L'Echo de la Fabrique : 25 décembre 1833 - Numéro 16sur le remplacement partiel des prud’hommes. (Suite et fin.) Le tirage au sort prescrit par l’ordce du 21 juin 1833, pour désigner les prud’hommes titulaires et les suppléans, ayant eu lieu, le but de cette ordonnance s’est trouvé rempli, et l’on a dû rentrer dans le cercle de la loi organique du conseil des prud’hommes. Nous n’avons pas besoin de le dire, une ordonnance ne peut jamais modifier la loi, elle ne peut rien y ajouter, ni rien lui ôter. En suivant les prescriptions légales que nous avons rapportées dans notre précédent article, les six membres chefs d’atelier qui n’étaient pas sortis lors du premier tirage au sort, devaient en subir un nouveau, afin que trois fussent éliminés au 1er janvier 1834. Ces six prud’hommes restant étaient MM. Bourdon, Martinon, Labory, Charnier, Perret et Verrat, dont deux sont titulaires, Bourdon et Martinon, et quatre suppléans, Labory, Charnier, Perret et Verrat. Laissons de côté (elle s’expliquera plus tard elle-même) la tentative du préfet de soustraire la mutation annuelle des membres du conseil des prud’hommes au tirage au sort. Il est revenu sur son arrêté du 26 novembre, qui désignait comme sortant un titulaire, M. Dumas, et deux suppléans, MM. Charnier et Verrat. Il en a donc [1.2]reconnu l’illégalité. Nous devons lui en savoir gré ; car, ce n’est pas trop l’usage, par le temps qui court, qu’un fonctionnaire quel qu’il soit avoue ses torts. Constatons seulement dès à présent, que M. le préfet, de sa propre volonté, et pensant, sans doute, interpréter sainement la loi et les ordonnances réglementaires des 15 janvier 1832 et 21 juin 1833, trouvait toute naturelle la sortie d’un prud’homme titulaire et de deux suppléans. Son erreur, et par suite l’illégalité de l’arrêté du 26 novembre, consistait, indépendamment du défaut de tirage au sort, à oublier qu’au 1er janvier 1834, le conseil des prud’hommes avait deux années d’existence, et avait par conséquent déja subi un tirage au sort qui avait amené le remplacement de MM. Falconnet et Sordet par MM. Dumas et Milleron. M. Dumas, lésé dans ses intérêtsi, fit entendre de justes plaintes. Nous nous réunîmes spontanément à lui dans cette occasion, faisant à la justice l’abandon de nos affections privées et de nos intérêts même, puisque M. Dumas restant prud’homme, aucun de nos amis ne pouvait être présenté comme candidat dans cette section. Ces réclamations ont été entendues, et le tirage au sort prescrit par la loi a eu lieu entre les prud’hommes, à l’exception de MM. Dumas et Milleron qui n’étaient en exercice que depuis une année, et doivent par conséquent sortir le 1er janvier 1836. Le sort a désigné MM. Martinon, Charnier et Labory, c’est-à-dire, encore un titulaire et deux suppléans. L’illégalité de l’arrêté du 26 novembre se trouvait réparée. Il semble, dès-lors, que tout était dit, et le sort s’était en quelque sorte conformé à la volonté de M. le préfet, car il aurait pu désigner deux titulaires et un suppléant ; et enfin, grace au hasard, nous rentrions, mais d’une manière légale, dans les termes de l’arrêté du 26 novembre. Eh bien ! qui le croirait ! cela n’a pas convenu à Monsieur le préfet. Sans s’inquiéter de se contredire M. Gasparin a pris, le 14 décembre, un nouvel arrêté qui renverse, dénature complètement celui qu’il avait pris peu auparavant, et l’on ne voudrait pas que nous eussions appelé cela gachis ! et l’on ne voudrait pas que nous cherchions des motifs secrets à une conduite si étrange. Au risque de soulever encore contre nous des haines que nous sommes habitués à braver, nous n’imiterons pas le lâche silence du prétendu Echo de la Fabrique, qui n’a pas trouvé la plus légère parole de blâme à adresser à l’autorité. Nous espérions, quelles [2.1]que soient nos dissidences personnelles, trouver en lui dans cette occasion un appui ou un guide, peu nous aurait importé. Nous aurions montré par là au pouvoir la fabrique de Lyon unie pour la défense de ses droits, la fabrique se levant comme un seul homme… Nous aurions voulu au moins trouver en lui un contradicteur, s’il avait une opinion différente de la nôtre… Ses lumières nous auraient éclairé. Mais, déserteur de son poste, il n’a osé arborer aucun drapeau ; il n’a osé attaquer ni défendre, il s’est tû sur cette grave question. Mais c’est à tort que nous nous indignons, et les chefs d’atelier avec nous : comment veut-on qu’un journal soit indépendant, lorsqu’il est sous l’influence immédiate d’un prud’hommeii, et que ce prud’homme danse aux bals du préfet ?… Ce n’est pas dans les salons d’un préfet que doivent se trouver, et les élus des ouvriers, et les citoyens qui s’honorent du nom de patriotes. Nous le dirons donc franchement, et M. le préfet justifie notre assertion : ce n’est que dans l’intérêt de M. Labory, que ce fonctionnaire a pris son arrêté du 14 décembre. Si cela n’était pas, pourquoi trouve-t-il mauvais, à quinze jours de distance, ce qu’il avait ordonné lui-même ? Mais voyons : M. le préfet a donné des motifs à son arrêté, et si la raison ne lui est venue que le 14 décembre, s’il n’a reconnu que ce jour-là son aveuglement, il est cependant juste d’apprécier ces motifs : le malin public dira bien toujours que la raison n’a frappé ses yeux que lorsque les intérêts de M. Labory ont été compromis ; mais un préfet s’occupe peu de ce que pense le public, et quant à M. Labory, il restera prud’homme tant que M. le préfet voudra. Considérant, dit le préfet, qu’aux termes de l’art. 4 de l’ordonnance du 21 juin 1833, les élections successives des chefs d’atelier doivent être faites de telle sorte, que la section électorale qui aura fourni au conseil un membre titulaire se remplace, au terme de ses fonctions, par l’élection d’un suppléant, et réciproquement que la section qui aura fourni un suppléant, donne un titulaire à l’élection suivante. Considérant que, pour rester dans les termes de cet article, il y a lieu de procéder aux élections par nombres pairs, pour les titulaires et les suppléans, et qu’il paraît convenable de régler les séries de renouvellement de façon à ce qu’il sorte, la première année, un titulaire et un seul suppléant ; la seconde année, deux titulaires et deux suppléans, et la troisième année, un titulaire et un suppléant. Qu’en partant de cette base, il y a lieu de retrancher le dernier des noms sortis de l’urne dans le tirage au sort. Comme on le voit, nous n’omettons rien de ce qui peut servir à la défense de nos adversaires. M. le préfet, on en conviendra tout à l’heure, était sous le charme d’une préoccupation bien grande, en formulant ainsi son arrêté. Il oublie l’article 3 du décret du 11 juin 1809, qui a force de loi, et qui veut que la seconde année (c’est bien ici le cas), trois prud’hommes chefs d’atelier soient éliminés par la voie du sort. Mais, dira-t-on, l’ordonnance du 21 juin 1833 a modifié cet article ; nous répondrons d’abord non, parce qu’elle n’en avait pas le droit, et qu’en aucun cas, l’ordonnance, acte de la volonté royale, ne saurait prévaloir contre la loi, acte de la volonté législative. Ensuite, nous puiserons dans les propres écrits de M. le préfet de quoi combattre son opinion actuelle, et nous dirons : Qu’importe qu’il y ait, une année ou l’autre, plus ou moins de suppléans ou de titulaires ? Qu’importe, avons-nous dit ? Voici ce que M. le préfet écrivait, le 4 juillet 1833, à M. le président du conseil des prud’hommes en lui adressant l’ordonnance du 11 juin 1833 : « Il est bien entendu que MM. les conseillers suppléans chefs d’atelier de la section de soierie, continuent à jouir de l’indemnité comme les conseillers titulaires ; car, les fonctions continueront à être aussi assujétissantes, si l’on excepte quelques heures d’audience par semaine au bureau général, où ils seront néanmoins fréquemment appelés en remplacement. » Cela est-il assez clair ? Et c’est bien dans ce sens que les prud’hommes l’ont compris ; car, au lieu de se conformer à l’usage des tribunaux dans lesquels les suppléans ne sont appelés qu’à défaut des juges titulaires, ils se sont partagés les audiences de manière à être autant de titulaires que de suppléans ; en sorte que le nombre des juges est diminué, et voila tout. L’autorité, qui ne [2.2]voulait pas autre chose, par des raisons que nous avons déduites et que nous reproduirons, s’il est nécessaire, a fermé les yeux sur cet arrangement. En restant dans les termes de la loi, c’était donc cette année, comme M. le préfet l’avait reconnu d’abord, trois prud’hommes qui devaient sortir Le sort ayant désigné MM. Martinon, Charnier et Labory, l’année suivante, c’est-à-dire le 1er janvier 1835, MM. Perret, Bourdon et Verrat sortaient par ancienneté. Au 1er janvier 1835, MM. Dumas et Milleron, ayant accompli les trois années, terme légal de leurs fonctions, sortaient encore par voie d’ancienneté ; et le 1er janvier 1837, avait lieu le tirage au sort entre les six membres restant : ainsi de suite. Avait-on sérieusement le désir d’égaliser le nombre des titulaires et des suppléans ? rien de plus simple : il fallait solliciter une ordonnance pour coordonner celle du 21 juin 1833 avec les lois organiques du conseil des prud’hommes, et procéder à une réélection totale des membres, en assignant, par la voie du sort, à quatre sections le choix des quatre prud’hommes titulaires, et aux quatre autres le choix des quatre prud’hommes suppléans, lesquelles sections auraient ensuite successivement permuté, en se conformant à l’ordonnance du 21 juin 1833. C’était la seule marche rationnelle, le seul moyen de rester dans la légalité ; il en serait encore temps. Car enfin, si forcé par la clameur publique qui s’élève contre lui, M. Labory venait à donner sa démission, il faudrait bien le remplacer par un titulaire ; et si tous les prud’hommes suppléans venaient également à donner la leur, que deviendrait l’ordonnance du 21 juin ? Ce qu’on ferait en ce cas, il faut le faire aujourd’hui. Nous consignerons encore une réflexion : si M. Labory persiste à bénéficier de l’arrêté du préfet, il est possible que les parties qui auraient à se plaindre des jugemens auxquels il concourra, se pourvoient en cassation pour en faire prononcer la nullité, comme ayant été prononcée par un juge qui n’avait pas qualité. Il est possible qu’il soit récusé dans les arbitrages, et l’on voit déja à quels interminables débats peut mener une première violation de la loi. Nos observations seront-elles écoutées ? Nous ne l’espérons pas. On a pris l’habitude de l’arbitraire : on aime les hommes qui sont prêts à le supporter : on hait et l’on craint (oderunt quem metuunt) ; mais on affecte de dédaigner ceux qui ne savent pas se plier aux caprices du pouvoir, aux exigences des hommes en place. Nous ignorons où toutes ces bévues de l’administration, où cette protection accordée à un homme contre lequel chaque jour des plaintes s’élèvent (V. les lettres Carrier Edouard, Martin et Vachet) peuvent nous conduire, mais nous pouvons bien assurer l’autorité qu’un mécontentement profond et général existe dans la classe ouvrière ; et que l’on ne parviendra à le calmer que par des mesures sages, de bonne foi, par une franchise à toute épreuve, et enfin, par une stricte légalité. Les prud’hommes pouvaient beaucoup pour le bien-être de la classe qui les avait choisis. Ils n’ont rien fait de ce qu’ils avaient promis, et la réprobation de leurs commettans est leur juste salaire. Nous n’en dirons donc pas davantage sur ce remplacement partiel des prud’hommes. L’illégalité de l’arrêté du 14 décembre dernier qui maintient M. Labory, est suffisamment démontrée. Nous avons cherché un motif secret (ceux avoués n’étant pas dignes d’une discussion sérieuse, puisqu’ils sont en opposition avec la loi, et ne mènent qu’à des calculs fastidieux et qui rendent le problème insoluble) à cet arrêté, et nous avons cru le trouver dans les rapports de M. Labory avec le préfet. Nous avons dit ailleurs l’intérêt puissant de M. Labory pour éviter de se soumettre aujourd’hui aux chances d’une réélection ; nous le redirons ici : il n’est pas rééligible, ayant changé de domicile ; et comme l’année prochaine, M. Bourdon sera sortant ; M. Labory, qui se trouve domicilié dans sa section, aura eu le temps de faire des connaissances, et pourra se porter pour candidat. Voila tout le secret (nous le pensons du moins) de l’arrêté préfectoral. Car, encore une fois, si ce n’était ce motif, pourquoi, et c’est en conscience que nous présentons cette objection, pourquoi M. le préfet trouvait-il bon, [3.1]le 26 novembre dernier, qu’un titulaire et deux suppléans sortissent, et pourquoi maintenant le trouve-t-il mauvais ? Le public jugera. Notes de fin littérales:i. Si nous soulignons ces mots, c’est qu’il nous est revenu que M. |