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8 mars 1834 - Numéro 33
 

 




 
 
     

EPHEMERIDES LEGISLATIVES.

[1.1]Chambre des députés1. – 24 Février. – (Suite de la séance.) M. Barthe, sur l’interpellation complaisante de M. Augustin Giraud, annonce que le gouvernement présentera demain un projet de loi sur les associations. – Discussion des crédits supplémentaires de 1835.

25. – M. Barthe apporte le projet de loi promis contre les associations. – Suite de la discussion des crédits extraordinaires.

26. – Suite. Ils sont adoptés par 172 voix contre 82.

27. – Discussion du projet de loi sur les attributions municipales.

28. – Suite. Idem.

1er mars. – Rapport de pétitions. – Le maréchal Soult présente deux projets de loi : le premier pour autoriser l’appel de 10,000 hommes sur la classe de 1833 ; le second pour demander un crédit de huit millions pour l’exercice des pensions de 1834.

Chambre des pairs. – 27 Février. – Message de la chambre des députés qui transmet la proposition sur le rétablissement du divorce. – M. Frédéric Troie demande la permission d’exécuter par la voie de la contrainte par corps, un jugement qu’il a obtenu contre M. Dubouchage. Une commission est nommée. – Rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’organisation du conseil-général, des conseils d’arrondissement de la Seine et du conseil municipal de Paris. – Rapport de pétitions qui demandent l’abrogation de la loi qui a interdit le territoire français à la famille de NAPOLEON. La chambre passe à l’ordre du jour. Le général Excelmans accuse, à ce sujet, d’ingratitude les pairs qui ont eu à se louer de cette famille et de son chef.

DU PROJET DE LOI

qui proscrit les Associations1.

Le droit d’association est menacé : ainsi chaque jour sont mis en question les principes sur lesquels repose la société ; et l’on s’étonne de l’audace des novateurs lorsque le gouvernement lui-même ne respecte rien ! « Plus l’autorité, a dit d’Alembert, agitera le vase où les vérités nagent pêle-mêle avec les erreurs, plus elle retardera la séparation des unes et des autres. » Il nous est bien permis, comme citoyens, de déplorer le fatal aveuglement qui préside à nos destinées.

Nous n’entreprendrons pas de prouver la légitimité du droit d’association : on ne prouve pas l’évidence. Ce droit est inhérent à l’homme : sans lui la société n’existerait pas. Le despotisme impérial le restreignit ; le code pénal, monument de honte, livre de sang et d’infamie, prohiba, par son article 219, les réunions de plus de vingt personnes. Obligé de s’expliquer sur cette disposition légale, peu après juillet, M. Guizot, ministre, s’empressa de la répudier. Aujourd’hui cet article, que nous persistons à croire abrogé de fait comme attentatoire aux droits du peuple souverain, n’est plus suffisant ; on a pu l’éluder : il faut rendre impossible toute infraction. C’est ce qu’on a osé dire avec une effronterie rare… Les citoyens qui siègent au Palais Bourbon sont restés impassibles à un pareil discours, et les tribunes sont restées muettes… Et un Persil, un Mahul, un Viennet, et Martin du Nord, et Gaillard Kerbertin viendront faire le rapport de ce projet liberticide et sans doute conclure à son adoption. Mais la presse a jeté un cri d’alarme ; mais le peuple est calme et silencieux ; l’indignation se concentre : attendons.

[1.2]Nous ne dirons pas : « Que nous importe, à nous travailleurs, la question politique ? » Mais, puisqu’il nous est interdit, par une loi fiscale, de nous en occuper, nous l’oublions… Aussi bien elle nous mènerait trop loin, et peut-être devons nous nous applaudir de la spécialité qui nous renferme dans des bornes étroites : laissons donc la question politique. Assez d’autres sans nous et mieux que nous examineront si une loi qui change le principe même de la constitution est de la compétence de la chambre des députés actuelle ; si cette loi n’est pas telle qu’il faudrait un mandat exprès à cette chambre, ou, pour mieux dire, une assemblée constituante. Assez d’autres sans nous et mieux que nous examineront si l’intérêt de la monarchie est de livrer aujourd’hui un combat à mort à la république ; s’il lui est plus utile de voir transformer, malgré elle, en sociétés secrètes les nombreuses associations qui couvrent la France d’un réseau multiple ; et, pour tout dire, si les ventes du carbonarisme lui seront moins hostiles que les loges et les cercles que la politique, l’industrie et les arts ont ouverts au peuple Des voix éloquentes se sont déjà fait entendre ; elles continueront, car la mission de la presse est d’avertir, et, il faut l’avouer, elle remplit loyalement ce devoir : elle avertit ceux même qu’elle désire le plus voir s’égarer. Si donc, comme l’a dit M. Persil dans le procès de notre ami cabet, il faut que les associations tombent ou que le gouvernement succombe, tant pis !… Mais non pour les associations : elles ne tomberont pas.

Nous n’envisagerons donc la prohibition des associations que sous le rapport qui nous compète ; mais nous ferons auparavant connaître notre pensée la plus intime, et nous prouverons par-là notre impartialité et notre indépendance.

Étrangers personnellement à toutes associations, nous pouvons les juger néanmoins en connaissance de cause. Nous n’avons pas besoin de dire pourquoi ni comment. L’écho des travailleurs a déjà fait sa profession de foi à cet égard (v. n° 6, déf. des fab. non mut.) : il la répète ; il n’aime pas les sociétés secrètes, il n’approuve que celles publiques ; mais il les approuve de toutes ses forces, parce qu’elles moralisent, elles éclairent la classe prolétaire, elles lui enseignent la liberté.

Les sociétés secrètes, puissantes pour détruire, sont inhabiles à organiser : elles ne sauraient donc convenir aux amis du peuple, qui, ne voulant pas se servir de lui comme d’un marche-pied pour arriver aux emplois, aux dignités, ne sont pas assez ambitieux pour se poser les premiers, ni assez serviles pour consentir au despotisme de leurs égaux. Leur dénomination de secrètes est une véritable plaisanterie : elles sont, au contraire, accessibles à tous les guets-apens de la police. Considérées sous un autre rapport, les sociétés secrètes sont trop souvent le repaire de l’intrigue : la médiocrité suffisante et bavarde y trône à son aise. Là on est adopté où exclu au gré de quelques-uns, épurateurs dupes ou fripons ; la Calomnie y tient le creuset où chacun verse la réputation de son voisin, et la Prévention, un bandeau sur les yeux, prononce ses jugemens hasardés [2.1]et occultes. Là, sans se rendre compte de la valeur intrinsèque des individus, on éloigne plutôt que de rechercher les hommes capables. Qu’on soit homme d’action, cela suffit ; après le triomphe les maîtres ne manqueront pas. Appliquées à l’industrie, les sociétés secrètes ont les mêmes inconvéniens, accrus encore de ceux que produisent les jalousies de métier, les caquetages de quartier et les antipathies de corps de logis. Elles en ont encore un immense à nos yeux et dont il faut bien se garder : elles nous reportent violemment en arrière et reconstruisent à huis clos l’édifice des corporations abattu il y quarante ans aux applaudissemens unanimes de la France.

Mais il y a loin des sociétés secrètes aux associations publiques. A celles-ci notre sympathie est acquise et nous les défendrons de tout notre pouvoir. Si les premières étaient seules prohibées, nous nous tairions ; mais attaquer l’association publique c’est le comble de la déraison, c’est plus encore, c’est déchirer le pacte social, c’est dénier au peuple sa souveraineté, c’est lui cracher au visage.

De quel droit vient-on dire, à nous citoyens de la nation que vingt peuples ont salué du nom de grande : « Vous n’avez pas le droit de vous unir, de vous associer, de discuter, en commun et en public, vos droits, vos intérêts ?… » Nous n’avons pas le droit ? Erreur.., Ce droit existe : 1789 et 1830 en sont témoins. La force pourrait seule le ravir ; mais combien dure le pouvoir de la force ?

Arrière donc, pygmées qui voulez arrêter le char de la liberté et faire rétrograder la civilisation ! arrière ! Vous allez être broyés sous les roues : ce sera justice. Et qu’ont-ils donc fait de plus que vous, les hommes que le fort de Ham retient captifs ! Ils sont morts civilement : la même peine attend les prévaricateurs et les contempteurs de la foi jurée.

Industriels de toutes professions ! mutuellistes ! ferrandiniers ! francs-tisseurs ! concordistes ! unistes ! indépendans ! ne craignez donc rien : cette loi est frappée du sceau de la réprobation avant que d’être née. Loin de vous décourager, reliez vos faisceaux, unissez-vous de plus en plus par les liens d’une fraternité généreuse et éclairée : car il faut résister à l’arbitraire sous quelque forme qu’il se présente ; car il n’y a de loi que celle qui est le résultat de la volonté générale.

Si demain on vous prescrivait les heures du travail, celles du repos, de la promenade, le choix de vos vêtemens, leur forme, leur couleur, qu’importerait qu’on décorât du nom de loi un pareil édit ? Eh bien ! la loi qui priverait les citoyens de la faculté naturelle de s’associer, du droit de se coaliser, de parler ou d’écrire, serait aussi tyrannique et absurde : elle ne mériterait pas le nom de loi. « Dire qu’il n’y a de juste ni d’injuste que ce que les lois positives ordonnent ou défendent, c’est dire qu’avant qu’on eût tracé de cercle, tous les rayons n’étaient pas égaux. » (Montesquieu)2.

Espérons-le donc, la chambre des députés aura la pudeur de repousser une tentative aussi odieuse de despotisme. Non, la France n’aura pas à rougir d’un tel avilissement. Citoyens ! vous ferez votre devoir dans tous les cas. Il y a quelqu’un de plus lâche que le tyran qui opprime, c’est l’esclave qui souffre l’oppression : on l’a dit avant nous.

Sur la lettre du baron Charles Dupin
aux chefs d’atelier, composant l’association
des mutuellistes lyonnais.

Chaque homme a sa marotte : celle de M. le baron Charles Dupin est de se croire appelé à figurer en magister dans les débats des ouvriers ; comme si la question des salaires dus aux travailleurs avait quelque chose de compréhensible pour ce fonctionnaire, véritable type des cumulards ; comme si les souffrances de la classe prolétaire pouvaient trouver quelque sympathie sur les bancs où siégent monsieur le baron Dupin et ses monarchiques amis. M. Dupin vient de publier une lettre qu’il a la prétention d’adresser aux ouvriers mutuellistes lyonnais, et pour la leur faire parvenir, il a eu la bêtise (c’est le mot) d’en rendre dépositaire le Journal des Débats, et, par ricochet, le Courrier de Lyon. Est-ce que par hasard les ouvriers lisent ces deux journaux ? Comme un chef-d’œuvre pareil ne saurait être trop connu, son collègue et ami, le maire de Lyon, celui-là même qui veut que les citoyens s’empoignent les uns les autres, l’a fait réimprimer [2.2]et crier dans les rues ; mais depuis que la loi Persili a attribué à la police le monopole de la presse des rues, le peuple n’achète plus rien des crieurs qui s’offrent à lui sous de tels auspices. Les ouvriers risquaient donc de n’en entendre jamais parler. C’eût été vraiment dommage. Heureusement le Précurseur a inséré cette brillante épître dans son numéro du 1er de ce mois, et il a eu soin, pour lui servir d’antidote, d’y joindre les réponses de deux mutuellistes, l’un de Paris et l’autre de Lyon. Nous y renvoyons nos lecteurs, curieux de tout lire ; mais en vérité cela n’en vaut pas la peine… Allons, monsieur le baron ; combien vous a-t-on payé ce plaidoyer en faveur de la monarchie contre la république, car de la question des ouvriers, vous n’en avez pas dit un mot, ou à peu près… Laissez donc là votre marotte, les ouvriers n’ont nul souci de vous et de vos œuvres.


i. Il est juste de donner à chacun ce qui lui revient. Nous proposons de désigner ainsi la loi contre les crieurs publics dont M. Persil a été rapporteur.

RÉPONSE

a la lettre signée UN ANCIEN FABRICANT,

insérée dans le n° du mars

du courrier de lyon.

Il est pénible de revenir toujours sur les mêmes questions, d’avoir à réfuter ce qui l’a déjà été cent fois. M. Falconnet, dans l’ancien Echo de la Fabrique, a établi, par des calculs exacts, le mince bénéfice des chefs d’atelier. S’il n’a pas été répondu suffisamment dans le nouvel Echo de la Fabrique aux allégations de M. Bergeret, contenues dans le Journal du Commerce et qui ne tendaient à rien moins qu’à prouver l’inutilité de ces agens principaux de la fabrication, ce reproche ne peut nous atteindre ; aussitôt que l’Echo des Travailleurs a été créé, il s’est occupé de cette question. On peut voir dans le n. 6 de ce journal un aperçu, non pas des bénéfices, mais des pertes d’un chef d’atelier, par suite de montage de quatre métiers, opéré par lui pour le compte de M. Michel. Nous ne voulûmes pas à cette époque rouvrir une discussion déjà ancienne, et dont il nous semblait que le bon sens public avait fait justice, surtout après qu’un avocat distingué, M. Jules Favre, avait, sur les notes, produites dans le procès des mutuellistes prévenus de coalition, montré aux juges étonnés que ce n’était pas en vain que les ouvriers se plaignaient de leur misère, et que cette misère ne pouvait en aucun cas être attribuée à l’égoïsme des chefs d’atelier. Mais puisque cette thèse peu loyale est remise en lumière et que le Courrier de Lyon ne craint pas de la produire, nous nous en occuperons sérieusement, et cela dans un temps prochain. En attendant, nous nous bornerons à répondre aux inexactitudes de l’ancien fabricant qui pourrait bien être tout simplement un fabricant d’aujourd’hui, et qui a pris pour tribune le Courrier de Lyon : ce journal qui a inséré l’attaque verra s’il n’est pas de toute justice d’insérer la réponse. Il montrera, par sa conduite, s’il est de bonne foi.

La première et principale assertion de l’ancien fabricant est qu’un métier de peluches peut faire deux aunes par jour. C’est une erreur matérielle. On compte seulement 5 à 600 chefs d’atelier pour cette partie, et en tout, même en y comprenant environ 300 métiers que les nég. sont parvenus à grand’peine à établir dehors la ville, 1800 métiers au plus. En admettant avec le correspondant du Courrier de Lyon 250 journées de travail, la fabrication n’a pu être que 450,000 aunes, et nous défions que par le recensement des chapeaux confectionnés on établisse une fabrication plus considérable, et dès-lors il faut tenir pour vrai qu’un métier de peluches ne fabrique l’un dans l’autre qu’une aune par jour. Ce fait doit, selon nous, contrarier singulièrement les calculs qui ont suivi. Si l’on doutait encore, une enquête serait facile, car il n’y a que vingt maisons qui confectionnent ce genre ; et sur ce nombre, 6 seulement qui ne confectionnent que lui. Mais il ne faudrait pas que cette enquête fût faite avec la précipitation que le conseil des prud’hommes a mise à la dernière qu’il a prétendu vouloir faire, et que dans nos ateliers nous appelons l’enquête des deux heures, parce que, commencée à neuf heures du matin, elle fut finie à onze. Aussi qu’est-il arrivé ? Le conseil a précisément constaté ce qui n’est pas ; nous pouvons, et ce n’est pas un hors d’œuvre [3.1]de le dire ici, lui prouver que contrairement à ce qu’il affirme que quelques négocians n’ont jamais moins payé de 2 fr. 25, nous avons eu sous les yeux, et nous montrerions au besoin des livres où les prix sont descendus à 2 fr. et même à 1 fr. 75 c. Que les négocians qui se sont rendus coupables de pareils méfaits nous sachent gré de notre réserve ; nous ne voulons pas livrer leurs noms à la vindicte publique ; Mais si dans des temps plus calmes ils continuaient une si odieuse spéculation, nous nous verrions forcés de les signaler comme des usuriers de salaires.

Continuons à répondre à l’anonyme : nous établirons notre compte sur un poil de peluches de 10 portées, réduction de 14 à 15 fers au pouce, et au prix courant de 2 fr. 25 c. Afin de nous rapprocher le plus possible de notre adversaire, nous porterons à 5/4 la journée, et nous expliquerons plus bas pourquoi.

250 jours de travail, à 5/4 par jour, font 312 aunes et 1/2, à 2 fr, 25 c. : 702 f. 62 c. 1/2.
Frais à déduire : pliage de 5 pièces de 60 à 65 aunes, à 50 c. au lieu de 30, ce qui est une erreur matérielle : 2 fr. 50 c.
Pliage de cinq poils, de 300 à 350 aunes, à 3 f. 50 c., au lieu de 3 f., ce qui est encore une erreur : 52 fr. 50 c.
Tordage de 5 pièces et nourriture de la tordeuse, le tout à 1 f. 25 c., au lieu de 1 fr. 10 c. : 6 fr. 25 c.
Tordage des 15 poils à 1 f. : 15 fr.
Remettage et nourriture, au lieu de 2 fr. 25 c. : 4 fr. 50 c.
Total : 80 fr. 75 c.
Reste : 621 f. 87 c. 1/2.

Il y a beaucoup, plus de chefs d’atelier qui n’ont qu’un métier de peluches que de ceux qui en ont cinq, Ainsi, en admettant la base que nous avons suivie, et supposant, ce qui est fort probable, que ce chef d’atelier a une femme et deux enfans dont elle est obligée de prendre soin, indépendamment des travaux du ménage et de la confection des cannettes dont nous n’avions pas parlé, on trouve pour tout ce monde 621 fr. 87 c., soit 155 fr. 46 c. et 1/2 pour chaque individu, et par conséquent 1 fr. 70 c. par jour, un peu moins de 43 c. pour chacun.

Maintenant, pense-t-on que ce soit cette famille elle-même qui puisse occuper les métiers ? Cela n’est pas et ne saurait être. L’article peluche exige des hommes faits. Continuons donc le calcul fait tout à l’heure, et disons que ce sont des compagnons qui occupent les métiers. Ainsi, à la somme de 80 fr. 75 c. de frais, il faut ajouter 390 fr. 62 c. et 1/2 pour la façon du compagnon, à raison de 1 fr. 25 c. par aune, 15 fr. 62 c. et 1/2 pour dépense de cannetage. Nous évaluerons à 40 francs seulement le prix de la couche fournie au compagnon par le chef d’atelier, et les conséquences naturelles, en sorte que sur la somme totale de 702 fr. 62 c. 1/2, prix du travail d’un métier, il faut déduire 527 fr., reste pour le chef d’atelier : 175 f. 62 c. 1/2.
Ajoutons un second métier : 175 fr. 62 c. 1/2.
Plus, le métier qu’il occupe, frais déduits : 621 fr. 87 c. 1/2.
Total : 973 fr. 12 c. 1/2.
Il faut bien déduire le loyer. Pour un atelier de trois métiers, ce loyer est au moins de : 220 fr.
Reste : 753 fr. 12 c. 1/2.

Déduirons-nous encore les frais d’achat des harnais, réparation, usure annuelle ? Non, mais il faut bien par la pensée du moins en tenir compte. Nous nous sommes arrêtés à trois métiers, parce que c’est l’usage, et que nous voulons raisonner sur des faits positifs.

Nous avons promis d’expliquer pourquoi nous portions à 5/4 par jour la journée des peluches légères, quoique nous ayons basé en commençant notre calcul sur une aune : c’est qu’il existe diverses qualités de peluches. Il en est dont les réductions ne permettent pas de faire plus d’une aune ; il en est dont la journée n’est que de 3/4 : ce qui revient l’un dans l’autre à une aune et aux mêmes bénéfices, à peu de chose près. En effet, 280 aunes à 2 fr. 50 c font 700 fr. ; 260 aun. à 2 fr. 75 c. font 715 fr. ; 240 aun. à 3 fr., 720 fr. ; et 210 aun. à 3 fr. 50 c. 735 fr. Il est facile de voir par-là [3.2]qu’il ne reste toujours que le même bénéfice au chef d’atelier de 175 à 180 sur chaque métier occupé par un compagnon. Ce dernier gagnera de 390 à 400 fr. par an, soit 1 fr. 56 c. par journée de travail : ce qui, en ne comptant que 255 jours ouvrables, fait un peu moins de l fr. 10 c. par jour ; et l’on mange tous les jours.

C’est donc bien à tort qu’on essaierait de troubler l’harmonie qui existe entre les chefs d’atelier et les compagnons : elle est basée sur une connaissance parfaite, et les compagnons ne se plaignent nullement d’être exploités par les chefs d’atelier. Ceux-ci, comme on le voit, ne se bornent pas à un simple louage de métier, comme le Courrier de Lyon et, avant lui, le Journal du Commerce avaient essayé de le dire. Ils partagent avec eux les peines de la fabrication, et leur épargnent d’autres peines et dérangemens qui compensent au-delà la partie du salaire qu’ils retiennent ; et cette partie varie. Ainsi, dans les peluches, le maître ne prélève pas, comme on l’a vu ci-dessus, la moitié franche de la fabrication ; il ne le fait que dans les articles façonnés, où les montages de métiers sont dispendieux, peu suivis, ou les ustensiles s’usent rapidement ; et dans ceux où les frais de dévidage et de cannetage sont considérables. Mais les articles velours, peluches, crêpes, ont toujours fait exception ; et l’industriel auquel nous répondons a fait une citation malencontreuse en parlant d’un chef d’atelier aux Brotteaux qui, occupe 50 métiers, et seul, s’est déterminé à donner, les 2/3 de la façon à l’ouvrier tisseur. Cette citation est inexacte : il aurait dû ajouter que c’étaient des métiers de crêpes ou autres articles semblables, qui n’exigent aucuns frais, articles sur lesquels il a toujours été d’usage de payer les 2/3 du prix payé par les négocians. Cet usage existe depuis fort long-temps, et il est suivi dans les ateliers de 3 métiers comme dans ceux de 50 métiers, et avec tout cela les ouvriers gagnent de 1 fr. à. 1 fr. 15 c. par jour.

Nous ne répondons rien aux plaisanteries de l’ancien fabricant qui terminent son article. Il est assez malheureux pour les ouvriers de supporter les privations produites par l’état de gêne qui résulte pour eux de l’abaissement des salaires, sans qu’on y joigne, laissant de côté toute pudeur, l’insulte, et l’ironie plus cruelle que l’insulte.

Un Peluchier, franc-tisseur.

CONSEIL DES PRUD'HOMMES.

Présidence de M. Riboud.

(Séance du 6 mars 1834).

La demoiselle Favier, apprentie, assistée de son père, réclame à Tholomé, fabricant de velours, la résiliation des engagemens, la restitution du métier qu’il avait fourni pour que sa fille apprenne à travailler, etc., et ce, attendu que la femme Tholomé qui, seule sait travailler, apprend à son mari, qui était précédemment cultivateur, au lieu d’apprendre à son élève ; de plus il se plaint qu’il a été exercé contre sa fille des voies de fait. Le conseil ayant fait précédemment une enquête, résilie les engagemens, ordonne que le métier sera rendu et l’apprentie se replacera en la même qualité.

Barge, fabricant, réclame à Napoly, négociant, un déchet plus considérable que celui qui lui a été alloué sur l’article chaly. Le déchet alloué était de 30 grammes par kilogrammes. Napoly fait observer que Barge a employé souvent du déchet pour marquer la fin des mouchoirs et que les matières sont données dévidées sur fuseau. Le conseil a débouté Barge de toute répétition.

Iserabe assiste son fils qui était pour faire un second apprentissage chez Perrachon , fabricant ; il demande à ce dernier le paiement de 75 c. par aune que son fils a fait sur une coupe, de velours ; le temps de l’apprentissage était pour un an. Perrachon fait observer que l’apprenti est chez lui depuis 4 mois, qu’il lui a promis en effet 75 c. par aune s’il faisait demi-aune par jour, et qu’il n’a fait jusqu’à ce jour que 10 aunes, et même très mal, ainsi qu’il résulte du certificat délivré par le négociant ; de plus que l’élève ne veut pas rester davantage chez lui. D’après l’aveu du père que son fils ne veut pas rentrer, le conseil alloue 50 francs d’indemnité au fabricant, renvoie l’élève à son premier maître pour avoir un livret s’il juge convenable.

Serre, ouvrier cordonnier, demande la résiliation des conventions passées avec Chassagnac, cordonnier ambulant, attendu que ce dernier le faisait travailler plus d’heures [4.1]qu’il ne pouvait et ne lui donnait pas une nourriture convenable. Chassagnac dit qu’il le nourrit et loge comme lui et lui donne en outre 260 fr. pour 10 mois. Le conseil ayant fait une enquête sur l’usage de cet état et la manière que Serre est nourri, résilie les conventions et aloue 5 fr. d’indemnité à l’ouvrier pour temps perdu, attendu que Chassagnac lui avait retenu ses outils.

N., fabricant, et demoiselle B., apprentie. L’acte d’apprentissage est résilié par suite de l’inconduite du fabricant à l’égard de son apprentie.

Rivière frères, imprimeurs sur étoffes aux Brotteaux, demandent la résiliation de l’apprentissage de Peyssonneau, attendu qu’il ne fait pas son devoir. Le conseil décide que l’apprenti rentrera le 12, et l’atelier est mis sous la surveillance de M. Verrat.

Eglise St-Simonienne.

L’espace nous a manqué jusqu’à ce jour pour insérer le récit d’un enterrement St-Simonien qui a eu lieu dernièrement à Lyon selon le rite de ce nouveau culte. Marie cotton, femme de la Mère, est décédée le 7 février dernier. Le lendemain un grand nombre des membres de la famille St-Simonienne des deux sexes se sont réunis pour l’accompagner dans sa dernière demeure. Le cercueil était couvert d’un drap bleu, portant un globe noir, avec ces mots : Transformation progressive, et de chaque côté, ces mots : Foi nouvelle, vie éternelle, entouré d’étoiles d’or. Ces signes n’ont pu être mis en évidence que hors la ville : l’autorité avait exigé que pendant le trajet du domicile de la défunte, le drap fut mis de manière à les cacher. La nouveauté du spectacle avait attiré beaucoup de monde. Arrivés au cimetière, Mme Eugénie L…, femme S… , a prononcé l’allocution suivante :

mes frères et mes sœurs, j’éprouve le désir de vous faire connaître plus particulièrement notre sœur en communion. Marie Cotton, femme de la mère, vient de passer avec joie à sa transformation. J’ai reçu ses adieux et l’assurance de sa foi vive en DIEU, au PÈRE, à la venue de la MÈRE. Sa dernière heure a été douce, parce qu’elle sentait en elle une confiance profonde dans un avenir plus heureux. Douée d’une grande force de caractère, d’une conception facile, d’une intelligence profonde, d’une moralité éprouvée, notre sœur, si sa santé le lui eût permis, aurait fait de grandes choses. Mais une vie continuelle de douleurs et de souffrances aiguës, en débilitant son corps a empêché à son ame généreuse de montrer dans son étendue toute sa capacité. Espérons pour elle une vie meilleure dans l’avenir ; ce sera sa récompense de sa vie passée ici bas, qui fut toujours morale et pure. Sa mission a été bien remplie. Gloire à Dieu ! mes frères et mes sœurs. Adieu ma sœur ! Adieu mon amie !

Deux apôtres ont ensuite expliqué la foi St-Simonienne, et tout le monde s’est ensuite retiré. On a laissé le globe sur la tombe de la défunte.

ENCLUME OU MARTEAU.

Adieu, mon pauvre Otivel. – Adieu, mon oncle. – Sois toujours doux et modeste, probe et généreux. – Oui, mon oncle. – Et tu feras ton chemin à Paris.

Cela n’est pas sûr, dit une voix dans la diligence qui roulait vers la capitale, emportant le jeune orphelin, l’œil encore humide et faisant à son vieil oncle des signes d’adieu par la portière.

Quand Otivel se retourna pour s’asseoir, il ne trouva plus de place. Chacun s’efforçait de s’élargir pour en avoir trop, dans la crainte de ne pas en avoir assez.

Le jeune homme ne fit pas attention à cette première leçon de l’égoïsme civilisé, il salua d’un air presque suppliant tous ses compagnons de voyage en murmurant à demi-voix : Mon Dieu !… je ne sais comment faire ?… N’y aurait-il pas moyen, messieurs ?… Mais tout le monde se mit à rire et personne ne bougeait. Cela dura deux minutes. Heureusement sa situation impatienta un quidam, d’une physionomie sévère ; il prit en pitié le pauvre garçon, et, réclamant la place qui lui était due, il fit ouvrir un petit intervalle où se glissa le voyageur novice avec mille actions de graces à son protecteur.

C’était un homme de quarante ans à peu près, à l’air mélancolique, au regard sombre ; ses yeux, enfoncés sous d’épais sourcils, étaient à demi-fermés ordinairement, mais quand il parlait, ils s’ouvraient très grands, pétillaient d’esprit et lançaient des flammes. Les traits de son visage étaient fortement prononcés ; on voyait, au pli de son front, à sa lèvre inférieure habituellement avancée au-dessous de l’autre, aux coins dédaigneusement relevés de sa bouche qu’il [4.2]appréciait le monde et la vie, et qu’il en avait beaucoup usé.

Bien qu’il ne fût pas causeur, il joignit un conseil au service qu’il venait de rendre. – Vous allez à Paris, continua-t-il ; prenez garde de vous y conduire comme ici. – Je ne vous comprends pas. – Je veux dire qu’il ne faudra pas permettre comme tout à l’heure qu’on vous prenne votre place… – Oh ! monsieur, c’est bien différent. – Pas du tout, c’est la même chose ; on en fera autant pour chaque position physique et morale, politique ou pécuniaire qui vous arriveront dans la vie si vous ne les défendez pas, mieux. – Je ne sais pas encore quelle position me sera accordée dans le monde. – On n’y occupe jamais comme il faut que celle qu’on sait y prendre, rappelez-vous en bien, jeune homme, et non celle qu’on vous accorde et sur laquelle chacun empiète insensiblement si vous-même n’empiétez pas sur chacun ; et, pour exemple, tenez, voyez votre voisin à demi-couché sur la banquette et qui pourtant, afin d’être plus à son aise encore, vous enfonce son coude dans l’estomac ! Bientôt vous ne serez plus assis ; et, dans une minute, il vous aura poussé à terre.

A ces paroles l’usurpateur rentra dans ses limites, et Otivel reprit, avec sa respiration, l’intégralité de son coussin, en renouvelant ses remercîmens à son défenseur, qui se mit à rire en disant : Je ne serai pas toujours avec vous, mais n’oubliez pas que les choses de la vie sociale sont comme celles de la nature, au premier occupant, moyennant certaines formalités convenues. La civilisation est une espèce de pillage particulièrement organisé.

A ce propos donné comme un axiome, une sorte de hourra partit de toutes les bouches : C’est immoral ! c’est impie ! c’est scandaleux, s’écria chaque voyageur ! car les lois, la justice défendent tout envahissement ! – Le défendent-elles ou le protègent-elles quand il est fait, dit l’homme au rire sardonique ? c’est une question. – Comment, une question ? Nous ne sommes pas des sauvages peut-être ? – Il s’en faut beaucoup certainement, répondit l’individu attaqué ; puis il ne dit plus rien dans la discussion, qui devint générale.

Otivel n’y prit aucune part : à son âge il ne la comprenait pas. Mais il se la rappela dix ans plus tard, en rencontrant le bizarre personnage qui lui avait donné de si singuliers conseils. Pour le moment il s’endormit d’un profond sommeil, en répétant tout bas avec confiance la recommandation de son oncle :

« Sois doux et modeste, probe et généreux, et tu feras ton chemin à Paris. »

(La suite au prochain Numéro.)

PARIS, 24 février. – M. Lionne, gérant de la Tribune, a été condamné, par défaut, à CINQ ANS de prison et DOUZE MILLE FRANCS d’amende pour son N° du 17 novembre dernier.

28 février. – M. cabet a été condamné à 4,000 fr. d’amende, ans de prison et à 2 autres années d’interdiction des droits civiques. (Le minimum était de 6 mois de prison et le maximum 5 ans. L’amende était de 500 à 10,000 fr. Quant à l’interdiction des droits civiques, elle était facultative, et est presque tombée en désuétude. Il est le premier écrivain auquel on l’ait appliquée). – Cette journée unique dans les fastes de la monarchie représentative n’a de précédent analogue que l’expulsion de Manuel. Cet arrêt a plongé Paris dans la stupeur et aura du retentissement dans toute la France. – M. cabet est l’un de nos plus grands citoyens, il fut l’ami de Manuel, il est celui de tous les députés patriotes. – La défense représentée par Me Marie et M. Garnier-Pagès faisait espérer un meilleur résultat. – M. Cabet s’est pourvu en cassation.

mars.– Le National de 1834 a été saisi.

LYON. Le citoyen Tiphaine a été arrêté comme complice du complot dit de St-Etienne. Il doit être transféré dans cette ville.

– Lundi dernier on a enclos le terrain de la place des Jacobins, destiné à recevoir un nouveau théâtre.

– Les listes des électeurs communaux ont été affichées mardi dernier. Le délai pour réclamer expirera le TROIS AVRIL prochain. Il y a, 1° 4 264 électeurs censitaires, dont le plus imposé (M. Canard) paye 6,199 f. 39 c., et le moins imposé (M. Paty) 120 f. 40 c. ; 2° 654 électeurs pris en dehors du cens des contributions. En tout 4845.

Théâtre des Célestins.

Mardi prochain, ce théâtre donnera un spectacle qu’on nous annonce devoir être intéressant, au bénéfice de Mlle Baudoin, jeune artiste qui promet d’occuper sur la scène une place distinguée. Le Sauveur, vaudeville en trois actes ; les Malheurs d’un joli Garçon (notre charmant Breton remplira le rôle du joli garçon) ; et enfin un drame en cinq actes : L’Infame ou le Guelfe et le Gibelin, par l’auteur de la Tour de Stockholm, composeront le spectacle.

Notes (EPHEMERIDES LEGISLATIVES. [1.1] Chambre des...)
1 Parmi les Pairs ou Députés nouvellement mentionnés dans ce numéro, on trouve, Gabriel Gratet du Bouchage (1777-1872), Augustin Giraud (1796-1875)

Notes (DU PROJET DE LOI qui proscrit les Associations ....)
1 Comme Jean-Charles Persil  ou Jean-Pons Guillaume Viennet, Jacques-Alphonse Mahul (1795-1871) ou Fidèle-Marie Gaillard de Kerbertin (1789-1845) défendaient avec zèle les mesures conservatrices décidées alors par Guizot.
2 Tiré de L’Esprit des lois de Montesquieu.

 

 

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