L'Echo de la Fabrique : 1 février 1834 - Numéro 27

LE DESESPOIR DE CASSETTE,

occidentale fantastique
imitée de LA DOULEUR DU PACHA,

Orientale par victor hugo1.

On se disait partout : « Qu’a donc monsieur Cassette ?
Un noir penser fermente en son ame inquiète
Et rend plus sombre encor son front triste et blêmi ?
Qui nous révélera le malheur qui le frappe ?
Aurait-il ébréché le briquet de Jemmapes,
Ou le coupe-choux de Valmy ?

Quel chagrin imprévu l’agite et le tourmente ?
Le trois aurait-il donc baissé de trois francs trente,
Ou le pain serait-il augmenté de deux liards ?
A-t-on mis par hasard trop d’huile en la salade,
Dans le bischop du sucre au lieu de cassonade,
Trop de beurre aux croûtons frits pour les épinards ?

Son aîné, qui reçut tous les dons en partage,
Convoite-t-il déjà le tardif héritage
Du rifflard paternel et du grand coffre-fort ?
A-t-on dans son verger dérobé quelques pêches ?
Ou sa portière a-t-elle accepté des dépêches
Qui ne fussent pas franc de port ?

Le vaisseau qui portait ses fonds en Angleterre
A-t-il dû délaisser, avant de toucher terre,
Aux vagues en courroux sa riche cargaison ?
A-t-on sur ses volets dessiné quelque poire ?
A-t-il vu se glisser, au fond du réfectoire,
Un vieux chat, hôte oisif de sa vieille maison ?

Qu’a donc monsieur Cassette ?… » Ainsi partout l’on glose.
Tous se trompent. Hélas ! de son humeur morose,
Si nul ne peut encor pénétrer le secret ;
Piteux comme un ventru que l’on charivarise,
Si, dans le désespoir qui le mine et le brise,
Il épile son faux toupet,

Ce n’est pas que le temps ou la rouille dévore
Le sabre de Valmy, qui serait neuf encore
S’il n’en avait fait faire un cercle de tonneau ;
Ni que dans son verger il craigne l’escalade ;
Ni qu’on ait prodigué beurre, huile ou cassonade ;
Ni qu’aux bords de la Manche ait sombré son vaisseau.

Sa portière eut toujours trop d’ordre et de prudence
Pour immoler trois sous à sa correspondance ;
Du trois comme du pain on voit les prix florir ;
Trop sale est son volet pour subir une poire,
Et son œil n’aperçoit, au fond du réfectoire,
Ni chat, ni Schonen à nourrir :

[4.2]Son fils ne conçoit pas de coupable espérance ;
De la loi naturelle il attendra la chance :
Hormis une future, il ne convoite rien.
Que lui faut-il, pourvu qu’une main prévoyante
Lui compte chaque mois ses douze francs cinquante,
Pour ses menus plaisirs et pour son entretien ?

Ce n’est, ni la Pologne au cercueil étendue,
Ni la jeune Italie au gibet suspendue,
Ni la Grèce qu’Othon reçoit comme un joujou…
– Mais qu’a-t-il donc enfin ce malheureux Cassette,
Aussi morne qu’Etienne eu un temps de disette ?
– Il vient d’égarer un gros sou.

altaroche.

Notes de base de page numériques:

1 La Douleur du pacha est le 7e poème du recueil Les Orientales publié par Victor Hugo en 1829.

 

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