L'Echo de la Fabrique : 29 janvier 1834 - Numéro 26

Réflexions sur les forçats libérés.

[3.2]Un suicide, accompli il y a quelques temps à Clermont-Ferrand, vient de témoigner encore hautement contre les vices de notre système pénitentiaire. Les exemples abondent pour prouver que notre pénalité, loin de tendre à guérir et à réformer le criminel, ne fait que l’enraciner de plus en plus dans ses penchans vicieux, ou bien le pousser, quand il a subi sa peine, au désespoir et au suicide.

Samedi … un garde-champêtre, nommé Mingat, faisant sa tournée, vit dans le ravin de Bouai, près Clermont, le corps d’un homme qui s’était pendu à un jeune saule, et qui paraissait s’être servi du parapet d’un petit pont pour réaliser son projet. – Après s’être assuré que le suicidé ne pouvait pas être rappelé à la vie, il alla faire sa déclaration, et le cadavre fut enlevé dans la matinée. – Il fut reconnu pour être celui d’un homme originaire des environs de Nîmes, qui, ayant tué sa femme surprise, dit-on, par lui en flagrant délit, avait été condamné aux galères, et auquel on avait fait remise du restant de sa peine, après un séjour de 18 ans au bagne.

Cet homme avait environ 70 ans ; on a trouvé près de lui sa canne et son chapeau, et, dans sa poche, la déclaration que sa mort ne devait être imputée qu’à lui-même. – Il s’était servi, pour se pendre, d’une corde neuve et savonnée avec soin : il paraît s’être tué entre 8 et 9 heures, car un cultivateur qui travaillait non loin du lieu où il a été trouvé, l’a vu passer à 8 heures et demie.

Des renseignemens nous ont appris que ce vieillard, fixé ici depuis à peu près un an, était dans l’aisance, qu’il se conduisait bien, mais qu’il était tombé dans le chagrin depuis qu’on avait su la condamnation qu’il avait subie. – Il paraît qu’un agent de police ne se faisait pas faute de la révéler, et qu’il affecta même de lui demander un jour ses papiers au spectacle. Depuis ce moment, ce malheureux s’apercevait qu’on se retirait de lui, et la vie lui devint insupportable

C’est là une cruauté qui n’est pas dans la loi. Quand un homme est placé sous la surveillance de la police, c’est un fait qui ne doit être connu que de ceux-là qui sont chargés de son exécution. – La loi prononce des peines, mais quand elles sont accomplies, la société n’a plus rien à demander à celui qui les a subies, sinon une conduite irréprochable, et pour cela elle lui doit comme à tous les hommes, aide protection et bienveillance.

Ce qui doit distinguer surtout notre époque c’est une réforme morale qui ne peut s’effectuer avec le détestable principe qu’il faut repousser celui qui a failli. – Selon nous, il ne faut désespérer d’aucune nature d’homme, et c’est là, hâtons nous de le dire, ce qu’il y a de plus encourageant dans la noble tâche du progrès et de la réforme. – Si les crimes sont nombreux, ce n’est pas que l’homme soit méchant et vicieux par nature, c’est que la société actuelle ne vaut rien. Que cette société ne soit donc pas sans pitié pour ceux qui reviennent à elle !

Les condamnés qui ont subi leur peine peuvent rarement trouver du travail ; repoussés partout, ils n’ont souvent d’autre alternative que de retomber dans le crime pour retourner au bagne ; ou bien de se débarrasser de la vie. – Et pourtant, qu’on nous dise si un homme qui, après avoir commis une mauvaise action et passé de longues années dans le régime corrupteur des bagnes, aura résisté à cette corruption et viendra tenir une conduite aussi irréprochable que celle des hommes de bien, qu’on nous dise si celui-là mérite qu’on le repousse et qu’on le méprise ? Nous le disons sans hésitation, de même que l’humanité s’honore quand elle avertit et quand elle éclaire ceux qui s’acheminent vers le crime, elle s’avilit et se dégrade lorsqu’elle rejette impitoyablement ceux qu’une main compatissante ramènerait à la vertu.

(trelat, réd. en chef du pat. du Puy-de-Dôme.)

 

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