvelles générales.

paris. – Les ouvriers cordonniers ont dressé l’état des membres de leur société. Ils l’ont porté à 45,000.

– Ephraem1, président de la société des cordonniers, a été arrêté.

– On annonce l’arrestation d’un grand nombre d’ouvriers tailleurs.

– Les garçons boulangers sont toujours en dissidence avec les maîtres.

– La société de travail des tailleurs est en pleine activité. Les commandes doivent être faites chez M. Fournier, rue St-Honoré, n° 99.

– Les garçons bouchers sont aussi coalisés.

– Les ouvriers tourneurs en chaise se sont associés pour exploiter leur industrie sans le concours des maîtres. [4.2]Leur établissement est faubourg St-Martin, rue des Vinaigriers, n° 34.

– La Tribune a payé, le 7 novembre, la somme de 22,076 f. 85 c., montant de ce que l’arrêt qui l’a condamné a appelé une amende, et que ce journal, ainsi que ses confrères, appellent autrement. La Tribune déclare compter sur le concours des départemens pour l’aider à supporter cette perte.

– Une émeute a eu lieu à St-Amand, à raison de la perception des impôts indirects. Un fort détachement de 3 hussards est parti de Bourges pour la réprimer.

Lyon.

On nous annonce que les menuisiers se sont réunis dimanche dernier. Les aspirans veulent cesser d’être sous la dépendance immédiate des compagnons, et demandent à avoir un chef qui les représente.

– Un accident déplorable a eu lieu lundi dernier sur la route du chemin de fer de Givors à Rive-de-Gier. M. Petit, mécanicien à Lyon, rue Vieille-Monnaie, a eu la cuisse brisée par un des omnibus. Il est mort environ trois-quarts d’heure après.

– Vendredi dernier a eu lieu dans une salle de l’hôtel du Forez, rue St-Dominique, la première séance d’un cours de la théorie sociétaire de fourrier ; ce cours doit se continuer tous les vendredis à sept heures du soir.

– Les 3e et 4° livraisons de l’intéressant ouvrage que M. Léon Boitel publie sous le titre de Lyon vu de Fourvières, vont paraître ensemble incessamment.

– M. Amédée de Roussillac, jeune poète de grande espérance, auquel nous avons ouvert avec plaisir les colonnes de l’Echo de la Fabrique lorsque nous le rédigions, vient d’être associé à la gérance du Précurseur.

– Le citoyen Desgarniers a été mis en liberté.

– Le citoyen Tiphaine s’est constitué prisonnier.

cancans.

S....d, pour acquérir la réputation d’écrivain, s’est mis en tête de signer un journal ; il a employé précisément le même moyen que B.....d pour perdre celle qu’il avait.

On peut tailler soi-même sa plume, et pour cela il n’est pas dit qu’on écrive. Avis à M. B......

Il alla à Paris ; il en revint. Et qu’a-t-il fait ? Il a vu Paris.

Question a résoudre : Peut-on aller dîner avec une invitation qui s’adresse à un autre ?

Par exemple, un président de société qui aurait cessé de l’être, peut-il, en recevant une lettre, se l’adjuger ?

Aujourd’hui à toi, demain à moi. On se repent toujours, dit le sage, d’avoir cédé à la colère.

ERRATUM.

Il s’est glissé dans quelques exemplaires du dernier numéro, à l’article Nouvelles Générales, une faute typographique importante à rectifier : Les chambres sont convoquées pour le 23 décembre et non pour le 3.

ANNONCES.

Maison rue Vieille-Monnaie, non sujette à reculement, revenu brut de 4,769 f., à vendre au prix de 65,500 f., avec de grandes facilités pour le paiement, et cession de rentes viagères.
S’adresser chez M. Chartron, rue Bouteille, n. 9, au 2e.

2,500 f. à placer par hypothèque dans l’arrondissement de Lyon.
S’adresser chez M. Chastaing, rue du Bœuf, n. 5, au 2e.
On demande 1,000 f. à emprunter dans l’arrondissement de Bourgoin (Isère).
S’adresser comme ci-dessus.

Notes (Lexicologie.)
1 Il s’agit de Gilles Ménage (1613-1692) auteur à la fin du 17e siècle d’un Dictionnaire étymologique, ou origines de la langue françoise.
2 Caligula (12-41), empereur romain.
3 Martial (40-107), poète romain.
4 Domitien (51-96), empereur romain.

Notes (DE LA LINGERIE, du repassage du linge et des...)
1 Référence à François-Alexandre Pierre de Garsault (1693-1778), L’art de la lingerie (1771).
2 Il s’agit probablement ici d’une référence à Louis Desnoyers (1805-1868) et à l’ouvrage, Collection complète des costumes français depuis Clovis jusqu'à nos jours (1833).

Notes (Nouvelles générales. paris . – Les...)
1 Visées par les sociétés républicaines, deux importantes brochures signées par des « prolétaires » (un cordonnier et un tailleur) et marquant les avancées de l’idée d’association venaient de paraître : Z. Efrahem, De l'association des ouvriers de tous les corps d'état (1833) ; A. Grignon, Réflexions d'un ouvrier tailleur sur la misère des ouvriers en général, la durée des journées de travail, le taux des salaires, les rapports actuellement établis entre les ouvriers et les maîtres d'atelier, la nécessité des associations d'ouvriers, comme moyen d'améliorer leur condition (1833).

 

 

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