L'Echo de la Fabrique : 23 novembre 1833 - Numéro 7

Exposition St-Pierre.

Encore M. Legendre-Héral, ses élèves, les architectes, les calligraphes, vitraux d?église.

(2me Article).

M. Legendre-Héral modèle bien une statue, surtout lorsqu?il n?a pas la prétention d?être plus original que le sujet ne le comporte ; mais il réussit beaucoup mieux encore dans l??uvre d?art qu?on appelle buste. Nous avons trouvé de nombreux défauts à sa Léda ; son Silène, que j?aurais presque envie d?appeler un Faune, présente quelques contre-sens ; mais en revanche, son buste du docteur Eynard1 est parfait, soit de ressemblance, soit d?exécution. Pradier ou David2, si habiles à donner l?être au marbre, ne font pas mieux. ? Disciples de Gall3, approchez, voyez, examinez. Promenez votre main sur la vaste boîte osseuse du docteur pétrifié, et dites si elle ne vous offre pas le moyen d?exercer votre sagacité phrénologique, à l?égal même du crâne qui se souvient et pense. Peut-être que les rides du cou sont un peu exagérées ; cependant, comme je n?ai pas vu le cou du docteur, ceci est une hypothèse beaucoup plus qu?une critique. ? Le buste en plâtre du Puget4, du même auteur, est moins bien que le précédent. Celui-ci est destiné au Musée de Lyon, et l?autre doit faire partie du Musée du Louvre à Paris. A la bonne heure ! que le second parte puisque le premier nous reste.

Nous ne mentionnons MM. de Ruolz et Sappey5 que pour mémoire ; ces messieurs ont fait plusieurs bustes dont les méplats sont assez justes et les lignes assez bien dessinées ; ils n?ont oublié qu?une chose, c?est de les animer du feu de Prométhée. Sans plus tarder, Messieurs, faites un voyage au ciel.

? Deux élèves de M. Legendre ont exposé, l?un un Hyacinte blessé, l?autre un jeune prêtre arcadien carressant son chien. Ces élèves ont certainement voulu bien faire ; mais dans les arts, l?intention n?est pas réputée pour le fait. Qu?ils étudient l?antique ! qu?ils pâlissent sur l?antique ? et quand ils en auront bien rêvé, qu?ils reviennent au musée. On doit dire à tous les artistes ce qu?Horace dit aux poètes : Nonum prématur in annum?

MM. Pollet, Chenavard et Dalgabio6 portent tout le bagage de l?architecture de l?exposition. Les deux premiers nous présentent des projets de façades d?églises qui ne paraissent pas trop mal ; qu?on leur donne donc des églises à construire ; peut-être seront-ils en cela plus heureux qu?ils ne le sont à élever des théâtres. Notre arène scénique est une bien lourde critique de leur talent dans ce dernier genre d?architecture : si jamais Lyon avait d?autres millions à consacrer à un autre théâtre, à coup sûr ce ne seraient pas MM. Chenavard et Pollet qu?elle en chargerait. Chat échaudé, etc. Faites des églises, Messieurs, faites des églises !!! ? Quant à M. Dalgabio, son projet d?hôpital général est superbe et vraiment grandiose ; mais c?est à cause de cela même qu?il est inréalisable. Des villes du premier ordre peuvent dépenser des millions pour l?érection d?un grand-théâtre, mais pour la construction d?un hôpital général, d?abattoirs, de fontaines jaillissantes, ou autres monumens d?utilité vraiment publique, allons donc ! demandez plutôt à nos administrateurs municipaux.

La calligraphie nous offre plusieurs productions fort bien exécutées, mais déja connues et reconnues. M. Martignier mérite des éloges pour son tableau calligraphique de Napoléon, cependant il aurait dû s?abstenir des phrases pompeuses dont il s?est servi pour rappeler la mort du héros. Il y a des noms que la réthorique a besoin de faire valoir, mais ce n?est pas celui de Napoléon.

[4.1]? Ah ! voici un cadre contenant des ouvrages en cheveux : passons, on voit cela à tous les coins de rue ; d?ailleurs ces choses sentimentales sont bonnes en famille et au coin du feu. ? L?échelle à incendie de M. Mathieu, liseur de dessins, a droit à plus d?attention. C?est une machine fort ingénieuse, dont l?utilité ne serait point équivoque. Par elle on pourrait aussi étudier la position de l?ennemi dans les pays plats.

Enfin, et pour en finir avec l?antichambre de l?exposition, mentionnons les efforts de M. Rodet pour retrouver le secret perdu de la peinture sur vitraux d?église. Ces efforts sont-ils, dès à présent, couronnés d?un plein succès ? ? Non ; il y a bien loin des essais de M. Rodet aux vitraux de Rheims et de Cologne ; mais que cet artiste, d?ailleurs plein de mérite, ne se désespère pas de cet arrêt. La pensée publique n?est plus portée vers les ogives à compartimens, ou les flèches de clocher découpées en dentelles ; elle veut désormais du commode, de l?utile, du confortable, comme disent les Anglais. Que M. Rodet fasse donc des flacons, des soucoupes, des vases, des sucriers, ou même de simples verres, et il s?en trouvera bien et nous aussi.

B. (a.)

Dans mon dernier article, le prote me fait dire, en parlant de Silène, barbare au lieu de barbu. Barbare, vous-même, M. le prote !?

Notes de base de page numériques:

1 Il s?agit probablement ici du docteur Ennemond Eynard (1755-1837), l?un des administrateurs et donateurs de l?école La Martinière.
2 Il est fait référence ici aux sculpteurs James Pradier (1790-1852) et David D?Angers (1788-1856)
3 Franz Joseph Gall (1758-1828), médecin allemand, fondateur de la phrénologie.
4 Il s?agit peut-être du sculpteur, peintre et architecte Pierre Puget (1620-1694).
5 Peut-être ici Victor Sappey (1801-1856) et Léopold Ruolz de Montchal.
6 Jean-Michel Dalgabio (1788-1852), Antoine-Marie Chenavard (1787-1883) et Jean-Marie Pollet, architectes stéphanois et lyonnais.

 

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