L'Echo de la Fabrique : 5 octobre 1834 - Numéro 3

ABUS DES CHIFFRES

sur les livres des ouvriers.

Nous avons maintes fois, dans l?Echo de la Fabrique et dans l?Echo des Travailleurs, appelé l?attention sur les divers abus de la fabrique. Au risque d?être fastidieux, nous croyons devoir nous répéter : Nous avons demandé, notamment (et pour ne nous occuper aujourd?hui que d?un seul abus) que les comptes des ouvriers fussent écrits sur leurs livrets en toutes lettres, et ensuite hors ligne en chiffres suivant l?usage, et bien entendu sans surcharge ni interligne. Des exemples journaliers nous apprennent [3.1]que nos avis n?ont pas été suivis. Les négocians ont regardé comme une injure la supposition qu?ils pouvaient se tromper, les ouvriers n?ont pas osé exiger, et les choses sont restées dans le même état. Cependant rentrés aujourd?hui dans la lice et après avoir déclaré hautement que nous n?avons jamais eu dans l?idée que c?était sciemment que des erreurs (dans le cas contraire, il ne faudrait plus les appeler de ce nom) étaient commises ; il nous sera permis d?insister pour que la possibilité d?en commettre de nouvelles soit ôtée. Qu?on y réfléchisse bien, négocians et ouvriers trouveront leur avantage à ce changement ou plutôt à ce retour vers les principes de toute comptabilité. Les uns et les autres ont besoin réciproquement d?estime, de confiance. Est-il bon ? Est-il juste ? Est-il moral ? Que l?une des parties soit à la discrétion de l?autre. C?est un fardeau qu?une telle responsabilité ; pour notre compte, nous n?en voudrions pas. Allons plus loin pour un moment. Nous admettrons si l?on veut que les plaintes des ouvriers ne sont pas fondées, que les erreurs proviennent de leur côté, par défaut de mémoire ou autrement. Eh bien ! pourquoi ne pas anéantir ce sujet de plainte, pourquoi ne pas rendre impossibles ces erreurs, enlever tout prétexte à la mauvaise foi ? Nous ne voyons pas d?objection plausible ; et si les négocians insistent pour que l?abus signalé continue, que veulent-ils que le public impartial pense. Quel intérêt peuvent-ils avoir à ces récriminations bien ou mal fondées, à ces tracasseries, à ces débats toujours scandaleux ; car les deux parties mettent en jeu argent et considération.

Puisque nos conseils ont été méprisés, qu?on a cru, d?un côté, qu?il y aurait de la lâcheté à s?y soumettre, quoique (nous en sommes certains) beaucoup en aient reconnu la justice et auraient désiré s?y conformer si la crainte puérile de se prononcer les premiers ne les avait retenus ; puisque, d?un autre côté, on n?a pas eu la fermeté nécessaire pour exiger ce qui est de toute justice ; il ne reste qu?un moyen et nous l?employons avec confiance. C?est au conseil des prud?hommes que nous en appelons ; c?est à lui à prendre une honorable initiative. Que le conseil décide qu?il ne reconnaîtra de valables que des écritures régulières ; qu?il soit sévère, car la thémis civile, est aussi armée du glaive signe de puissance et de force ! Que les membres qui sont négocians, que ceux qui sont chefs d?atelier donnent l?exemple que nous réclamons au nom des ouvriers ; cet exemple sera tout puissant et la fabrique entière le suivra. Nous n?en doutons pas, car nous sommes convaincus que c?est plutôt fausse honte que mauvaise intention, si elle s?y est refusée jusqu?à ce jour. S?il y a des récalcitrans, le nombre sera minime et ils ne tarderont pas à imiter leurs confrères, parce qu?ils y seront moralement contraints. Notre plainte est ancienne, nous la renouvelons. Puisse-t-elle être enfin accueillie ! Nous continuerons à passer en revue les divers abus que nous avons déjà signalés. Pourquoi nous lasserions-nous ? notre tâche est loin d?être accomplie ; les ouvriers n?ont obtenu que peu de chose, et ce peu on le leur dispute, chaque jour on le met en discussion ; mais cela mérite de plus amples développemens. Ce sera le sujet d?autres articles : habitués aux combats de la presse les ouvriers nous trouveront encore les premiers sur la brèche, les forces pourront nous manquer, la bonne volonté jamais.

 

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