MISÈRES PROLÉTAIRES.
DISCOURS, À SES JUGES,
d’un marin accusé de mendicité, avec menaces.J’ai vingt-sept ans de services, et je suis couvert de blessures… J’avais droit de compter sur une pension, ou au moins sur des secours ; c’est en vain que je me suis adressé aux autorités : j’ai été repoussé avec dureté… Tout m’a été refusé… J’ai sollicité de l’ouvrage pour avoir au moins un morceau de pain, je n’ai rien obtenu… désespéré, je suis revenu à Brest, où je n’ai pas été plus heureux. C’est alors que je me suis mis à tendre la main… cela valait mieux que de voler… Je conviens que j’ai dit : du pain ou la mort ; mais on s’est mépris sur mes paroles. Je ne menaçais pas ; je voulais dire qu’il ne me restait plus qu’à mourir, si je n’avais pas du pain. J’ai brisé des vitres, c’est vrai ; mais en le faisant, je n’ai eu d’autre intention que de me faire condamner. Je vous demande comme une grâce de m’envoyer pendant dix à douze ans dans une prison. Je vous serai reconnaissant de me donner ainsi un asile et du pain : tel sera le prix …
Déclaré coupable de mendicité, de ce délit qui est bien plutôt celui de l’ordre social ; mais avec des circonstances atténuantes, CHEVREL (c’est le nom de cet infortuné marin) a été condamné à trois jours de prison…
Eh ! que voulez-vous que je devienne après ces trois jours, s’est écrié lamentablement Chevrel ?
Combien de Chevrel en France, dans cette France qu’on dit civilisée !
N’affaiblissons pas ces énergiques paroles prononcées par un prolétaire dont la misère est la seule récompense d’une vie de dévoûment à son pays. Ne les affaiblissons pas par nos tristes et impuissantes réflexions !