L'Echo de la Fabrique : 29 janvier 1834 - Numéro 26

considérations

sur les théâtres.

Ces réflexions sur la scène nous ont paru utiles pour servir d’introduction au compte-rendu que nous nous proposons de faire des théâtres de Lyon. Elles s’appliquent à ces derniers comme à ceux de la capitale.

Autrefois la grande, la bonne comédie, était la satire vivante et impartiale des mœurs, des vices, des ridicules du jour. Sous Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, Molière, Régnard, Voltaire, et quelques autres grands poètes, osaient critiquer et bafouer, en plein théâtre, et les seigneurs de la cour, et les maltotiers, et les faux dévots, et les médecins ignorans, et les pédantes, et les précieuses, et cette classe trop nombreuse de maris qui, à tort ou à raison, se plaignent toujours d’un malheur imaginaire. Alors cependant l’arbitraire et le bon plaisir du monarque était tout. Sa volonté seule faisait loi ; point de charte protectrice, point de journaux révélateurs des intrigues et du despotisme qui pesaient sur les auteurs ; mais c’est qu’ils étaient courageux ces auteurs, c’est qu’ils demandaient de la gloire, c’est que pour l’obtenir ils bravaient et la Bastille et les lettres de cachet. Loin de briguer les faveurs d’une coterie, et les applaudissemens de la cour et des ministres, ils ne voulaient que les suffrages du public. Sur la scène, ils attaquaient franchement et loyalement les abus, les préjugés de l’époque ; il arrachaient son masque à l’hypocrite, au tartuffe ; ils jetaient à la risée publique le bourgeois gentilhomme, l’avare, et ces marquis d’alors, si insolens, si fiers de leurs talons rouges. Ils combattaient leurs ennemis face à face, ils frappaient fort et juste, et pour prix de leur noble victoire ils ne demandaient qu’une couronne à la postérité.

Plus tard et avec Beaumarchais, commença une ère nouvelle pour le théâtre.

Avant lui, les tableaux scéniques étaient effrayans de vérités ; parfois on s’irritait de la crudité des couleurs ; mais le but moral, clairement expliqué, mais la fin de la pièce, toujours en harmonie avec la raison, calmait les consciences et les susceptibilités, Beaumarchais, plus hardi que ses prédécesseurs, vint d’une main audacieuse déchirer le voile qui couvrait les intrigues et les mœurs de la cour et de la ville. Sans respect pour les lois, les rangs, les usages, il fut le premier qui prit plaisir à rouler dans la boue du mépris tout ce qu’on estimait encore, non plus avec conviction, mais par suite d’habitude. Dans un seul ouvrage, il foula aux pieds, il frappa du fouet injurieux, du dédain et de l’insulte, la noblesse, la magistrature, la religion, le mariage et tous les sentimens qu’inspirent la nature ou la civilisation.

[4.2]Le premier, il dégrada avec joie, avec délices, et se complut dans son œuvre de destruction ; on eût dit un médecin charmé de faire voir à la foule étonnée, les plaies honteuses du corps, social, puis, quand cette foule crie et demande des remèdes à tant de maux, lui sourire d’une manière satanique, et lui enlever tout espoir en secouant les lambeaux de ce cadavre gangrené.

Peut-être cependant y avait-il encore un certain courage à reproduire sur la scène ces mœurs honteuses et révoltantes, cette corruption de tous les rangs qui amenait le mélange de toutes les classes et, les égalisant sous le niveau du libertinage, les plaçait toutes au même degré de dépravation ? En faisant la description de cette peste morale qui rongeait la société jusqu’au cœur, on pouvait espérer, par ce tableau effrayant, l’éclairer sur son sort ; on voulait plus encore, on voulait que la littérature dramatique servit d’auxiliaire à la politique et amenât un changement, un bouleversement total dans toutes les institutions. Cet espoir, ce désir étaient vertueux ou coupables ; mais enfin il avait un but, et les auteurs en s’efforçant de l’atteindre, couraient des dangers instantanés sans compter le jugement terrible des siècles à venir.

(La suite au prochain Numéro.)

 

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