L'Echo de la Fabrique : 19 octobre 1834 - Numéro 5

sur notre dernier article.

LE JOURNAL DU COMMERCE CONVERTI.

Ce n?est pas sans raison que l?ancienne basoche avait pour maxime : Il faut lire jusque sous le tiret. C?est pour l?avoir oubliée que nous nous sommes trompés grossièrement, et par suite avons induit les lecteurs confians dans une bien grave erreur. Le Journal du Commerce n?est nullement converti ; et si nous en croyons certains rapports, il n?y songe même pas, il veut mourir dans l?impénitence finale. Bien grand a été notre désappointement et courte la joie que nous avions ressentie. Mais aussi nous étions bien imprudents de croire à une conversion tellement subite. Quoiqu?il en soit, la cause de notre erreur est celle-ci : la fabrique de Lyon se compose de diverses professions, notamment : commissionnaires, ceux qui achètent en gros et expédient à l?étranger ; marchands, ceux qui font fabriquer pour vendre en gros ou en détail, ; ceux-ci, en style légal, on les appelle marchands-fabricans ; et enfin fabricans, les chefs d?atelier qui, soit par eux-mêmes, soit par leurs compagnons, fabriquent les étoffes. Il semble qu?aucune équivoque n?est possible, et cependant ce monstre hermaphrodite, dont Boileau1 a dit avec juste raison :

Parlons des maux sans fin que ton sens de travers,
Source de toute erreur, sème dans l?univers.

L?équivoque est venue causer un énorme imbroglio. Le Journal du Commerce usant d?une figure de rhétorique qu?on appelle syncope (ce dont il aurait dû nous prévenir), s?est plu à appeler fabricans les marchans qui ne fabriquent rien ; comment pouvions-nous le comprendre ? Nous avons cru que c?était aux ouvriers en soie que s?adressaient ses conseils. Il n?en est malheureusement rien du tout. S?adresser à des prolétaires. Fi donc ! le Journal du Commerce ne se mésallie pas ainsi, et c?est tout simplement aux marchands-fabricans, comme si la bourse ne leur suffisait pas, qu?il donne le conseil de se réunir tous les mois en assemblée particulière ; tous les deux mois en assemblée générale, de se cotiser, etc. Nous l?aurions vu si nous avions lu jusqu?au bout ; car dans un dernier alinéa, le journal [2.2]bien pensant invite les marchands à admettre dans leurs réunions quelques chefs d?atelier ou fabricans, sans doute ceux qui seraient bien sages.

Maintenant que nous avons réparé notre erreur, et qu?il reste bien entendu que c?est en faveur du commerce et non pas du travail que le journal dont s?agit sollicite le droit de se réunir, de, s?associer, de se coaliser, mots à peu près synonymes dans le fait ; nous lui demanderons et à ceux auxquels il sert d?organe si la même faculté sera accordée aux ouvriers, si la loi sera égale pour tous ; répond-on, oui, nous n?avons plus rien à dire ; si au contraire on avait l?outrecuidance de répondre que l?on ne peut pas concéder à la classe ouvrière une faculté dont on trouve bon de gratifier une classe rivale, oh ! alors nous n?aurions pas d?expressions assez outrageantes pour qualifier un pareil dévergondage, pour flétrir de tels principes d?égoïsme. Nous attendrons la réponse du Journal du Commerce, et cette fois il n?y aura pas d?équivoque. Il est mis aujourd?hui en demeure d?expliquer quel a été son but dans la publication d?un article par lequel il conseille une coalition permanente aux négocians, dans le moment même où l?autorité recherche si quelques ouvriers ont enfreint une prescription légale pour jouir d?un droit naturel.

Notes de base de page numériques:

1 Tiré de la Satire XII du poète et critique  Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711).

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique