L'Echo de la Fabrique : 19 février 1832 - Numéro 17

LYON.

Le Courrier de Lyon nous attaque de nouveau ; et pour cette fois il paraît décidé à rompre une lance avec nous. Dieu soit loué ! nous pourrons dire enfin toute notre pensée sur cette pauvre feuille. Et comment ne nous attaquerait-il pas ? nous avons provoqué l’indignation de ses patrons, en qualifiant de basse calomnie le discours de leur coryphée, de l’homme qui, étranger à notre ville et à ses intérêts (car ce n’est que par ses propriétés qu’on y connaît M. Fulchiron), a osé, nous le répétons, calomnier le classe industrielle, en traitant les hommes qui la composent de pillards, de conspirateurs contre la propriété, de prolétaires à mauvaises intentions ; et c’est nous qu’on accuse de provoquer à la haine, parce que nous défendons les intérêts du pauvre ; et celui qui traite ce pauvre comme un vil scélérat, celui-là est un homme modéré, il ne dit rien qui ne soit un trait d’éloquence, il peut diffamer, calomnier à son aise ; pourvu qu’il ne parle que des prolétaires, ce sera un vertueux citoyen et l’un de nos meilleurs orateurs.

[1.2]De quel droit le coryphée du Courrier de Lyon parle-t-il des événemens qu’il ne connaît pas, de ce qu’il ignore complètement. A-t-il vu les ouvriers se livrer au pillage ? les a-t-il vus conspirer contre la propriété ? Qu’on ne vienne donc pas dire que notre feuille est provocatrice, quand nous repoussons au nom de nos compatriotes de telles imputations. Les provocateurs sont ceux qui insultent par le mensonge à une population entière, en faisant planer sur elle des soupçons odieux, et dont sa conduite l’a si dignement justifiée.

Le Courrier de Lyon est vraiment heureux dans le choix des sujets qu’il traite ; c’est surtout cette dénonciation des feuilles non politiques qui est de bon goût. Admirez la beauté de ceci : Nous déposons 16,000 fr. dans les caisses de l’Etat, avant de paraître ; et des malveillans, des prolétaires, des Saint-Simoniens, pourront, sans la moindre formalité, mettre entre les mains des classes pauvres des publications provocatrices, etc. Voilà certes trois noms singulièrement accolés : malveillans, prolétaires et Saint-Simoniens. Ainsi, c’est bien entendu, d’après le Courrier de Lyon, on ne peut pas être pauvre et honnête homme ; prolétaire, c’est être malveillant, et Saint-Simonien c’est sans doute réunir les deux autres épithètes. Méditez bien ceci, messieurs les admirateurs du Courrier de Lyon, et vous nous direz si parler ainsi de la classe pauvre, qui est la plus nombreuse, n’est pas un peu provoquer les passions et mettre en doute le repos de la société. Pour nous, nous croyons que dans l’organisation sociale il faut des riches et des pauvres, c’est-à-dire des prolétaires et des hommes de la propriété ; mais comme tous sont utiles dans cette organisation, nous croyons aussi qu’ils se doivent [2.1]de mutuels égards, et qu’une classe ne doit point écraser l’autre, et la regarder comme composée d’îlotes faits pour servir à la fortune et aux caprices des grands.

Le Courrier dit qu’on devrait exiger 32,000 fr. de cautionnement d’une feuille qui parle au pauvre de son indigence et aux ouvriers de leur salaire... Ainsi, au pauvre qui n’a pas assez de pain pour sa famille, il faut lui dire qu’il est très-heureux d’en avoir un morceau ; à l’ouvrier qui ne gagne que vingt sous par jour, il faut avoir un cœur assez froid pour lui dire qu’il est bien plus heureux que s’il n’en gagnait que dix. Voilà la logique du Courrier de Lyon. Mais que répondre à cela ? nous en serions bien en peine, car si raisonner ainsi n’est pas le comble de la démence, c’est au moins le comble de l’absurdité.

Voyez quelle élégance de style, quelle délicatesse lorsqu’il raconte ingénument qu’il a versé 16,000 fr. pour n’avancer que des utopies aux gens lettrés et aux oisifs ! quelle supériorité de pensée, et surtout quelle urbanité de langage, lorsqu’il dit que ce cautionnement ne lui sert qu’à raconter ses nouvelles aux gobe-mouches des cafés (ce sont ses propres expressions) ; et certes nous qui ne sommes que de pauvres prolétaires, nous ne nous permettrions pas de telles insultes, car nous honorons trop nos compatriotes pour croire avec le Courrier que nos cafés ne sont peuplés que de gobe-mouches.

Pauvres lecteurs du Courrier, on vous traite bien cavalièrement ! n’importe, payez toujours, c’est la feuille indispensable, c’est le paratonnerre contre l’orage ; c’est une digue où vient se briser le torrent populaire... et ne voyez-vous pas cet essaim de prolétaires prêt à tout envahir, se jetant sur la propriété et proclamant la loi agraire ? Vous allez nous dire que tout est calme, que le peuple n’aspire qu’a travailler au sein de la paix, et qu’enfin vous ne voyez rien de ce que nous vous disons : cela peut être ; mais le Courrier de Lyon le voit, lui, et vous devez payer, bien payer ses rêveries...

Enfin, nous attendrons patiemment que l’indignation de ces messieurs soit un peu apaisée, pour qu’ils nous répondent, nous reposant sur la justice de notre cause et sur le ridicule de ce pauvre Courrier de Lyon.

 

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