L'Echo de la Fabrique : 19 octobre 1834 - Numéro 5 et SupplémentAu Rédacteur. La Croix-Rousse, 14 octobre 1834. Monsieur ; Veuillez, je vous prie, avoir la complaisance d’insérer la note suivante dans votre prochain numéro, afin de mettre au jour le genre de spéculation que pratiquent certains négocians. Un chef d’atelier, qui est mon voisin, travaille pour un négociant qui, lorsque ses ouvriers lui demandent le montant de leurs façons, ne leur en donne jamais qu’une faible partie, de sorte qu’ils sont obligés, avant que d’être payés de la façon de leur pièce, de faire une huitaine de courses au magasin, et perdent ainsi un temps considérable et le plus précieux de leurs journées, sans compensation. Le chef d’atelier, dont je parle, avait, il y a quelques jours, un grand besoin de son argent. Il alla donc le réclamer ; mais le négociant, suivant son habitude, ne lui donnait qu’une bien faible partie de ce qui lui revenait, le chef d’atelier lui fit observer que ce qu’il lui donnait n’était pas suffisant ; qu’il lui fallait au moins les deux tiers de ce qu’il avait gagné, alors le négociant répondit : hé bien ! laissez votre livre, on vous le règlera, et vous reviendrez ce soir. Le chef d’atelier y est retourné le soir ; et voilà quelle a été la réponse du négociant : Savez-vous que vous êtes bien pressé pour avoir votre argent, nous ne tourmentons pas tant ceux qui nous en doivent. Mais cela suffit, votre livre sera réglé demain, et vous placerez votre métier ailleurs, lorsque la pièce qui est dessus sera finie. A ces mots la crainte s’est emparée du pauvre diable ; il n’a plus osé demander son argent, et s’est vu dans la nécessité, s’il ne pouvait obtenir du retard au payement qu’il était obligé de faire, d’engager une partie de ses effets. Par ce fait, je vous laisse apprécier, Monsieur le Rédacteur, les motifs qui empêchent ce négociant de donner le montant des façons sitôt les pièces finies. Il est facile de concevoir que c’est l’égoïsme le plus odieux qui établit ces usages que la faiblesse ou l’extrême misère subissent comme des lois. Agréez, etc. Un de vos abonnés, P. H. Note du Rédacteur. Nous connaissons des maisons de fabrique chez lesquelles cet abus existe ; si les plaintes des chefs d’atelier ne peuvent le faire disparaître, nous signalerons ces maisons au mépris public. |