L'Echo de la Fabrique : 30 novembre 1833 - Numéro 9Exposition St-Pierre. MM. DUBUISSON. – FONVILLE. – LEYMARIE. – MIle CHABERT. (4me Article). J’ai précédemment dit que l’école de peinture de Lyon est bien dûment morte, mais son personnel est plein de vie, Dieu merci. Mais, dira-t-on, un peintre qui ne produit pas lorsque l’occasion lui en est offerte, est mort, en tant que peintre ; c’est vrai, aussi ne vous dis-je pas que MM. Bonnefond, Thierriat, Duclaux1 et autres aient colorié leurs idées d’artistes en cette année de grace, j’ai presque envie de dire de misère, 1833. Nouveaux Achilles, ils se sont tous retirés dans leur tente, et ont abandonné le fardeau de l’exposition actuelle au peuple des peintres de notre cité. – Le pourquoi ? – Je vous le dirai peut-être quelque jour. Quoiqu’il en soit, ce peuple est très nombreux, et vraiment si le merite de l’exposition était en raison directe de la multitude des exposans, notre musée temporaire n’offrirait que des chefs-d’œuvres ; mais hélas ! les choses ne se passent pas ainsi, il s’en faut. Quand vous voyez le livret chargé de noms, pariez que les bons tableaux sont rares : témoin la dernière exposition de la capitale, où, sur plus de trois mille ouvrages, il y en avait une soixantaine à l’adresse de la postérité. M. Dubuisson n’est pas encore un artiste, mais il le deviendra, s’il s’efforce moins à faire beaucoup qu’à faire bien. Il y a de la couleur et de la vie au bout de son pinceau. Ses animaux surtout sont bien traités à la première vue. J’ai pris la charette traînée par quatre chevaux pour un Duclaux ; c’est beaucoup d’honneur, je pense : que M. Dubuisson nous peigne donc des animaux. La nature l’a prédestiné à cela, mais non à la reproduction des combats. Son passage du pont de Bothwel est une phrase commencée, qu’il n’avait pas assez d’haleine pour achever. Ne forcez jamais votre talent, etc. Il y a de l’air dans les paysages de M. Fonville ; ses arbres sont feuillés avec tact et intelligence ; mais l’air, les arbres, les personnages, tout cela pêche par la couleur, tout cela est mou et froid. On se croit dans les [4.1]marécages de la Bresse quand on regarde attentivement les toiles de M. Fonville, on respire mal à l’aise ; il vous prend comme une envie de tousser. Evitez les défauts de M. Jacob. M. Fonville, à Rome ! si vous m’en croyez, à Rome ! partez au plus tôt. Vous regagnerez vos frais de voyage. M. Leymarie2 touche à l’extrême opposé. Le précédent artiste est trop mou, et lui trop sec, trop arrêté ; on dirait ses paysages tirés au cordeau, et par conséquent ils manquent d’air et d’eau, non pas certes de cette eau qui tombe ou va tomber, mais de cette eau qui se présume et qu’on aime à deviner, douce et salutaire, dans ces légers nuages qui courent à l’horison. Toutefois, M. Leymarie n’est pas dépourvu d’avenir, s’il travaille. Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, etc. Relisez votre Boileau3, M. Leymarie. Je voudrais louer Mlle Chabert, car j’ai beaucoup de déférence pour les dames, mais j’ai plus de déférence encore pour la vérité. Les paysages nombreux de cette demoiselle ont tous les mêmes défauts, je voudrais dire aussi les mêmes qualités. J’y cherche la nature, et j’y vois des lignes sèches et grises, partant froides, dont le maître de perspective peut à la rigueur être content, mais que le maître de peinture désavouera certainement, à moins que superposer les unes aux autres des couches de vert, de blanc, de bleu, etc., ce soit peindre. Mlle Chabert veut-elle que je lui donne un conseil, que j’ai d’autant plus le droit de dire un conseil d’ami, que je n’ai pas l’honneur de la connaître, qu’elle se mette à copier au lieu de peindre d’original : qu’elle reproduise et ne cesse de reproduire notre grand paysagiste Grobon4. A ce compte, mais à ce compte seulement, je lui promets des succès. C’est souvent placer son amour-propre à gros intérêts, que de savoir en ajourner les exigences. B. (A). Notes de base de page numériques:1 Jean-Claude Bonnefond (1796-1860), Augustin Thierriat (1789-1870), Antoine-Jean Duclaux (1783-1868), tous trois représentatifs de l’Ecole lyonnaise. 2 Alexandre Dubuisson (1814-1875), Nicolas Victor Fonville (1805-1856), Hippolyte Leymarie (1809-1844), jeunes peintres alors de l’Ecole lyonnaise. 3 Référence aux mots de Nicolas Boileau (1636-1711). 4 Jean-Michel Grobon (1770-1853), l’un des maîtres paysagistes de l’Ecole lyonnaise. |