L'Echo de la Fabrique : 7 décembre 1834 - Numéro 12

un mot sur l?éducation

DU JEUNE PROLÉTAIRE.

[1.1]Quel plus grand service peut-on rendre au pays,
que celui d?instruire et de former la jeunesse ?
(cicéron1.)

L?éducation, pour l?ordinaire, est bien éloignée d?être systématique. Après quelques notions imparfaites de choses assez peu utiles, on recommande pour toute instruction les moyens de faire fortune, et pour morale, la politesse ; encore est-elle moins une leçon d?humanité, qu?un moyen nécessaire à la fortune.

Pour obvier à cet inconvénient, notre but est de montrer que le jeune prolétaire a besoin de l?éducation et de l?instruction, non pour en faire un homme aimable, mais un citoyen ; non pour en faire un savant, mais pour lui donner l?aisance, dans sa profession, d?arriver à compléter le bonheur de ses concitoyens, en travaillant à sa propre félicité.

L?éducation a pour objet les sentimens et le c?ur, tandis que l?instruction s?attache particulièrement à la culture de l?esprit et des talens. Parlons d?abord de l?éducation.

Nous avons dit que le c?ur et les sentimens faisaient l?apanage particulier de cette culture du jeune prolétaire. Développons notre pensée.

Nous avons tous dans le c?ur des germes de vertu et de vice ; il s?agit de faire fructifier les uns et d?étouffer les autres, et pour extirper de la jeunesse ces monstres, parlant des vices, qui en font le fléau de la société, et lui montrer leur difformité ; il suffit de lui représenter la vertu belle par elle-même, se faisant aimer par son seul mérite, s?attachant au bonheur de ses semblables et n?empruntant dans aucune circonstance ces fausses couleurs dont se farde le vice, qui lorsqu?elles sont passées, le laissent encore plus hideux ! En effet, mettons [1.2]en parallèle d?une part, ces hommes qui se dévouent pour leur patrie, qui avant de songer à eux-mêmes, pensent au bien général, dont la bienfaisance est la principale étude, et pour qui le malheur est toujours un privilége pour arriver jusqu?à eux ; de l?autre cet égoïsme, chancre rongeur qui nous dévore chaque jour, qui se désaltère de nos peines et sur les lèvres duquel le sourire n?a jamais paru qu?à la vue de la misère : à la première vue, l?on admirera l?un et l?on méprisera l?autre ; le c?ur s?attachera au premier, tandis qu?il n?éprouvera pour l?autre que ce mépris repoussant qui nous révolte à l?idée de ses exactions.

Pour peindre les avantages de l?éducation, quant aux sentimens, déroulons l?histoire ancienne et jetons un coup-d??il rapide sur les causes qui pouvaient faire de ces peuples des essaims de héros. Interrogeons Athènes, interrogeons Rome et nous verrons que dès l?adolescence ils s?attachaient à faire naître dans le c?ur de leurs enfans cet amour de la patrie, ce désintéressement patriotique qui enfante de si grandes choses ! Mais si d?une part nous sommes émerveillés de tant de prodiges, quelle peine n?éprouvons-nous pas en voyant qu?une fois que ces républiques se sont appliquées à faire moins des citoyens que des esclaves ; à former plutôt des adulateurs pour encenser les vices des grands, que des héros pour protéger, pour étendre le territoire ; en un mot qu?on n?a plus reconnu la patrie comme une mère commune, qu?on n?a plus fait de l?amour social une vertu dominante, qui avait fait éclore tant de prodiges, qui les avaient rendus invincibles ; elles sont tombées du faîte de la grandeur presque à la nullité !

Profitons d?aussi terribles exemples, inculquons de bonne heure dans le c?ur des jeunes prolétaires, cet amour des vertus sociales, qui font les vrais citoyens, cet amour de la patrie, cette abnégation entière de sa volonté pour le bien général, d?où naissent les héros : de façon qu?accoutumés à chercher leur avantage personnel [2.1]dans le plan du bien général, dans quelle que profession qu?ils se trouvent, ils commençassent par être citoyens.

Pour l?instruction, elle dépend de la science qui forme l?esprit, et des arts qui s?attachent à notre existence.

Les connaissances qui développent notre esprit, dans ce siècle, peuvent être familières à toutes les professions : car sans parler de ces écoles modèles, de ces écoles gratuites, où se rectifient, où se forment nos premières idées ; n?avons-nous pas ces cours publics que nous pouvons suivre et qui sont comme le complément des premières notions acquises, et qui tout en nous servant de délassement d?esprit ne laissent pas de nous être de la plus grande utilité, même dans notre profession. Par exemple, la géométrie pratique, ne serait-elle pas d?un grand secours à ceux qui se destinent à l?étude de la mécanique, à l?arpentage, à la construction, à la fabrique même, où souvent, faute d?avoir des connaissances mêmes superficielles de cette science, nous éprouvons des difficultés sans nombre.

Nous nous serions étendus plus au long sur cette partie de l?instruction, mais une plume mieux exercée doit s?occuper de cette matière. Nous y renvoyons nos lecteurs. En attendant, prolétaires, songeons que cette génération naissante est appelée à mettre à exécution ce que nous projetons, et qu?il ne nous est donné que d?ébaucher, soit pour la régénération sociale, soit pour les sciences que l?âge ne nous permet plus de cultiver. Appliquons-nous donc à en faire de bonne heure de bons citoyens, à former de bons français, et pour cela à travailler par l?éducation à en faire des hommes de bien, justes appréciateurs des vertus et des vices. Puis en donnant à leur esprit naturel ce développement que procure la science en fréquentant les écoles fondées par nos institutions et les différens cours qui sont le complément de cette ?uvre, ils contribueront à faire leur bonheur en se rendant utiles à la patrie et à leurs concitoyens.

Notes de base de page numériques:

1 « Quel meilleur, quel plus grand service pouvons nous rendre aujourd?hui à la République que d?instruire et de former la jeunesse », avait noté Cicéron dans son De Divinatione.

 

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