L'Echo de la Fabrique : 4 janvier 1835 - Numéro 16

LE JOUR DE L?AN ET NOS SOUHAITS.

[1.1]Le jour de l?an est un jour de manifestation mensongère ; de politesses spéculatives ; de souhaits obligés, que la bouche exprime et que le c?ur dément ; c?est un jour où les sentimens de l?âme se cachent sous un triple voile et créent une apparence d?affection parmi les hommes, que la main inévitable du lendemain fait de suite disparaître ; c?est un jour où l?intérêt se revêt des formes les plus hypocrites et donne partout un mouvement d?une si extrême diversité, que l?intérêt seul qui produit en retire les fruits.

Les souhaits les plus opposés, les plus contradictoires sont formés, et vraiment c?est heureux que nos destinés soient soumises à une puissance surhumaine ; car s?il dépendait de la volonté des hommes de satisfaire aux v?ux qu?ils forment, où en serait la pauvre humanité.

Quant à nous qui frondons les usages du jour de l?an, nos lecteurs trouveront bon cependant que nous y soyons encore soumis, et que nous aussi, nous formions des souhaits, qui, nous le disons franchement, nous sont inspirés par l?intérêt. Oui, par l?intérêt ; car le sentiment qui nous anime est le bonheur de nos semblables, notre félicité est attachée à la leur. Nous avons donc raison de dire que nos souhaits sont dictés par l?intérêt. Mais celui-ci est honorable ! on peut l?avouer avec orgueil !

D?abord jettons sur la malheureuse année qui vient de s?écouler le voile de l?oubli, et souhaitons que les plaies profondes du c?ur se cicatrisent, afin que leurs douleurs ne nous interdisent plus les douces consolations de l?espérance ; que nos yeux tournés vers l?aurore de la nouvelle année, n?aperçoivent plus les nuages que la misère et l?égoïsme amoncelèrent sur notre malheureuse cité en proie un instant aux fureurs d?une horrible tempête ; ? qu?un ciel serein succède à un ciel rembruni [1.2]et qu?à l?horizon nous apparaisse, brillante d?une nouvelle clarté, l?étoile de l?industrie, que la cupidité depuis long-temps a rendu si pâle ; que l?aisance, la santé viennent s?asseoir au foyer du travailleur ; ? que la confiance et l?amitié fassent disparaître l?éloignement des hommes entr?eux et viennent resserrer les liens sociaux ; que la calomnie cesse de distiller son funeste poison, qui divise les hommes, qui substitue la haine et la défiance à l?estime, et qui change trop souvent le zèle le plus ardent en une complète et déplorable indifférence.

Nous souhaitons encore que des hommes généreux nous prêtent leur concours pour l?accomplissement de l??uvre à laquelle nous nous sommes dévoués ; ? nous souhaitons que le surcroit de travail que nous nous sommes imposé, ne s?oppose pas au développement de nos forces, afin qu?elles deviennent égales à notre courage et à notre dévoûment, car il nous faut enlever au sommeil le temps que nous consacrons à l??uvre d?affranchissement de l?industrie de cette libre concurrence que nous ne pouvons admettre ? qu?exercée par la probité et les talens.

Nous souhaitons que l?empressement qui a accueilli notre modeste feuille à son début se maintienne ; nos facultés s?augmenteront, et alors ayant pour appui les sympathies de nos frères, de nos efforts résultera : l?industrie s?ouvrant dans l?avenir une nouvelle voie de prospérité et de splendeur, que la main de l?égoïsme ne pourra plus interdire.

 

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