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22 mars 1834 - Numéro 35
 

 




 
 
     
la liberté sociale.

[1.1]Le temps est passé de faire de la métaphysique sociale, du mysticisme constitutionnel, de l?avocasserie politique ; le temps est arrivé de la pratique, de la vérité, de la réalisation.

Il y a deux sortes de libéralisme : le libéralisme négatif et le libéralisme positif.

Il y a deux espèces de liberté : la liberté de droit et la liberté de fait.

Nous ne voulons plus seulement du libéralisme négatif et de la liberté de droit ; nous voulons, entendez-le bien, de la liberté de fait et du libéralisme positif.

Nous sommes las de ces mystifications d?avocats et de publicistes qu?on nous a fait prendre jusqu?ici pour des principes de science sociale. Nous sommes las de ces déceptions, au moyen desquelles nos gouvernans voudraient nous faire croire que tout va pour le mieux.

Vous avez, dites-vous, proclamé les droits de l?homme. ? Quels sont-ils ? ? La liberté, la propriété, l?égalité. ? C?est très bien ; mais vous les avez proclamés pour ceux qui les avaient ; vous ne les avez pas donnés à ceux qui ne les ont pas, ou plutôt vous ne leur avez pas donné la possibilité de s?en servir, de les féconder, de changer ces droits en faits. Car, sur trente-trois millions d?hommes qui composent le chiffre total de la population française, il en est au moins vingt-cinq millions qui ne sont pas libres de développer et de mettre en ?uvre leurs capacités, qui ne trouvent ni l?instruction, ni la moralité, ni les ressources qui sont accaparées par les autres, qui passent leur vie sans posséder autre chose que la lumière qui tombe du soleil, l?eau qui coule le long des grandes routes. Je ne parle pas des six pieds de terre dont la propriété est réservée à leur cadavre.

Que m?importe à moi que l?on m?annonce pompeusement que les Français sont égaux devant la loi, si je meurs de faim! Que m?importe que l?on me prouve longuement qu?il m?est permis de faire tout ce que la loi ne défend pas, si la loi ne me permet pas de vivre!

Votre société n?est qu?une marâtre qui, après m?avoir privé de tout, me livre à toutes les angoisses de l?individualisme et de l?isolement. Votre liberté n?est qu?une dérision cruelle qui se réduit à me donner à choisir le genre de misère où je veux tomber, le genre de mort qui peut m?en sortir.

Vous dites laisser faire et laisser passer, bien sûrs que vous êtes qu?il n?y aura que vous et vos amis qui pourront profiter de la gracieuse permission. Vous voulez la concurrence illimitée, bien convaincus que dans ce combat que vous permettez à tous ce seront toujours les riches qui remporteront la victoire. Et puis, si des milliers d?hommes viennent lever leur tête misérable et dégradée pour dire qu?ils n?ont pas pu faire, qu?ils n?ont pas pu passer, qu?ils ont succombé dans la lutte et qu?ils se meurent de désespoir, on leur répond : Ce n?est pas notre affaire, vous êtes libres ; et si leur désespoir ajoute une parole, c?est le canon qui fait le reste de la réponse. Car il ne faut pas que leurs râles d?agonie viennent troubler l?ordre public.

[1.2]En un mot, on prend les trois quarts de la France, et, après leur avoir coupé les jambes et les bras qu?on accorde en surplus au quart privilégié qui reste, on les jette sur le pavé, en leur disant qu?ils ont la liberté de marcher, pourvu qu?ils se conforment aux lois sur la police des rues. La police des rues veut que l?on meure sans rien dire.

Voila cependant ce que depuis bien long-temps beaucoup de gens appellent la liberté.

Mais vous exagérez, dira-t-on, vous exagérez beaucoup. Il n?est pas vrai que l?on soit ainsi irrévocablement écrasé. J?ai connu un homme qui n?avait rien, et grace à ces institutions libérales, il s?est acquis une brillante fortune. ? Remarquez d?abord qu?il n?est personne qui n?ait connu un homme, lequel, en partant de rien, a fait une fortune brillante. Mais qu?est-ce que cela prouve, sinon que d?exploité qu?il était, il est devenu exploitant ; d?écrasé, écrasant, parce que ses bras et ses jambes lui ont par hasard repoussé. Dans tous les cas, je défie que l?on pose en règle générale que les bras et les jambes repoussent.

Non, non, ce n?est pas cette liberté métaphysique, dérisoire, négative qu?il nous faut. La liberté que nous voulons, la liberté de l?avenir sera plus large que celle-là.

Nous voulons bien qu?on nous laisse faire, qu?on nous laisse passer ; mais nous voulons en même temps avoir des jambes pour marcher, des bras pour agir. Nous voulons bien la concurrence, mais la concurrence avec des chances pour tous, la concurrence qui n?est pas une lutte désastreuse, un combat à mort, un champ clos où tans d?infortunés arrivent sans armes pour être impitoyablement égorgés. Nous voulons une société où tous les hommes puissent trouver de l?instruction, de la moralité, du travail et des ressources selon cette moralité, et cette instruction ; une société où chaque homme puisse dire : Le gouffre de la misère est fermé derrière moi ; le champ de la fortune est ouvert devant moi si je me rends digne d?y entrer.

Nous concevons toutefois qu?après la chute d?un vieux monde, l?humanité ait dû momentanément se trouver dans cet état déplorable. En quittant la terre d?oppression et d?esclavage, et avant d?arriver à la terre promise, les Hébreux traversèrent le désert.

Mais notre traversée doit être finie ; il est temps, il est urgent d?arriver.

F. F.

Prééminence du travail.

? La plus grande, la plus sainte de toutes les propriétés et de toutes les richesses, c?est celle du travail ; car le travail sort immédiatement des bras, et pour ainsi dire des ossemens de l?homme : la vue de l?objet travaillé rappelle immédiatement un être animé et intelligent ; vous croyez le voir s?épuisant en efforts ; vous croyez l?entendre fredonnant le refrain de la distraction. Le travail est la montre de l?intelligence ; il porte l?empreinte et réveille l?activité de cette magnifique faculté. Si pour vous c?est chose sacrée que l?homme, le travail où l?on peut saisir encore la trace de sa main, la conception de son esprit, l?harmonie de sa raison, [2.1]les créations de son imagination, le travail, qui réfléchit la vie de sa vie, et révèle sa perfectibilité, vous doit être aussi sacré que sa personne.

Dites-moi ce que deviendrait la croûte de la terre sans l?aspect animé que lui inspire un intelligent labeur, et sans la féconde parure dont l?industrie l?embellit ? Que dirait à votre c?ur la surface terrestre, si fière de ses capricieuses marqueteries ? Et pourtant la richesse du travail n?a jamais été considérée dans les systèmes politiques ; encore aujourd?hui elle n?est attributive d?aucun droit. Il est donc vrai que nous sommes, plus que nous ne pensons, mâchurés des préventions de l?ancienne féodalité, et qu?il nous reste quelque chose du mépris qu?en ces temps barbares on avait conçu pour l?espèce humaine ; qu?il nous reste quelque chose de ces m?urs qui faisaient trouver l?esclavage tout naturel, qui ravalaient les hommes au niveau des troupeaux, et sous le règne desquelles la tête d?un homme n?était guère qu?une tête de plus dans un cheptel ; sous le règne desquelles il se trouvait taillable à merci et attaché à la glèbe comme le chambranle à l?appartement. La terre était tout alors ; la terre donnait droit aux offices, aux honneurs ; la terre et le nom de la terre distinguaient les seigneurs ; la terre attribuait la gloire et les diplômes ; la terre méritait à ses possesseurs les grades d?officiers, de généraux, de connétables, de pairs, de rois ; la terre élisait (et élit encore de nos jours) les notables, les députés, les électeurs : la richesse du travail ne transférait rien de tout cela ; c?est à peine si nos politiques de 1830 prennent garde encore à cette puissance nouvelle ; ils ne voient toujours que la terre. La terre produit-elle donc plus que le travail ? Voyons : tout compte fait le chiffre des productions territoriales s?élève annuellement à quatre milliards environ ; le chiffre des productions des mains de l?homme dépasse quinze milliards. Le capital représenté par les bras français est donc quatre fois environ plus important que le capital de toutes les propriétés foncières ; et pourtant il est compté pour rien!

Il faut dire qu?il en fut ainsi des capitaux mobiliers ou industriels jusqu?en 89 ; ils furent émancipés par notre première révolution, et aujourd?hui les financiers, les banquiers et les négocions traitent avec les propriétaires d?égal à égal ; ils partagent avec eux les droits électoraux et les chances de l?éligibilité ; c?est un progrès! Faudra-t-il donc un autre 89 pour émanciper la plus noble, la plus vivante, la plus utile des richesses : celle qui vivifie toutes les autres ? Car enfin, si vous n?aviez la puissance des bras pour mouvoir et féconder la terre, pour utiliser les capitaux et leur donner vie, il ferait beau vous voir avec vos pierres, vos genêts et vos broussailles ; il ferait beau vous voir assis sur la caisse où gisent vos trésors ! Voyez, s?il vous plaît, quelle extravagance ? La plus productive des richesses, l?ame de toutes les autres, est dans notre siècle en état de supplication et de servitude devant celles qui lui doivent tout! Elle est délaissée, dédaignée, sans rang politique, sans représentans, recevant partout pitié et quelquefois mépris! Voila, certes, un non-sens dans les idées morales de nos jours. Il n?y a vraiment pas de logique dans la hiérarchie des richesses. Eh bien! la tâche de l?avenir est de replacer chaque chose en son lieu, et de rendre la préséance au mérite ; la richesse des bras doit avoir le pas sur les autres, et, comme les autres, doit conférer tous les droits civiques ; telle est la tendance des idées à mesure que la civilisation gagne. Les différentes richesses seront classées en premier ou en second ordre, selon qu?elles toucheront de plus près à l?intelligence, qui est le principe civilisateur.

(Extrait des publications de la Propagande Démocratique lyonnaise).

Nous croyons faire plaisir aux lecteurs en leur donnant quelques extraits du discours que M. pagès (de l?Arièges) a prononcé, le 12 de ce mois, à la Chambre des députés dans sa discussion du projet de loi contre les associations.

C?est à l?association que nous dûmes jadis toutes nos libertés : la commune, le droit municipal, les milices nationales. C?est à l?association que nous devons toutes nos industries dont l?origine est dans les corporations d?arts et métiers. C?est à l?association que nous devions tout ce qu?il y avait de morale et d?humanité dans la classe populaire : ces confréries soignant les malades, abritant les pauvres, faisant vivre les ouvriers sans travail.

Sous un gouvernement qui comprend et qui veut le bien-être du pays, ces sociétés ne sauraient être périlleuses. Malgré sa tyrannie, Louis XI les protégea mieux que Louis XII ; malgré son despotisme, François Ier les garantit autant que Henri IV. Et toutefois, pour être sans péril, elles n?étaient pas sans turbulence : leur liberté, conquise par la force, fut conservée [2.2]par la force jusqu?au jour où, conservée par le temps, le pouvoir la sanctionna comme un droit.

L?empire n?accueillit la liberté qu?en la plaçant sous la tutelle du despotisme : de là l?art. 291 du Code pénal. Ses prévisions pouvaient sembler alors spécieuses à un pouvoir ombrageux. Le chef de l?empire était en désaccord avec le chef de l?église, et il prohibait les associations religieuses ; le despotisme ne peut se trouver sans péril face à face avec la liberté, et il prohibait les associations politiques ; corrompu par cette littérature servile qui brûlait de l?encens pour recevoir de l?or, le pouvoir prohibait cette littérature indépendante et fière qui préférait la liberté à la gloire, la France à son maître, et qu?il fallut persécuter parce qu?on ne pouvait l?avilir. Dans les serres de l?aigle vint se débattre et mourir le droit d?association. La restauration trouva et conserva cet article dans le Code pénal.

[?]

Les troubles de Lyon sont d?une nature plus grave : ils signalent une plaie sociale, et doivent par cela même effrayer toutes les positions personnelles et tous les genres de propriété. Mais, en 1831, une première catastrophe ne vous avait-elle pas frappés d?un sinistre avertissement ? Qu?avez-vous fait en présence de ce grand désastre, qui eût captivé toutes les médiations d?un homme d?état ? Vous avez laissé le hasard diriger les événemens, et un nouveau trouble vient vous annoncer que l?industrie de Lyon se meurt, et que cinquante mille ouvriers qui travaillent ne peuvent plus vivre du salaire de leur travail.

Et, dans ces graves conjonctures, vous nous offrez, comme panacée, l?art. 291 du Code pénal!

Fermer la bouche du pauvre qui souffre, ce n?est pas détruire la douleur ; dissoudre une réunion d?ouvriers qui cherchent une meilleure répartition du salaire, qui veulent s?entr?aider les uns et les autres, améliorer leur existence, marcher, en se donnant la main, vers une vie moins dure, c?est s?opposer au progrès social, c?est attenter aux droits de l?humanité, c?est manquer, non-seulement de charité et de christianisme, mais de sagesse vulgaire et de politique.

Votre loi n?atteindra pas seulement le malheureux prolétaire, l?homme de la misère et du travail, ce n?est pas lui seul que vous condamnez à vivre craintif et solitaire auprès de son âtre sans feu et de sa famille sans pain. Si l?ouvrier de Lyon ne peut s?associer pour réclamer un meilleur salaire, les négocians de Bordeaux ne pourront plus se réunir pour demander une plus sage organisation des douanes, les propriétaires de vignes pour réfléchir sur de meilleurs impôts indirects. Il faut tout comprimer ou ne rien atteindre ; aucune plainte collective ne pourra parvenir jusqu?à vous, et vous ferez comme les tyrans : diviser pour régner, isoler pour détruire.

[?]

Votre loi ne détruira pas les associations, elle sera donc impuissante ; elle changera les sociétés publiques en sociétés secrètes, elle sera donc funeste. Ainsi, par la sagesse des divers pouvoirs, l?art. 291 était depuis vingt ans tombé en désuétude, parce qu?il était inutile et sans objet.

Comment le faites-vous revivre ? En l?étendant, non-seulement aux associations de vingt personnes, mais encore aux sections de cette association d?un nombre moindre. Comment établirez-vous qu?il existe une association dans une réunion de vingt personnes ? Comment prouver que plusieurs personnes réunies forment une section d?une association qu?on n?a pas encore saisie ? Comment prouver l?affiliation d?une section à une autre ? Comment prouver qu?une société, connue sous un nom, est une fraction d?une société connue sous un autre ? Comment établir le nombre de personnes nécessaire pour composer une fraction d?association ? Un individu formera-t-il une fraction d?association à lui seul ?

Mais ne voyez-vous pas que c?est détruire toute relation, briser tous les n?uds de la société, faire une loi de suspects, une loi d?oppression et de tyrannie ?

Voyez la loi sous un autre aspect : ne peut-on l?étendre à toutes les associations non autorisées par la police ; à la petite-église ; aux diverses sectes religieuses ; à toutes les sociétés de bienfaisance et de charité ; à ces hommes, à ces femmes qui se dévouent au soulagement du pauvre, aux soins des malades, à l?instruction des enfans ; aux sociétés littéraires ; aux conférences d?avocats ; aux répétiteurs de collège ? Tout rentre dans votre loi. Au-dessus de vingt, ils forment une association ; au-dessous de vingt, ils font une fraction. Religion, humanité, bienfaisance, vous pourrez tout détruire, et, dans le système de frayeur où vous êtes entrés, vous détruirez tout.

Dans le Code pénal, c?est une main de fer qui ferme la porte à la terreur ; ici on veut faire peur parce qu?on tremble. Le Code punit le propriétaire qui accorde ou consent l?usage de sa maison pour une association qui se réunit tous les jours ou à certains jours marqués, Il y a oppression, mais il y a justice ; le propriétaire ne peut se méprendre ni sur son consentement propre, ni sur le but de l?association. Vous, au contraire, vous voulez punir ceux qui prêtent ou louent pour une ou plusieurs réunions. Ainsi le propriétaire est puni, pour une réunion dont il ne connaît pas l?objet, pour l?usage qu?on fait à son insu de sa maison ou d?une partie de sa maison : il est contraint de devenir l?espion de police de ses locataires, car, s?ils sont coupables, il est complice. Mais vous voulez qu?il soit complice de ce que ses locataires font dans leur appartement! Peut-il le savoir sans être espion ? peut-il le dire sans être délateur ? Il faut toutefois qu?il le sache et qu?il le dise, non de peur des seize francs d?amende du Code pénal, mais sous peine de mille francs d?amende et d?un an du prison! La commission peut réclamer un brevet pour sa découverte : Machiavel, l?inquisition, la police n?étaient pas allés jusque-là.

Je devrais encore envisager la loi sous un autre point de vue ; je me borne à l?indiquer. Maîtres de permettre ou d?empêcher, vous enhardirez toutes tentatives d?association contre toute espèce de liberté. Vous maintiendrez les réunions de fabricans qui veulent diminuer le salaire, et vous détruirez les sociétés d?ouvriers qui veulent en accroître le taux. C?est la lutte du fort contre le faible et du riche contre le pauvre, de la ruse contre la loyauté, de l?instruction jésuitique contre l?enseignement mutuel.

Messieurs, un mouvement irrésistible pousse le genre humain vers le progrès : tout homme de c?ur, de talent, de prévision, doit s?associer à [3.1]cette tendance générale, universelle. Les gouvernemens stationnaires, les chambres rétrogrades se perdront sur la route. Soldats de la liberté, nous devons combattre pour elle, mais en plein jour ; sous le bouclier des lois, en face de nos adversaires. Je crois à son triomphe parce qu?elle est dans le dessein de la providence pour le bonheur de l?humanité ; parce que depuis dix-huit cents ans elle a son évangile et ses apôtres, et ses héros et ses martyrs ; parce que la morale et la religion font chaque jour disparaître de l?Europe l?esclavage, le privilége, le monopole devant les immunités du genre humain.

CONSEIL DES PRUD'HOMMES.

Les séances de ce tribunal deviennent de plus en plus insignifiantes. A quoi attribuer cette absence totale de causes, sinon à l?état de stagnation de la fabrique ? Une seule cause, entre M. Dailly, fabricant, et l?un des héritiers de son apprenti, a présenté quelque intérêt. Dans l?audience de jeudi dernier ; il s?agissait de réclamations étrangères à l?apprentissage. Dailly a opposé l?incompétence en se fondant sur l?art. 10 du décret du 11 juin 1809 ; elle a été accueillie.

ÉLECTION DES PRUD?HOMMES ? MM. gaillard (Joseph) et pellin, de la maison Pellin et Bertrand, ont été nommés, samedi, 15 du courant, prud?hommes-négocians en remplacement de MM. Goujon et Gamot, démissionnaires. Sur 438 électeurs inscrits, 94 seulement se sont présentés. Le premier a eu 54 voix et le second 51. ? Nous ne savons pas pour quel motif on s?est dispensé d?annoncer cette élection par la voie des affiches.

INDUSTRIE. ? La Société d?Agriculture de Lyon vient de nommer MM. Reverchon, Dugas, Grandjean, Muthuon et Jacquard commissaires à l?effet d?examiner la proposition de M. Muthuon, tendant à engager l?autorité administrative à fonder deux prix annuels de 15,000 fr. chacun qui seraient distribués, 1° à celui qui inventerait un métier de tissage, lequel permettrait de réduire la main d??uvre de l?aunage sans diminuer le prix de la main d??uvre de l?ouvrier ; 2° à celui qui développerait une industrie nouvelle en rapport avec celles qui existent déjà à Lyon, soit pour un nouveau procédé de teinture, soit pour l?invention d?une étoffe nouvelle.

LITTERATURE. ? La 16me livraison de la Bibliothèque populaire vient de paraître. Nous rendrons compte de cette livraison dans laquelle on distingue un Traité d?économie sociale, par M. Guepin, et un Traité d?Archéologie, par M. Champollion-Figéac1, en même, temps que des 14me et 15me livraisons qui ont paru il y a quelque temps et que nous n?avons pu indiquer faute d?espace. On s?abonne toujours chez M. FALCONNET, rue Tholosan, n. 6 ; chez Mme G?uryG?ury madame, place des Célestins ; au bureau de l?Echo de la Fabrique et à celui de notre journal.

ENCLUME OU MARTEAU.

(Suite et fin.)

Otivel réfléchit long-temps avec tristesse, mais bien qu?il reconnût la justesse d?une grande partie des observations de l?étranger, il ne changea point son allure franche et noble. Dans les affaires comme dans les arts, il ne put jamais deviner que la grande route de l?équitable et du beau ! jamais il ne prit les sentiers tortueux et immondes qui mènent sans honneur véritable à tant de succès faciles en tous genre ; et quatre ans après, Otivel, complètement désenchanté de la vie, n?avait plus un écu dans la bourse et pas une espérance dans le c?ur ! Déjà il commençait à rouler dans sa tête affaiblie des pensées de suicide, comme dernière consolation, quand on frappa à sa porte : c?était l?étranger de la diligence.

Il s?assit familièrement. Eh bien ! les illusions ? dit-il?

Otivel ouvrit de grands yeux sans répondre. ? En avez-vous assez du rôle de colombe parmi les Vautours ? ? J?en ai trop, s?écria l?infortuné dont les membres frémissaient, agités de mouvemens conclusifs ; j?en ai trop ! et je vais cesser mon rôle de victime? L?étranger changea de couleur ; son front devint plus sombre, ses rides plus profondes, il pâlit, ce qui ne lui arrivait jamais.

? Vous allez cesser d?être victime ? dites-vous. Penseriez-vous à devenir bourreau, oppresseur, à votre tour ?

Otivel se leva épouvanté du terrible regard qui s?arrêtait sur lui. Quel est donc cet homme extraordinaire ? se demandait-il. Ne va-t-il pas me proposer quelque pacte horrible ?

[3.2]Si ce n est pas le démon, c?est quelque mystérieux brigand de la capitale, qui a épié le moment où j?attendais : le dernier degré du malheur pour m?enrôler dans sa troupe. Une vive rougeur colora ses joues pâlies, et, pour toute réponse, il étendit la main vers un réchaud, sur lequel était une provision de charbon qu?il allait allumer pour s?asphyxier dans sa chambre.

A la bonne heure, dit l?étranger en reprenant son calme habituel. Pourtant, si vous vouliez, je vous tirerais d?affaire.

? Vous, Monsieur ? ? Moi!? Ecoutez. Outre le brave homme d?oncle qui vous donna de si bons conseils n?en aviez-vous pas encore un autre qui a émigré fort jeune, et qui n?a jamais reparu ? ? Oui ; il s?appelait Paul Gratien. Après ? voulez-vous me faire passer pour cet oncle-là ? J?aurais son âge à peu près. Cela m?arrangera fort, et je me charge de changer votre mauvaise fortune.

Otivel fut encore plus surpris, mais il ne balança pas un instant à répondre par un refus : non que sa fierté fût blessée d?accepter un secours dans son extrême détresse ; mais sa probité se révoltait à la pensée que cet homme ne lui faisait une telle offre que pour l?aider à cacher quelques mauvaises actions ou une fortune mal acquise. Il le dit franchement, et l?étranger parut charmé de sa hardiesse.

A merveille, s?écria-t-il gaîment. Voila que vous devenez homme. Est-ce le mépris de la vie, dont vous êtes fatigué, qui vous donne le courage de me dire en face que vous me croyez un bandit ? Si vous eussiez toujours montré ce caractère répulsif et ferme contre tout ce qui vous a choqué, et que vous avez si souvent supporté par faiblesse, vous n?en seriez pas où vous en êtes. Au reste, rassurez-vous ; je suis un honnête homme, et ma proposition ne peut vous blesser, car je vous mettrai bientôt à même de me rendre ce que je veux faire pour vous.

? Mais, dit encore Otivel, vous gagnez donc quelque chose à cet arrangement ? ? De mieux en mieux, jeune homme, continua le vieillard ; vous commencez à comprendre tout-à-fait l?époque, puisque vous supposez qu?on ne peut rendre un service sans un intérêt personnel quelconque. Oui, mon jeune ami ; oui, mon neveu : car je prends d?aujourd?hui le titre de votre oncle Gratien selon nos conventions ; oui, notre civilisation perfectionnée suppose un contrat tacite entre tous, par lequel il est bien entendu qu?on ne fait rien pour autrui sans un avantage pour soi. Or, celui qui est assez du bon vieux temps pour se montrer crédule avec les charlatans, modeste avec les fats, probe avec les fripons, généreux avec les égoïstes, finira comme vous, à moins d?avoir un démon ou un ange gardien, ou un oncle émigré, faux ou véritable, qui le tire d?affaire. :

Concluons, car je n?aime pas à prolonger un récit dont le lecteur a deviné le but moral. L?expérience ayant pénétré dans l?esprit d? Otivel à force de malheur, il sentit que le savoir-vivre consistait à s?arranger de façon à avoir un peu prise sur les autres, de peur que les autres n?eussent trop prise sur nous, sauf à n?en pas abuser quand on est honnête homme ; et il se laissa guider par M. Paul Gratien.

Celui-ci produisit d?abord Otivel simplement comme un prodige, mais en même temps il lui ménagea des armes pour se défendre contre quiconque serai tassez hardi pour en douter : il eut des coteries, des prôneurs, des femmes à la mode qui l?y mirent aussi, et même une opinion politique.

Alors on laissa faire Otivel, et chacun le respecta, non pour ses qualités, mais parce qu?on lui savait bec et ongles.

Et il se présenta hardiment pour ce qu?il valait ;

Et on l?accepta pour tout ce qu?il voulut ;

Et même on lui tint compte de sa modestie, du moment qu?il cessa d?en avoir ;

El il retrouva ce qu?il avait perdu, et même ce qu?il aurait dû gagner ; et dans chaque carrière où il entra, il s?assit toujours à sa place, en forçant un peu quelquefois cependant, lorsqu?on ne lui en faisait pas assez, car dans la diligence publique de l?ordre social, les banquettes sont étroites, et bien des gens se mettent trop à leur aise ;

Et quand il en fut là, Otivel se dit : Eh quoi! voila le monde ! Et il se sentit profondément humilié d?avoir obtenu, par du charlatanisme et de l?impudence, ce qu?on avait refusé à son mérite modeste.

Et un jour que l?oncle entra dans la chambre du jeune homme, il trouva sur un guéridon des tablettes où il avait écrit ce que vous venez de lire, avant d?allumer un réchaud, où maintenant il ne restait plus que des cendres éteintes?

[4.1]Otivel était mort asphyxié par la honte autant que par le charbon.

Le malheureux n?avait pu se faire au savoir-vivre de l?école moderne.

Et l?oncle, l?oncle Gratien, qui était-ce ?

Oh ! l?oncle sera tout ce que vous voudrez, un parent véritable qui surveillait son neveu et le laissait s?instruire aux leçons de l?expérience avant de lui faire part de son opulence. Ce sera, si vous l?aimez mieux, le diable, qui se mêle de mille choses ici-bas, et qui avait voulu conduire une éducation à sa mode.

Faites de mon oncle Gratien tout ce qui vous conviendra ; mais quoi que vous en fassiez, il sera toujours, avec ses préceptes, l?expression vivante de notre admirable civilisation.

D?epagny1

« Peuple, bénis ton antique esclavage,
« Ne songe plus à reprendre ton rang.
« La république est une anthropophage,
« Ses sectateurs sont avides de sang, (Bis.)
« Ses sectateurs sont des buveurs de sang. »
Gens du juste milieu votre verve m?étonne,
J?ose douter, et ce n?est pas en vain,
Car jusqu?ici je n?ai mangé personne,
Et cependant je suis républicain.

L?entendez-vous, ce jongleur politique
Qui va hurlant à la crédulité :
« Rallions-nous, sans quoi la république
« Va s?acharner sur la propriété. » (Bis.)
Ah! que demain son auréole brille,
Et je ne veux, pour ma part du butin,
Que du travail pour nourrir ma famille ;
Et cependant je suis républicain.

Gardez votre or, impudens sybarites,
Autant que vous je respecte la loi ;
Quoi qu?en aient dit d?ignobles parasites,
Je ne veux pas ce qui n?est point à moi. (Bis.)
Le doux soleil répond à mon attente
Lorsque Cérès jette sur mon chemin
Quelques épis de sa gerbe opulente ;
Et cependant je suis républicain.

Ainsi que vous, j?abhorre l?anarchie,
Je veux la paix et la fraternité :
Des droits pour tous, la licence flétrie :
Voila comment j?entends la liberté. (Bis.)
Je ne veux pas dépouiller la richesse,
Je ne veux pas qu?on connaisse la faim,
Je ne veux pas opprimer la faiblesse,
Et cependant je suis républicain.

De vos Argus pour exciter la rage,
Faire de nous un objet de terreur,
Allez, du bagne, empruntez le langage
Pour nous marquer du sceau réprobateur. (Bis.)
De vos mépris l?humanité nous venge.
Je n?irai pas, pour vous tendre la main,
Prostituer ma muse dans la fange ;
Et cependant je suis républicain.

Toi qui soutiens une cause insensée,
Va contre moi provoquer des rigueurs,
Dans l?avenir qui berce ma pensée
Je ne veux pas imiter tes fureurs. (Bis.)
Quand règnera le vouloir populaire,
Si le malheur vient t?accabler soudain,
Reviens à moi, tu trouveras un frère?
Et cependant je suis républicain.

Lyon.

15 mars. ? M. Boitel a été acquitté.

? Le pont Seguin, sur la Saône, a été livré aujourd?hui au public ? La recette a été distribuée aux pauvres.

19. ? Le gérant de la Glaneuse a été condamné par défaut à 15 mois de prison et 5,000 fr. d?amende.

Quatorze fabricans mutuellistes sont renvoyés devant la police correctionnelle, sur la prévention de coalition.

? La vente faite jeudi dernier, au préjudice de M. Pitrat, pour refus d?impôt, a produit 14 fr. 70 c.

Notes (ÉLECTION DES PRUD?HOMMES ? MM.  gaillard...)
1 Référence ici aux ouvrages d?Ange Guépin (1805-1873), Traité d?économie sociale, et de Jacques-Joseph Champollion-Figeac (1778-1867), Archéologie, ou Traité des antiquités, monuments de l?art, etc, publiés  l?un et l?autre dans la Bibliothèque populaire en 1833.

Notes (ENCLUME OU MARTEAU. ( Suite et fin. ) Otivel...)
1 L?auteur est ici J.-B. Rose Bonaventure Violet d?Epagny (1787-1868).

 

 

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