L'Echo de la Fabrique : 2 novembre 1834 - Numéro 7

Dans le numéro du 25 octobre, le Courrier de Lyon appelle l’attention de ses lecteurs sur un acte passé par-devant Me Quantin, notaire, dans lequel Messieurs Bonnard, Charpine et Lacombe déclarent qu’ils sont dans l’intention de fonder une maison de commerce, pour la fabrication et la vente des étoffes de soie ; que la société sera en nom collectif, quant à eux et en commandite pour les autres personnes qui voudraient coopérer à cette entreprise ; que le capital social est fixé à 100,000 fr. ; qu’il se divisera en 4,000 actions de 25 fr. chacune, etc1.

Nous avons souvent vu des annonces d’entreprise de ce genre ; les journaux qui les inséraient n’y ajoutaient aucun commentaire, laissant aux parties intéressées le soin de s’en arranger comme elles l’entendraient ; le Courrier de Lyon n’agit pas de même, il appelle sur celle-ci l’attention de ses lecteurs. De quels lecteurs ?… Il y a là-dessous une insinuation perfide !… Le Courrier de Lyon [3.2]n’a-t-il pas voulu laisser entrevoir qu’il y avait dans la formation de cette société, autre chose qu’une société commerciale ? Qu’il dise la vérité ?… Eh quoi ! serait-ce parce qu’elle est composée d’ouvriers, qu’elle devra être poursuivie comme une réunion de perturbateurs, d’ennemis de l’ordre, et ce sera le même journal qui nous aura répété jusqu’à satiété que notre classe ne devrait s’occuper que d’améliorations matérielles, qui viendra l’entraver dans sa marche toute industrielle, parce que la peur s’empare de ses patrons au moindre mouvement que fait l’ouvrier pour s’arracher à la misère. Nous devons dire que nous ne pensons pas que cette peur soit celle que l’on met en avant, comme, par exemple, de voir les associations se reformer, ou celle de l’émeute, mais bien celle de se voir enlever les moyens d’exploiter facilement le travailleur ; aussi le Courrier ne nous attaque-t-il pas en face ; il aime mieux, par des paroles insidieuses, laisser supposer que nous avons d’autres intentions que celle d’améliorer notre sort ; mais ayant besoin de jeter des soupçons sur une entreprise qui l’inquiétait, comment aurait-il pu, lui, le champion déclaré de la liberté commerciale, venir combattre alternativement pour et contre elle ; car comment contester aux ouvriers le droit de fonder, même par actions, un commerce de soierie. Les entreprises de chemins de fer, de canaux, de dessèchement de marais, de journaux et celle du Courrier de Lyon, en particulier, avaient été exécutées au moyen de sociétés, composées d’actionnaires ; pourquoi ce même moyen, nous serait-il interdit, il n’y a cependant entre les précédentes entreprises et celle dont nous parlons, d’autre différence que la qualité de l’action, cependant les actionnaires à dix sous doivent avoir le même droit que ceux à 10,000 fr.

Ainsi, il ne faut pas s’inquiéter de toutes ces tracasseries. Nous engageons les chefs d’atelier, fondateurs de cette entreprise, à poursuivre avec sécurité la carrière des améliorations positives, nul n’a le droit de la leur fermer.

Note du Rédacteur. Les gérans de la société commerciale des chefs d’atelier, pour la fabrication des étoffes de soie, ont été cités mardi, 28 courant, pour comparaître par-devant M. le juge d’instruction.

Notes de base de page numériques:

1 Le projet de Jean-Baptiste Bonnard, François Charpines et Pierre Lacombe fut présenté dans une brochure, Société commerciale créée par les chefs d’ateliers et ouvriers de la ville de Lyon et ses faubourgs, publiée chez Léon Boitel en octobre 1834.

 

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