L'Echo de la Fabrique : 21 septembre 1834 - Numéro 1

DE L’ÉTABLISSEMENT

D’UN BUREAU D’AGENCE INDUSTRIELLE.

Depuis que la fabrique d’étoffes de soie a pris un grand développement ; depuis que l’équilibre entre la production et la consommation s’est perdu, les ouvriers lyonnais, [2.2]soit par la concurrence de la main d’œuvre, soit par celle que les fabricans se font entr’eux, ont vu leur position devenir chaque jour plus difficile ; car à la baisse des salaires se joignent des suspensions fréquentes d’ouvrage qui forcent le chef d’atelier, s’il veut rendre ses suspensions moins longues, de faire des frais considérables, qui absorbent souvent la presque totalité de ses revenus, ainsi tout le temps où l’homme est apte par son âge, à pouvoir se créer un avenir, à l’abri de la misère, les travailleurs de soieries le passent en vicissitudes, en travaux pénibles et ils arrivent, avant l’âge, et sans ressources, au terme où les facultés physiques sont épuisées. Ils se trouvent alors entre le passé qu’ils ne peuvent regretter (car il a été pour eux tant de fatigues et de privations !) et un avenir d’humiliations, d’infirmités et d’aumônes.

Il y a huit ans environ, que les chefs d’atelier comprirent que leur isolement aggravait leur position, déjà si triste ; et laissait à la cupidité du fabricant la libre volonté de créer des abus qui lui rendait l’exploitation de la fabrique plus fructueuse. Ils durent alors (la justice, l’humanité leur en donnaient le droit) tenter de se rapprocher, de s’entendre pour lutter contre cet odieux ordre de chose, qui dévorait leurs sueurs. Ils comprirent aussi qu’enfans du même Dieu, ils étaient tous frères, qu’ils devaient donc s’unir par amitié, par affection, qu’ils devaient se prêter appui et consolation dans les accidens qui ne sont point le résultat d’une volonté humaine, mais de la fatalité du sort, cédant à l’impulsion d’une pensée généreuse et sainte. Ils élevèrent un autel à l’union des travailleurs ; ils fondèrent le mutuellisme qui fut définitivement constitué le 28 juin 1828.

Les moyens que les chefs d’atelier voulurent employer pour se créer un meilleur sort étaient tous conformes, à l’équité, au bon droit. Ces moyens consistaient dans l’indication1 que ces membres de l’association devaient se procurer réciproquement et qui pouvaient leur être utiles ; ils consistaient dans le prêt d’ustensiles, dans l’amitié fraternelle, chargée de parer aux coups imprévus du malheur et de verser sur les plaies du cœur le baume salutaire des consolations et de l’espérance ; ils consistaient enfin dans l’ensemble de leurs volontés, de refuser l’ouvrage à un prix au-dessous de celui nécessaire aux premières exigences de la vie, et de refuser toutes relations avec les négocians signalés comme contrevenant sans cesse aux règles de la justice, de la bonne foi, et faisant, des abus, un moyen de fortune.

Tels étaient les principes du mutuellisme. Une loi de défiance et d’oppression, des conséquences funestes ont brisé violemment une institution philanthropique, fruit d’un dévouement généreux et de fatigues multipliées et persévérantes. Avec elle s’est anéantie l’indication qui y existait, dont la privation, aujourd’hui et comme la nécessité d’un journal, se font vivement sentir ; privation d’autant plus pénible que chacun des chefs d’atelier membre de l’association, a pu, pendant [3.1]tout le temps qu’elle a existé, se convaincre de l’amélioration notable que l’indication pouvait produire dans la fabrique, bien que la rapide extension de l’association n’ait pas permis de donner, au bureau, tous les développemens qu’il était susceptible de recevoir.

Nous proposons, nous, qu’un vif intérêt général anime, de rendre aux travailleurs de soieries l’indication, mais établie sur des bases plus larges et pouvant mieux satisfaire aux nombreux besoins de détail qui se font sentir généralement. Nous, qui comprenons tout ce qui peut y avoir d’utile, d’important, de salutaire dans la création d’un établissement d’agence industrielle, nous manquerions à notre devoir si nous ne faisions tous nos efforts pour faire de cet établissement une nécessité positive.

Pour que cette pensée devienne favorable, le concours de tous est nécessaire.

Par les résultats que l’expérience nous fait prévoir, nous affirmons que l’indication, telle que nous voulons l’établir, sera une œuvre d’amélioration et de rapprochement entre diverses classes que l’intérêt divise, et que l’intérêt, cependant, devrait unir ; car ce n’est que par l’harmonie des divers intérêts qu’il peut y avoir sécurité pour le corps social et conséquemment bien être, bonheur.

D’abord, quels avantages immenses ne procurera pas l’ouvrier, alors qu’il pourra, en un instant, avoir connaissance du lieu où il devra s’adresser pour satisfaire à ses besoins industriels. Au moins à l’ennui de la privation d’ouvrage, ne viendra pas, alors qu’il faudra qu’il aille en chercher, se joindre la crainte d’essuyer des refus dédaigneux et humilians, parce qu’il n’aura l’occasion que d’aller précisément chez celui qui aura besoin de sa main d’œuvre et qui par conséquent ne le rebutera pas.

Le négociant ne sera pas exclu des avantages de l’indication. Là il pourra trouver les métiers vacans et montés sur une disposition ad hoc pour faire l’article dont il aura des commissions ; les métiers étant tous prêts, il n’aura pas besoin de diviser autant sa commission ; il aura des frais de moins et la certitude d’une fabrication plus soignée et uniforme. Ainsi le négociant et le chef d’atelier ne verront plus au moyen de ce système se renouveler ces contestations scandaleuses de montage de métiers, comme il en arrive trop souvent.

Un tableau des prix courans empêchera aussi bien des mécomptes : la mauvaise foi n’aura plus le champ libre : dès lors moins de haines se soulèveront. L’harmonie, peu à peu, viendra s’asseoir entre ouvriers et négocians, et notre belle industrie ne voyant plus ses enfans s’entredéchirer, reprendra un nouvel essor ; ses produits conserveront leur supériorité sur les produits de toutes les autres nations rivales.

SYSTÈME D’INDICATION.

Nous sommes à même d’avoir des renseignemens dans toute la circonscription de la Fabrique. Il nous sera facile de former la statistique de l’industrie [3.2]lyonnaise qui, chaque année, pourra recevoir des modifications. Une liste de tous les négocians sera dressée ; ils seront classés par catégorie selon le genre d’article qu’ils feront fabriquer.

Il y aura une autre liste, consacrée à inscrire les métiers montés sur telle ou telle disposition, et qui seront vacants ; une autre liste contiendra, les noms et demeures de toutes les personnes dont les chefs d’ateliers ont ordinairement besoin, telles que remetteuses, appareilleuses etc., etc.

Le bureau s’occupera aussi du placement des apprentis, des compagnons, de la vente des objets de fabrique, et en même temps du prêt d’ustensiles. Pour ce dernier cas nous invitons les chefs d’ateliers qui ont des ustensiles qui ne leur servent pas, de nous en donner note, afin d’indiquer à ceux qui nous feront des demandes chez qui ils pourront trouver l’objet dont ils auront besoin. Il sera établi un tarif pour chaque objet que l’on destinera au prêt. Le bureau répondra des détériorations qui seront faites aux objets prêtés.

Comme cette entreprise n’est pas une œuvre de luxe, l’indication d’ouvrage et d’ouvriers, sera gratuite. La rétribution pour la vente sera à tant pour cent.

Nous sommes aussi à la disposition des autres industries. Toutes peuvent compter qu’ils trouveront près de nous désintéressement, célérité et discrétion. Les travailleurs de toutes les professions sont nos frères ; notre entreprise est la leur : elle doit profiter à tous.

Ouvriers !

Que serait notre résolution et la constance de nos efforts, si nous étions privés de votre concours ; si nous ne pouvions nous appuyer sur vous, pour le succès de notre entreprise. Mais comme nous, vous comprenez combien elle peut être féconde en heureux résultats ; comme nous, vous êtes animés par l’amour du bien. Il y a entre vous et nous, harmonie de sentimens et de volontés : nous devons réussir.

Le succès obtenu, nous serons satisfaits.

Nous indiquerons, dans un prochain numéro, le jour où les opérations commenceront.

Nous invitons les personnes qui auront des réclamations à adresser au journal, de les appuyer de preuves irrécusables, afin de ne pas rendre le public le jouet d’allégations fausses et malignes. Ennemis de la calomnie, nous nous tiendrons sur nos gardes, pour ne pas lui donner prise. Nous aurions bien des regrets si nous étions en défaut et, sans le vouloir, si nos colonnes alimentaient les passions. Nous sommes des hommes de conscience. Elle seule guidera la plume que nous prenons pour la défense des intérêts industriels. Le salaire que nous réclamerons, pour prix de nos efforts, sera l’estime publique, c’est la richesse de l’homme de bien.

Notes de base de page numériques:

1 Le journal, en affichant le thème de l’indication se place stratégiquement sous la bannière du premier mutuellisme, plus modéré. Les devoirs d’indication, secours et assistance sont immédiatement affichés. Toutefois, dans cette renaissance mutuelliste de l’automne 1834, l’indication est placée au premier rang en raison de sa capacité à contrer les vices propres au commerce.

 

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