L'Echo de la Fabrique : 27 novembre 1833 - Numéro 8

coalition

des ouvriers layetiers-emballeurs.

(Police correct. de Paris).

[1.1]Nous avons annoncé dans notre dernier numéro la condamnation des ouvriers layetiers-emballeurs, savoir : Cassetuyle et Kueman à six mois de prison ; Bien-Aimé, Comor, Vaillant et Ruel à deux mois. Cette condamnation a été suivie de deux incidens qui ont produit dans la foule une vive émotion. La femme de Cassetuyle s?est trouvée mal. Peut-être que cette malheureuse, indépendamment du chagrin qu?elle éprouve de la captivité de son mari, se trouve sans ressources, sans moyens d?existence, obligée, elle et ses enfans, de mendier ou de voler pour ne pas mourir de faim. Le pouvoir devrait réfléchir combien la vie de la classe laborieuse est précaire, et ne pas détruire à jamais, pour satisfaire à une prescription légale, plus ou moins juste, l?existence de toute une famille. La prison, pour l?homme riche, n?est que la privation de la liberté, et c?est déja un supplice ; mais pour le prolétaire, elle est souvent pire que la mort. L?autre incident est celui-ci : un homme s?est avancé à la barre, et a dit : Président ! je demande la parole au nom des ouvriers. Le tribunal a refusé de l?entendre :

Voici les considérans du jugement.

Attendu que la coalition est tout concert organisé entre les ouvriers d?un même ou de divers corps d?état, à l?effet de faire cesser, en même temps de travailler, interdire le travail dans un atelier, empêcher de s?y rendre, et d?y rester avant ou après certaines heures, et en général, pour suspendre, empêcher, enchérir les travaux ;

Attendu que les prévenus ont pris part à la coalition dont s?agit : Cassetuyle, en présidant la réunion de la barrière de l?Etoile, sachant quel en était l?objet, et en défendant à des ouvriers layetiers de continuer leurs travaux ; Bien-aimé, en écrivant et signant des circulaires pour provoquer la seconde réunion, et en proposant et rédigeant les conditions nouvelles à imposer aux maîtres layetiers ; Vaillant et Ruel, en figurant dans les réunions, et en faisant partie du groupe de 5 individus qui, le 9 octobre dernier, ont, au nom de la société, ordonné avec menaces aux ouvriers de Demouchy de déserter leur atelier ; Kueman et Comor, en prenant part aux réunions, et en menaçant avec violence divers ouvriers s?ils ne quittaient pas leurs travaux.

Le tribunal de police correctionnelle de Paris, en formulant tel qu?il l?a fait son jugement, a commis une grave erreur. Il devait condamner sévèrement, si l?on veut, les violences que les ouvriers layetiers avaient pu commettre, mais là s?arrêtait son droit. Espérons que les tribunaux supérieurs anéantiront un précédent aussi fâcheux, et qui nous reporte à plus de vingt ans en arrière.

Un épisode de ce procès a fait rire ceux des auditeurs auxquels il n?a pas donné un grave sujet de réflexion ; [1.2]c?est la lettre de M. Lambert à M. le procureur du roi, dans laquelle ce citoyen excipe de sa qualité de patenté, de garde national, de sujet dévoué, etc., pour demander à ce magistrat qu?il intervienne dans ses débats avec ses ouvriers?

Ce jugement a lieu de nous étonner. Il confond la coalition et la violence. Il est en contradiction avec la doctrine qui prévaut aujourd?hui, et que le maire de Lyon a paru sanctionner dernièrement, même dans sa réponse au Précurseur. Nous persistons à soutenir que l?article 415 du code pénal est aboli par la charte de 1830 ; qu?il n?est plus en harmonie avec nos m?urs ; nous persistons à croire et à dire que la coalition n?est coupable que lorsqu?elle veut contraindre les dissidens à se rallier à elle. Toute autre doctrine, celle qui proscrirait la coalition, c?est-à-dire, le principe d?association, serait attentatoire aux droits des citoyens, subversive de la charte nouvelle qui repose sur la souveraineté du peuple.

 

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