L'Echo de la Fabrique : 12 février 1832 - Numéro 16

On lit dans le Mouvement du 6 février:

« Une population immense et laborieuse ne pouvait plus vivre de son travail ; elle en fit pacifiquement la remarque. Les chefs d’ateliers, témoins de sa détresse, reconnurent que ses plaintes étaient fondées, et consentirent à régler et à élever les taux de ses salaires au niveau des besoins de l’ouvrier, sans se demander si la loi, dont la lettre tue, autorisait une concession qui devait assurer l’existence d’une cité industrieuse, sans trop songer au droit strict, en présence des considérations les plus puissantes de justice, d’humanité et de tranquillité publique.

Mais le droit strict et la lettre de la loi ne pouvaient manquer d’organes pour réclamer contre cet oubli ; ils intervinrent donc pour faire casser un tarif qui violait scandaleusement, disait-on, la liberté de l’industrie, sous prétexte de pourvoir à la subsistance des industriels. La foi jurée au nom de la philantropie et de l’équité ; les promesses faites dans l’intérêt de l’ordre public ; le pacte conciliateur que les sentimens les plus honorables et [6.2]les plus impérieux avaient dicté ; tout fut sacrifié impitoyablement à la sécheresse du Code et aux exigences rigoureuses de la légalité.

Alors le peuple lyonnais, refoulé dans les horreurs de sa misère, se mit à crier plus fort que son labeur du jour et de la nuit ne suffirait pas à le nourrir. Aigri par la déception, tourmenté, dévoré, égaré par la faim, comme par la plus cruelle des fièvres, il se mit à demander tumultueusement du pain. On lui envoya des balles. Cette réponse n’était pas faite pour apaiser la violence de ses besoins, ni pour calmer sa colère. Quoique exténué par les privations, il se trouva assez de sang dans les veines pour ne pas se laisser décimer sans défense. Il se dressa furieux contre les phalanges urbaines qui vomissaient la mort dans ses rangs ; il leur rendit guerre pour guerre, et resta pendant huit jours maître du champ de bataille.

Quel usage fit-il cependant de la victoire ? il était affamé, trompé, meurtri ! hé bien ! le même sang français qui l’avait rendu si bouillant et si terrible dans le combat, le montra généreux après le triomphe. Il refusa son appui à toute tentative séditieuse ; désespéra les agens de tous les partis ; rejeta de son sein tout germe de discussions intestines, tout prétexte au symbole de guerre civile ; vengea sur la tête même de ses compagnons l’atteinte portée à la fortune ou à la personne des vaincus, et proclama le respect des propriétés et des lois, des lois mêmes sous l’empire desquelles il n’avait pu vivre en travaillant, et dont les vices ou l’insuffisance avaient eu des conséquences si funestes.

Lorsque cette conduite inouïe des prolétaires lyonnais fut connue à Paris, on eut d’abord de la peine à y croire. C’était si étrange et si nouveau ! Mais quand on fut bien assuré que la révolte heureuse n’avait profité de ses succès que pour se soumettre, que pour repousser les avances et déjouer les projets des factions, que pour exprimer simplement le sentiment de la faim ; oh ! alors il y eut un houra parlementaire dans les deux chambres contre les misérables qui avaient eu l’audace de ne pas se laisser disperser par la mitraille, et qui avaient poussé l’insolence jusqu’à combattre et à vaincre les forces combinées de la ligne et de la garde nationale. « Réprimez, dit le noble du Luxembourg ; réprimez, dit le bourgeois du palais Bourbon ; réprimons, dirent les nobles et les bourgeois du ministère ! et il n’y eut bientôt plus que des châtimens et des épithètes flétrissantes pour une population dont la misère et la générosité devaient faire excuser l’égarement.

 

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