L'Echo de la Fabrique : 19 février 1832 - Numéro 17

ABUS DU TRAVAIL DE NUIT.

L’excès du travail, en captivant l’ouvrier, et en l’attachant à un métier où se meuvent continuellement toutes les parties de son corps, est nuisible à la santé ; et d’après l’attestation des plus célèbres médecins de notre ville, les trois quarts des maladies des ouvriers de la fabrique proviennent de cette cause. Un travail assidu de dix-huit heures sur des métiers à la Jacquard, qui sont ordinairement pénibles à faire mouvoir, où l’estomac appuyé contre le rouleau reçoit le contre-coup du battant, empêche la digestion, dispose à l’irritation, première cause des maladies de langueur. Les médecins avouent ne pouvoir guérir ces maladies que par le repos, le changement d’état et de la bonne nourriture.

Comparons maintenant : si le travail ordinaire de l’ouvrier lui ruine sa santé, que devient celui qui est forcé de travailler pendant une semaine jour et nuit, et de ne suspendre son travail que lorsque ses forces l’abandonnent et que le sommeil l’accable ? qui ne se donnant même pas la peine de se mettre sur un lit, de crainte de trop se reposer, dort sur son métier, et se réveille bientôt tout tremblant, parce que le sommeil, dans cette position, est aussi pénible que le travail. Combien n’en voit-on pas qui, après de semblables excès, tombent malades, et demeurent un mois avant de pouvoir recommencer à travailler ; d’autres vont à l’hospice, et n’en reviennent pas. Combien de fois avons-nous vu des mères en pleurs, qui avaient perdu leurs enfans, que la docilité envers les négocians et la crainte de ne plus avoir de l’ouvrage forçaient à se captiver ainsi pendant dix nuits de suite, et être par cela la cause involontaire de leur mort.

Ceux qui sont étrangers à la fabrique d’étoffes de Lyon, croiront sans doute que ce travail de nuit est comme dans tous les autres états, ainsi que par toute la France, plus rétribué que celui de jour ; eh bien ! non ; il est [3.1]presque toujours accompagné de menaces de la part du négociant : « Si vous ne me rendez pas cette pièce tel jour, à telle heure, 15 centimes de rabais par aune ; si je n’ai pas ma pièce bien fabriquée pour le jour fixé, je ne vous donnerai plus d’ouvrage. » D’autres enfin qui pensent qu’il est plus facile d’amener à leurs fins les ouvriers par des promesses que par des menaces, leur promettent de leur donner toujours de l’ouvrage et de grands aunages. Mais si, par malheur un accident arrive, une goutte de cambouis s’échappe de la mécanique, la fumée des lampes de l’atelier rend quelques aunes de la pièce un peu moins fraîches que celles qui se sont fabriquées de jour ; au lieu de ces promesses, c’est un rabais, on parle même de mettre la coupe à moitié prix ; et si l’ouvrier parle d’aller réclamer aux prud’hommes, on lui répond : allez ! vous n’aurez plus d’ouvrage ; vous êtes un chicaneur. Dernièrement encore, un négociant avait promis à un ouvrier 3 francs s’il lui rendait un schal tel jour et à telle heure. L’ouvrier, après avoir travaillé plusieurs nuits, parvint à rendre son schal à l’heure convenue ; mais quel fut son désappointement, quand, au lieu de recevoir les 3 francs qui lui avaient été promis comme gratification, on lui fit un rabais de 5 francs, parce que son schal était trop court d’un pouce.

Pour détruire les douloureux et nombreux abus de ce genre, on devrait fixer la journée de chaque article, c’est-à-dire prendre la moyenne sur cent ouvriers. Ainsi, en prenant 100 livres d’ouvriers tissant le même article, et ou le jour du reçu et du rendu de l’étoffe est écrit, on prendrait pour règle de la journée le plus grand nombre qui auraient rendu le même aunage dans le même espace de temps ; ainsi donc, on trouverait sur cent ouvriers qui tissent le courant ordinaire, 30 métiers à 3 aunes par jour ; 40 métiers à 3 aunes 1/2 ; 20 métiers à 4 aunes ; 6 métiers à 4 aunes 1/2, et 4 métiers à 5 aunes. La journée pourrait être fixée à 3 aunes 1/2 pour cet article, et l’on pourrait faire le même calcul pour tous les articles. Comme il est de règle dans tous les états de payer aux ouvriers un défraiement pour le passage des nuits, on pourrait bien allouer 1 fr. 50 c. par chaque métier qui serait obligé de passer les nuits, pour faire un supplément de journée, qui serait partagé en donnant 1 fr. à l’ouvrier, et 50 c. au chef d’atelier, pour ses frais de chauffage, etc., ce qui est de toute justice ; et ce serait selon nous une bien légère indemnité à ceux qui sacrifient leur santé pour faire la fortune du négociant. Nous croyons qu’un pareil règlement ne peut manquer d’être pris en considération par le futur conseil ; c’est du moins l’espoir des ouvriers.

Conditions des soies.

Il est entré dans cet établissement, depuis le 1er février jusqu’à ce jour, 700 ballots de soie, nombre qui paraît devoir être de beaucoup supérieur à celui du mois de janvier.

Ainsi, d’après le mouvement des soies qui s’est opéré, soit à Avignon, Alais, St-Etienne et dans cette ville, où les teinturiers sont très-pressés, une augmentation doit avoir lieu dans le prix des façons des étoffes de soie ; dans le cas contraire, nous croirons que réellement les soies teintes passent à l’étranger.

 

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