L'Echo de la Fabrique : 15 février 1834 - Numéro 30

Fabrique Lyonnaise.

Depuis quelques mois, le prix élevé des soies, suite d?une spéculation qui est loin, selon nous, d?être licite, et la diminution des commandes ont affligé l?industrie de la classe la plus nombreuse des travailleurs lyonnais. Ceux-ci ont supporté et sont encore disposés à supporter cet état de choses avec patience, parce qu?ils sont justes, et ne voudraient pas rendre les négocians responsables d?événemens indépendans de leur volonté ; aussi quelle que fût la misère, point de plaintes ne s?étaient [1.2]élevées jusque il y a peu de jours. Ces plaintes ont bientôt pris un caractère alarmant, et la situation est devenue tellement grave, que, depuis hier, la fabrication totale des étoffes de soie a été arrêtée. Nous devons raconter les faits pour mettre au courant de ce qui se passe l?autorité et les citoyens étrangers à la fabrique.

Au milieu de la stagnation des affaires, produite par les causes énoncées ci-dessus, deux articles seulement se sont soutenus, les châles et les peluches pour chapeaux. C?est cependant, le croirait-on ! sur ces deux articles que certains négocians, que nous nous abstiendrons de nommer, ont voulu opérer des rabais. Les châles ont été réduits par eux de 85 à 90 centimes le mille, prix auquel ils étaient fixés à 75 c. Les peluches dont l?aune se payait, il y a quelques années, 5 et même 6 francs, ne se payent plus aujourd?hui que 2 fr, 50 cent, à 3 fr., selon les réductions ; et c?est sur ce salaire aussi restreint, duquel il reste en définitif à peine 40 cent, par jour par chaque métier au chef d?atelier, que des négocians égoïstes ont voulu faire peser une diminution nouvelle de 25 cent, par aune. Pouvait-on le supporter ?

La société mutuelliste a compris sa tâche en cette circonstance, et 700 ou 800 métiers de peluches ont cessé de battre : tous ceux de la maison, qui la première avait diminué l?article châle, ont également été arrêtés, il y a de cela sept ou huit jours. Des pourparlers ont eu lieu ; on demandait à cette maison de reporter ses prix à 80 cent., et aux négocians en peluches de rétablir les prix payés, il y a quelque temps. Ces propositions, certes très raisonnables, n?ont pas été écoutées.

Une résolution grave, désespérée, a été prise. ON A ARRÊTÉ LA TOTALITÉ DES MÉTIERS.

Etrangers pour la plupart au mutuellisme, sans lui être hostiles, nous ne croyons pas convenable de donner notre avis personnel sur cette mesure qui est, on ne peut le nier, contraire aux principes de justice distributive qui ne permettent pas qu?un corps entier soit responsable des fautes de quelques-uns, que l?innocent soit frappé de la peine destinée à réprimer le coupable. Mais s?il était vrai que cette mesure, extra-légale n?ait été prise que pour répondre à une coalition des négocians, formée pour soutenir les baissiers, alors nous n?aurions rien à dire, et le soupçon d?injustice qui peut peser sur les ouvriers disparaîtrait.

Dans tous les cas, il ne s?agit plus d?examiner la justice, l?opportunité de cette mesure. La société mutuelle en la prenant, a dû en calculer les conséquences, elle a assumé sur elle une immense responsabilité, car cette mesure est une de celles que le succès seul justifie. Nous en attendrons donc avec confiance le résultat, et comme [2.1]dans d?aussi graves circonstances, tous les travailleurs, malgré la divergence des opinions, doivent être réunis, parce que leur intérêt est le même, et qu?on est de la grande famille avant d?être de telle ou telle société, les fabricans non mutuellistes n?ont pas cru devoir se séparer de leurs confrères. Ils ont arrêté comme eux leurs métiers. Par la même raison nous ne nous séparerons pas de la société mutuelliste, et nous ferons cause commune avec elle. Dans ces jours difficiles, la classe ouvrière ne doit former qu?un seul faisceau. Toutes les dissidences doivent s?évanouir ; toutes les volontés doivent converger vers le même but. Chacun doit à la cause publique le sacrifice de ses discordes et le tribut de ses lumières. Espérons cependant que cette crise ne sera pas de longue durée, et que négocians et ouvriers finiront par s?entendre, car il ne faut pas que la fabrique lyonnaise périsse.

 

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