L'Echo de la Fabrique : 7 décembre 1833 - Numéro 11

Beaux-Arts.1

exposition de novembre 1833.

Amour-propre des artistes en général. Encore quelques noms peu connus.

MM. FLACHERON. ? CORNU. ? ROUVIÈRE ET FONTAINE.

(5e Article).

[4.1]La passion la plus vigilante et la plus susceptible qu?il y ait en nous, c?est, sans contredit, l?amour-propre. L?amour, l?ambition, l?intérêt même dorment quelquefois ; l?amour-propre ne s?assoupit jamais, il est inflammable comme la poudre, et, comme la poudre aussi, il fait explosion. Cet axiome de morale est surtout applicable aux peintres. En vain, vous avez soin de tempérer votre critique par les formes du langage ou un bout d?éloge ; en vain, vous prenez des gants pour toucher à ces sensitives du règne animal ; les peintres que vous ne trouvez pas parfaits, se cabrent et vous font de gros yeux ; ils vont même quelquefois jusqu?à vous faire le poing. ? Eh ! bien soit ! j?aime infiniment mieux qu?un médiocre artiste me fasse le poing, que si le public, qui a droit de compter sur ma véracité, me faisait les cornes.

Que ce court préambule aille à son adresse : A bon entendeur, demi-mot.

M. Blanc, de Grenoble, a exposé une vue de l?église St-Antoine près de St-Marcellin. Cette église est un des beaux morceaux d?architecture gothique du Dauphiné. Ce n?est pas ma faute si je ne puis appliquer la même épithète à l?ouvrage de M. Blanc ; j?ai beau regarder ces ogives coloriées, ces pilastres octogones, ces effets de clair-obscur, tout cela ne me fait pas illusion une seule minute. O Bouton ! où es-tu ??

Au bas de cette Erigone de M. Blanchard, écrivez hardiment : mauvais dessin, carnation tuile, pose forcée. ? Détournez-vous de la tête de vieillard de M. Bonirote pour venir jeter un coup-d??il sur sa petite s?ur blessée. C?est presque du Jacomin, dans son bon temps. ? Je dis ceci parce que M. Jacomin, à qui le Musée doit la pauvre mère, a progressé à la façon de l?écrevisse, au moins, s?il faut le juger par les portraits qu?il a exposés, portraits de couleur assez vraie, mais raides, prétentieux et d?une pose peu naturelle, ou, si vous préférez, peu spirituelle. Son M. Rey, professeur de St-Pierre, a l?air de s?envoler. ? Il y a de jolies parties dans les aquarelles de M. Bourjot, de Melun. Cependant, son faire est, en général, froid. ? M. Brich, de Philadelphie, nous a envoyé quelques tableaux qui ont le mérite de venir du pays de la liberté. ? Nous voyons de M. Chavanne une jeune femme, recevant furtivement un billet doux. Si M. Chavanne était coiffeur, ce que j?ignore, je lui dirais en ami : Faites des perruques, M. Chavanne, faites des perruques ! Je répéterai la sentance Voltairienne à MM. Desombrages, Douillet, Debelle, mais surtout à M. Rival. Les tableaux de ce dernier semblent appartenir à l?enfance de l?art. On lit pourtant au bas de chacun d?eux : Fait à Rome, 1833. Certes, on ne s?en douterait pas. M. Rouvière a fait du romantisme en peinture, non pas de ce romantisme qui marche, invente et ose, le code du goût à la main ; mais de ce romantisme désordonné, échevelé, débraillé, qui se fait un mérite d?être tout cela ; espèce de bacchante, ivre de luxure et de vin, vous disant effrontément : Regardez-moi !!! M. Rouvière est le Sigalon de l?exposition lyonnaise ; et quel Sigalon encore ! On ne peut rien imaginer de plus grotesquement peint que les portraits d?un monsieur et d?une dame, n. 106 bis, si ce n?est la reproduction des traits d?un homme bien connu à Lyon des ennemis comme des amis de la liberté. A la place de M. Prévot, je me ferais enlever de là. Un honnête homme peut fort bien se faire peindre, mais quand son portrait est hideux, il doit passer son couteau dedans, ou du moins le laisser au grenier. ? A propos de portrait, M. Cornu, ancien élève de M. Bonnefond, en a exposé un qui est plein de belles parties. Les mains sont bien traitées, le dessin correct, et la tête pense. A la bonne heure ! M. Rouvière, allez étudier cet ouvrage ! M. Cornu doit soigner sa couleur, qui tournerait au gris s?il n?y prenait garde. ? L?exposition doit à M. Isidore Flacheron deux paysages près desquels on s?arrête avec plaisir. Il y a de l?air et du lointain dans ses deux vues d?Italie. M. Flacheron porte un nom d?artiste auquel il ne mentira pas s?il se souvient que la nature n?est ni mignarde, ni violette. Il faut la peindre comme on la voit ; seulement, il faut bien la voir. Hic opus, hic labor. ? M. Fontaine, par lequel je clorai cette revue, nous a gratifiés d?une scène d?inondation, qui n?est pas dépourvue de mérite ; cependant, je lui dirai que ce sujet était au-dessus de ses forces. D?abord il s?y prit mieux, puis bien, puis il n?y manqua rien. Il faut dans les arts suivre cette gradation. L?oisillon ne s?envole que lorsqu?il est oiseau.

B. A.

Notes de base de page numériques:

1 Les peintres mentionnés dans cette rubrique paraissent être, Xavier Sigalon (1787-1837), Jean-Marie Jacomin (1789-1858), Philibert Rouvière (1809-1865), Ferdinand Bourjot (1768-1838), Pierre Bonirote (1811-1891), Isidore Flacheron (1806-1873), Joseph Desombrages (1804-1873), Sébastien Cornu (1804-1870).

 

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