L'Echo de la Fabrique : 22 février 1834 - Numéro 31

De l’impôt proportionnel

et de l’impôt progressif.

L’impôt proportionnel pèse également sur toutes les fortunes, petites, moyennes ou grandes ; c’est un invariable tant pour cent qui atteint dans une égale proportion le revenu rigoureusement nécessaire à la subsistance d’une famille, et les cent mille livres de rentes de nos grands propriétaires. Ainsi, à celui qui possède mille francs de revenu en propriété immobilière, le rôle des contributions demandera 10 p. %, c’est-à-dire cent francs, comme il demandera dix mille francs au possesseur de cent mille francs de revenu.

L’impôt progressif, au contraire, commence par atteindre timidement les plus petites bourses, puis s’élevant par gradation en raison de l’aisance et de la richesse du contribuable, il fait acquitter à ce dernier, sur son superflu, une plus large part des charges publiques. Si, dans ce système, mille francs doivent à la classe du percepteur 5 p. % ou cinquante francs, cent mille francs pourront lui devoir non plus 5 p. % mais bien 20 p. % ou vingt mille francs.

Dans ce dernier système, le petit propriétaire conservera 950 fr. de revenu, et le grand propriétaire 80,000 fr. Auquel des deux l’impôt progressif retranche-t-il une partie du nécessaire ? Telle est la question qu’il s’agirait de résoudre si on avait à appliquer une échelle progressive à l’impôt foncier. On voit d’ailleurs que l’exemple que nous supposons pourrait être [4.1]plus favorable encore à la grande propriété et par conséquent à l’impôt progressif.

Mais si la progression ascendante suivait un cours plus rapide, qu’on demandât, par exemple, 50 p. % au propriétaire de 100,000 livres de rente, on ne lui laissera que moitié de son revenu, en outre des charges d’exploitation qui pèsent sur sa propriété ; que si cette progression était plus accélérée encore, il pourrait arriver que l’impôt absorbât la totalité du revenu de notre grand propriétaire. Ici, comme on le voit, les grandes possessions territoriales ne représenteraient plus qu’une négation ; la source de toute richesse, de toute production serait tarie, puisque le désir d’acquérir n’aurait pas de but, que toute émulation, toute recherche du bien-être serait anéantie.

Eh thèse absolue donc, l’impôt progressif n’est pas applicable ; il conduit directement à l’absurde. S’ensuit-il toutefois que ce système ne puisse, en aucun cas, recevoir application ? c’est ce que nous n’accordons nullement. Le tout consiste à ne pas user du principe dans son extension, à le mitiger, à l’assouplir en quelque sorte. Ainsi, nous croyons qu’une échelle habilement graduée, qui s’arrêterait là où la source de la production risquerait seulement d’être atteinte, où l’on pourrait craindre de paralyser l’émulation, que cette échelle pourrait être appliquée, non sans avantage, à quelques-uns de nos impôts directs.

Prenons un exemple. A Paris, l’impôt personnel se prélève sur les produits de l’octroi ; il ne reste à répartir entre les contribuables de cette ville que la portion du contingent qui s’applique à la contribution mobilière. Cette portion du contingent donnée pour y arriver au moyen du rôle de l’impôt direct, que fait le conseil municipal ? Il n’a plus, aux termes de nos lois de finances, qu’à déterminer la quotité du centime le franc, à prendre sur les valeurs locatives, bases naturelles de la contribution mobilière.

Supposons donc que pour la répartition de l’impôt mobilier ce marc le franc ait été fixé à cinq centimes.

Dans le système d’impôt proportionnel, un logement de 300 fr. qui, à Paris ne représente la plupart du temps qu’une position des plus médiocres, qu’une position nécessiteuse même, sera frappée d’une cote de 15 fr., tandis que l’appartement vaste et commode du riche propriétaire, du capitaliste, du rentier que nous ne portons qu’au prix de 3,000 fr., sera taxé à cent cinquante francs.

De la famille nécessiteuse à laquelle vous enlevez quinze francs, et de la famille livrée à toutes les jouissances du luxe à laquelle vous demandez cent cinquante francs, quelle sera la plus favorisée dans ce système ? Ici la question ne nous paraît plus douteuse. Qui n’aperçoit en effet que les 150 fr. d’impôt mobilier assis sur l’appartement somptueux, rentreront facilement dans la caisse du percepteur, et que ce dernier ne sera que trop souvent forcé d’arracher, par des voies rigoureuses, les quinze francs du petit locataire, du père de famille ?

Suivant le même exemple, dans le système possible de l’impôt progressif, au loyer de 300 fr. demandons seulement 2 cent. par franc, c’est-à-dire six francs ; au loyer de 3,000 fr. demandons 8 c. par fr., c’est-à-dire 240 fr. Ici la différence de la cote pour l’opulent rentier sera très peu sensible, mais elle le sera beaucoup pour le petit locataire, qui, au lieu de quinze francs, n’aura plus qu’à prélever 6 fr. sur ses ressources annuelles. Nous croyons que les résultats de ce système paraîtront à nos lecteurs plus équitablement établis, et nous croyons savoir que la perception des deux produits contributifs sera également facile.

Eh bien ! cet exemple favorable à l’impôt progressif que nous supposons, sauf quelques légères différences, il existe à Paris.

Le conseil municipal de Paris, il est vrai, dans le mode d’assiette de la contribution mobilière qu’il a adopté, n’a pas eu précisément pour but d’établir un impôt progressif, il n’en avait ni le droit, ni la volonté ; il a voulu seulement, selon le vœu de la loi, ne pas faire peser sur les classes nécessiteuses un impôt [4.2]accablant pour elles ; mais il n’en est pas moins certain que l’essai qu’il a fait, tel circonscrit qu’il soit, a parfaitement réussi, et que cet essai heureux, parce qu’il a été marqué au coin de la prudence, peut fructifier un jour. Pour nous, nous ne serions pas surpris que ce système appliqué sur une plus grande échelle et toujours avec prudence, ne produisît d’immenses bienfaits.

A. B. L.

 

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