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7 décembre 1834 - Numéro 12
 

 




 
 
     

ÉPHÉMÉRIDES LÉGISLATIVES

Session continuée de 1834.

CHAMBRE DES PAIRS. 1er décembre. Composition des bureaux. – Lecture des ordonnances qui appellent à la pairie MM. Gasparin1 et les généraux Aymard et Bernard2, et de celles qui nomment M. Decazes, Grand-Référendaire, MM. Portalis et de Broglie, vice-présidens.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS. 1er décembre. Renouvellement des bureaux. – Déclaration d’option par plusieurs députés élus dans divers arrondissemens. – Lettre de M. Fulchiron annonçant la mort de M. Dugas-Montbel. – M. Persil, ministre de la justice, présente trois projets de loi. 1° Sur la responsabilité des ministres et agens du pouvoir. 2° Sur la législation des faillites. 3° Sur la vente, au comptant des fruits pendans par racines, à l’effet d’en conférer indistinctement le droit aux huissiers, notaires, greffiers et commissaires priseurs. – M. Humann, ministre des finances, présente deux projets de loi. 1° pour le règlement des comptes de 1832 (il avait déjà été présenté l’an passé.) 2° Pour proroger, jusqu’en 1847, le monopole du tabac, et assimiler au tabac toutes les poudres ayant son effet et ses propriétés. – M. Duchâtel, ministre du commerce, présente à la sanction, de la Chambre et avec quelques modifications, plusieurs ordonnances relatives aux Douanes, rendues dans l’intervalle de la session. – M. Thiers, ministre de l’intérieur, demande un crédit de 360,000 fr. pour la construction, au Luxembourg, d’une salle spéciale pour les débats du procès d’avril. – M. de Rigny, ministre des affaires étrangères, annonce qu’il est prêt à répondre aux interpellations qui lui seront adressées ; une discussion s’engage sur le sens de l’adresse de la Chambre, entre MM. Berryer, Etienne et Guizot: M. Dupin lève la séance, attendu qu’aucune proposition n’est faite.

décembre. Suite de la vérification des Pouvoirs. – L’élection de M. Guizard, est annulée ; M. Janvier demande à adresser des interpellations aux ministres ; elles sont fixées au vendredi suivant.3

Condamnation de la Tribune Prolétaire.

Notre gérant a été condamné mercredi dernier par le Tribunal de police correctionnelle à un mois de prison et deux cents francs d’amende ; on se serait difficilement attendu à ce résultat en voyant le laisser aller du tribunal qui d’office avait renvoyé la cause à trois semaines et ensuite à huitaine pour la prononciation du jugement ce qui permettait de supposer qu’à ses yeux le délit n’était pas plus évident qu’urgent à réprimer. On se serait encore moins attendu à ce résultat après avoir ouï la plaidoirie éloquente de Me Jules Favre. Le tribunal a appliqué le minimum, c’est donc moins la peine en elle-même que notre gérant est appelé à subir qui nous rend tristes et soucieux (nous ne craignons pas de l’avouer) que cette attaque contre la presse prolétaire dont nous supportons les premiers coups. C’est un fâcheux précédent et chose bizarre, il ne nous est pas permis de dire toutes les conséquences hostiles à la classe ouvrière qui ressortent de ce précédent.

Quant à nous, nous sommes condamnés, mais nous ne sommes pas convaincus. Nous sommes condamnés pour avoir notamment dans les nos des 21, 28 septembre et 12 octobre parlé politique. Eh bien nous le disons franchement ; jamais notre intention n’a été de parler politique ; et nous sera t-il permis de dire toute modestie à part que [1.2]nous ne sommes pas assez simples pour ne pas savoir comprendre ce qui est ou ce qui n’est pas politique.

Quoiqu’il en soit, la tribune prolétaire ne périra pas. Aux sacrifices que nous avons faits nous en ajouterons d’autres et s’il devient nécessaire un cautionnement sera fourni. Alors, et cette réflexion n’est pas sans importance, alors il nous sera libre de parler politique dans le sens que tout le monde attache à ce mot. Nous voudrions bien savoir quel avantage le parquet trouve à grossir ainsi le camp de la presse politique. Le parquet sait bien sans que nous ayons besoin de le lui dire, dans quels rangs, sous quel drapeau il nous trouvera. Est-ce là le but qu’il s’est proposé en commençant ses poursuites ? nous aimons mieux croire qu’il a suivi son zèle plutôt que les leçons de la prudence, mais, il n’en résulte pas moins aux yeux de tous ceux qui réfléchissent mûrement que la condamnation de la tribune prolétaire est aussi dans son humble sphère ce que M. Royer-Collard1 appelait un effet sans cause.

Nous avons donné dans le premier N° un aperçu de notre procès ; nous allons ajouter quelques détails : la première citation que reçut notre gérant, incriminait sept articles de fonds (du progrès social, n’ayez pas peur de l’avenir, du logement militaire, coup d’œil sur la société, 30  millions de prolétaires, arrestations préventives, grâce au Courrier de Lyon)(V. spécimen, et nos 2, 3, 4, 5 et 6.) sans désignation des phrases réputées politiques, les lectures prolétaires contenues dans les nos 1 et 3 sans désignation non plus les cancans du N° 4, la liste de souscription publiée dans le n° 3 et la lettre des détenus de Perrache mise à la suite de cette souscription. La liste des détenus préventivement à Perrache, la note insérée dans le N° 3 annonçant l’arrestation des chefs d’ateliers accusés d’avoir voulu reconstituer le mutuellisme et acquités depuis et enfin la série entière des nouvelles sans aucune distinction, étaient incriminés par cette citation. La seconde citation incriminait, d’abord les nouvelles ou mémorial historique, un article de la Tribune intitulé du progrès industriel, inséré dans le N° 9 et celui intitulé misères prolétaires, inséré dans le N° 8. C’est sur ces nombreux chefs de prévention que nous avions à répondre.

En l’audience du 26 novembre M. Jules Favre après le réquisitoire de M. Belloc s’exprima ainsi.

« Nous vivons à une époque où les disputes de grammaire et les subtilités de langage tiennent dans la vie sociale une si large place, que des chaires de rhétorique et des assemblées de logiciens, elles sont montées jusque dans le sanctuaire législatif : elles ont envahi jusqu’au prétoire des justices criminelles, conséquence inévitable des crises révolutionnaires qui ont secoué notre France, et qui en y multipliant outre mesure les vaines formules de garantie, ont hérissé nos codes de dispositions élastiques dont chaque pouvoir exploite à son profit les commodes équivoques, et bien que nous en sommes comme autrefois les Grecs du Bas-Empire à de stériles batailles de mots ! si bien que M. l’avocat du roi vient requérir, et que je repousse, des condamnations en invoquant je ne sais quelles distinctions métaphysiques, je ne sais quel raffinement d’argumentation avec lesquels, je pense que les sévères et positives intelligences sont assez mal familiarisées.

« Cependant notre tâche est à la mesure de la vôtre. – A nos doutes vous répondrez par une affirmation, à nos débats par un jugement. Mais sur quelle base sera-t-il assis ? quel principe régulateur et fixe aurez-vous [2.1]pour guide ? La limite qui sépare les discussions philosophiques et industrielles des discussions politiques. Limite incertaine et mobile s’il en fut, que n’a pas d’avance tracée la précision des textes, qui flotte indéterminée au gré des capricieuses appréciations de chacun, et contre les déviations de laquelle la conscience, à défaut d’intelligence, ne s’élève pas. Limite dangereuse néanmoins puisqu’on ne la peut franchir sans rencontrer le seuil d’un cachot et les janissaires impitoyables du fisc. Voilà notre boussole ! Aussi, messieurs, vous comprendrez que j’éprouve quelque embarras à en deviner les vacillantes oscillations. Si la poursuite est franche de latitude, la défense craint de frapper dans le vague et de laisser échapper le délit à travers les innombrables hypothèses auxquelles peuvent donner lieu les interprétations diverses des articles que vous avez sous les yeux.

« Que faire donc ? Irons-nous fatiguer vos attentions de l’autopsie détaillée de chacun des numéros joints à la procédure comme pièces de convictions ? Aurons-nous pour chaque phrase équivoque les balances délicates et trop souvent faussées de la synonymie et des définitions ? A Dieu ne plaise, messieurs ; quelque zèle que nous inspire notre client, nous ne voulons pas acheter son acquittement par l’ennui et mettre son innocence à l’abri derrière de fastidieuses démonstrations.

« Cette cause nous est apparue sous un point de vue plus large et plus simple : commenter les textes qui nous sont opposés, rechercher patiemment le but de ceux qui les ont écrits, rapprocher de ces élémens fondamentaux non pas tel ou tel numéro, mais le journal incriminé ; telle est la tâche que nous nous sommés imposées, nous essaierons de la remplir avec méthode et brièveté, deux qualités que nous regardons comme sœurs, et que dans son orgueil, l’art oratoire traite trop souvent en étrangères. »

L’avocat se livre à l’examen des textes et de l’esprit des lois de 1819 et 1828. Il fait remarquer que la première assujettissait au cautionnement tous les journaux s’occupant de matières ou de nouvelles politiques ; la seconde s’est montrée moins rigoureuse, puisqu’elle affranchit du cautionnement les écrits périodiques non consacrés aux matières politiques. Elle a donc permis la publication des nouvelles, c’est-à-dire, des faits accomplis présentés dans leur nudité historique ; ce n’est pas là une vaine dispute de mots. Quel but supposez-vous à ceux qui ont fait les lois de 1819 et 1828 ? Ont-ils voulu enrichir leur budget ? Ils auraient pu choisir à l’impôt une assiette plus solide et surtout plus féconde. Ont-ils cherché à imposer des entraves au développement intellectuel qui simplifiait toutes choses, la politique comprise, et menaçait d’envahir l’état. L’avocat exprime à cet égard que ce fut bien là l’intention des législateurs ; mais qu’ils la cachèrent sous de plus nobles prétextes : il continue ainsi. « Les législateurs se crurent en droit de demander des garanties au journalisme, et vraiment la prétention n’était pas exorbitante : car il avait grandi depuis l’empire, ce quatrième pouvoir, que le dix-huitième siècle a légué aux générations modernes comme un héritage de progrès et de fermentation sociale ; il avait marché droit et le front haut : et lorsque les députés de 1828 se mesuraient avec lui, eux dont les mandats étaient écrits sur leurs cotes foncières, ils pouvaient exiger de leur rival indépendant et libre, une cotisation d’écus qui rétablit le niveau.

« Tel fut, n’en doutez pas, la pensée intime des lois de 1819 et 1828. Je la comprends comme une nécessité contemporaine, comme une frayeur légitime, mais pour qui ? Pour le journalisme par excellence, pour le journalisme politique. Lui seul est dangereux, parce que lui seul est influent. Il a sa tribune, ses lecteurs qu’il passionne et dirige. Je conçois qu’on humilie sa souveraineté par le cautionnement, mais que ces entraves s’abaissent devant les entreprises modestes dont la polémique bornée s’arrête au seuil des palais et des assemblées législatives : peu jalouses de gloire ; elles se contentent d’être utiles ; elles ne tiennent pas dans leurs mains les foudres qui renversent les empires. A elles les ressorts bienfaiteurs de la production ! A elles la mission laborieuse de jeter sur les sentiers obscurs et méprisés des industries subalternes les lumières de leurs patientes investigations. Aussi la loi leur ouvre-t-elles la libre carrière d’une discussion illimitée. »

M. Jules Favre se demande ensuite quel est le caractère de la Tribune Prolétaire ; il prouve que ses rédacteurs n’ont jamais eu d’autre intention que de défendre les intérêts des travailleurs. Il parcourt un à uni les articles cités par le ministère public, et s’attache à démontrer qu’ils ne contiennent rien de politique et que la Tribune a pu, sans contrevenir à la loi, s’occuper de matières philosophiques [2.2]et sociales. Après une discussion approfondie des différentes questions que soulève la cause, il termine ainsi :

« J’en ai dit assez pour juger ce procès. M. le procureur du roi a cru devoir nous l’intenter pour ne pas encourir de reproches de sa conscience. Nous apprécions ses susceptibilités. Vous, Messieurs les magistrats du pays, vous déciderez si nous avons compromis ses intérêts par une infraction involontaire de la loi ; mais si, comme je l’espère, nous ne sommes à vos yeux ni des perturbateurs du repos public, ni des violateurs de textes, vous réserverez, pour de véritables coupables, les tortures de la prison et les rigueurs de l’amende. »

M. le substitut prit la parole et combattit la distinction posée par M. Favre. Selon lui, le journalisme ne peut, sans déposer de cautionnement, se livrer à l’examen des matières philosophiques et sociales ; il repoussa aussi la différence que l’avocat indiquait entre la loi de 1819 et celle de 1828.

M. Jules Favre, dans une courte réplique, s’attacha à réfuter les objections du ministère public et le tribunal continua la cause à huitaine, pour la prononciation du jugement.

Nous donnerons, dans notre prochain numéro, le texte même de ce jugement en l’accompagnant des réflexions que nous croirons utiles, car nous ne devons pas oublier qu’indépendamment des juges institués par la loi, les journalistes en ont d’autres, et sont soumis à un tribunal auquel chacun vient forcément rendre hommage tôt ou tard, ce tribunal est celui de l’opinion publique.


i. La plaidoirie de M. Favre étant improvisée, nous n’avons pu nous procurer cette partie intéressante des débats. Nous y suppléerons dans le prochain numéro. Cette discussion trouvera place dans les réflexions dont nous accompagnerons le texte du jugement rendu contre nous.

Le défaut d’espace nous force de renvoyer au prochain numéro notre réponse à l’article de M. Eugène Dufaitelle inséré dans le numéro 15 de la Mosaïque.

CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Séance du Décembre.

Président, M. Riboud: membres, MM. Berthaud, Blanc, Cochet, Dufour, Dumas, , Jubié, Micoud, Perret, Putinier, Roddet, Roux, Verrat, Wuarin.i

26 causes sont appelées dont 7 sur citation ; deux sont arrachées, 6 renvoyées à huitaine, une jugée par congé-défaut, deux par défaut.

Lorsqu’il résulte de la visite des matières, faite par les membres du conseil, délégués à cet effet, que l’infériorité de ces matières ne permet pas au fabricant de remplir l’aunage ordinaire, est-il dû une indemnité à ce fabricant ? – Oui.

Ainsi jugé entre Rochet et Mathon Zola : ces derniers ont été condamnés à payer 20 fr. d’indemnité, et Rochet devra rendre dans un délai que le conseil a fixé (17 jours), les 30 aunes qui restent à fabriquer.

Lorsqu’un apprenti, volontairement ou par maladresse, cause du dommage à une pièce, la caution est-elle responsable de ce dommage ? – Oui.

Ainsi jugé entre Morin et Petit, père.

Le conseil a condamné Rivière, négociant, à payer 6 fr. d’indemnité à Servajean, fabricant, pour ne pas s’être rendu au jour indiqué par-devant les prud’hommes-arbitres, au greffe, et avoir ainsi fait perdre son temps à ce chef d’atelier. – Servajean avait rendu un solde de matières, et Rivière refusait de le recevoir, sous prétexte qu’il n’était pas en bon état. La cause avait été renvoyée en conciliation.

Sur le rapport de MM. Joly et Bourdon, il a été condamné à recevoir ce solde.

L’affaire entre Grange fabricant, et Randon et Moras négocians, relative au prix de raccommodage d’un châle, porté trop haut, a été renvoyée en conciliation devant MM. Perret et Roux.

Le conseil a résilié les conventions d’apprentissage entre Grubit et Laffait, Benière et Viannet. Nous voyons avec peine que dans ces deux affaires il a persisté dans la jurisprudence de n’allouer qu’une partie des dommages intérêts stipulés. Nous nous en référons à la note que nous avons mise sur l’affaire Perrichon et Duchêne (v. numéro 8). Dans cette dernière affaire, il y a eu appel par le chef d’atelier. Nous rendrons compte du jugement qui interviendra.


i. Notre impartialité nous fait un devoir de faire remarquer qu’en cette séance un suppléant fabricant a siégé en même temps que le titulaire. Est-ce une compensation de l’irrégularité commise en la dernière audience, où un suppléant négociant a siégé avec le titulaire ? Le président doit veiller à ce que cet abus ne se renouvelle pas. La règle est égale pour tous.

AUX FEMMES DE LA CLASSE OUVRIÈRE.

[3.1]M. Marleix, rue Clermont, N° 28, offre d’occuper de suite toutes les femmes capables de bien confectionner des cols.

Nous insérons avec empressement cet avis qui peut être utile à quelques-uns, et nous en ferons autant et gratis pour tous ceux de nature à intéresser la classe ouvrière.

Cet avis nous suggère quelques réflexions que nous croyons devoir soumettre à nos lecteurs.

Les femmes de la classe ouvrière ne savent comment employer leurs loisirs forcés. Elles n’ont plus d’état à elles, propre, et leurs travaux, lorsqu’elles en ont, sont rétribués à un prix si tellement modique, qu’il leur est impossible de suffire avec, à leur existence, Quelle en est la cause ? La concurrence que leur font des dames riches, ou du moins qui peuvent se passer de travailler pour vivre. Ces Dames ne travaillant que pour s’occuper, disent-elles, par amour-propre, ont avili les salaires. C’est une concurrence impie. N’est-il pas honteux que, pour se procurer des colifichets, des parures, et mille autres riens agréables, des femmes enlèvent, à de pauvres malheureuses ouvrières, la faculté de vivre ? N’est-ce pas là une véritable spoliation, une espèce d’assassinat ?

AU REDACTEUR.

Lyon le 26 novembre 1834.

Vous avez, dans votre numéro neuf, reproduit un article du Réformateur qui demande que le gouvernement achète aux inventeurs leur secret et livre ensuite au public l’invention pour qu’il en use à son gré. Cette idée est belle, mais je ne crois pas que le gouvernement l’adopte jamais ; s’il le faisait il est certain que tous les inventeurs accepteraient avec joie une récompense même modique. Ils y trouveraient bien leur compte. En effet, croyez-vous, par exemple, que le mécanicien, assez heureux pour avoir réussi, puisse se reposer et jouir en paix du fruit de son travail ? Je ne vous parle pas des démarches qu’il a à faire pour obtenir un brevet d’invention ; c’est-à-dire la patente pour exploiter une industrie qui est bien sa propriété puisqu’il vient de la créer. Il faut qu’il paye pour obtenir ce brevet : il y a loin, comme vous voyez, du système actuel à celui que vous proposez. Je suppose que ce mécanicien a toute l’activité nécessaire pour faire ces démarches et l’argent indispensable pour acheter son brevet, ou bien qu’il a trouvé des amis, lesquels, confians dans son succès, lui ont fait les avances ; eh bien ! il n’y a rien de fait. Le plus difficile est resté : il faut que le mécanicien sorte de son atelier où de plus importans travaux le retiennent, pour aller successivement devant tous les tribunaux demander justice contre d’audacieux contrefacteurs, ces frelons de l’industrie. Il l’obtiendra, c’est probable ; mais à quel prix ? Les dommages et intérêts qui lui seront alloués seront loin de l’indemniser ; les recevra-t-il même ? Et bientôt, les contrefacteurs n’ayant à se récupérer d’aucune avance, d’aucun temps perdu dans les essais de l’invention, livreront à bien meilleur marché qu’il ne peut le faire lui-même ; il en résultera contre lui une concurrence ruineuse. Ce que je vous dis, monsieur, est l’exacte vérité et je vous parle d’après ma propre expérience. Il est urgent que la législation sur les brevets soit révisée, que des peines plus sévères soient prononcées contre les contrefacteurs, que la justice soit plus prompte, et en attendant que le gouvernement paye les inventeurs, ne serait-il pas convenable qu’il s’abstienne de les faire payer pour délivrer les brevets d’invention.

Je livre ces réflexions à votre sagesse et à l’appréciation du public. Si vous jugez utile de publier ma lettre vous obligerez etc.

david, mécanicien, place Croix-Paquet, inventeur-breveté des nouvelles mécaniques.

Note du rédacteur. Nous approuvons entièrement les réflexions de M. David. Nous persistons à croire que c’est au gouvernement, loin de tirer un tribut de la délivrance des brevets d’invention, à récompenser les inventeurs et livrer au public les découvertes. Au demeurant, la législation sur les brevets, même en restant dans l’ordre [3.2]de choses actuel a besoin d’être révisée. Ce serait au conseil des prud’hommes en 1er ressort et au tribunal de commerce en appel, à connaître des contestations relatives aux brevets d’inventions et non aux juges de paix totalement étrangers à l’industrie. Nous avons inséré, à ce sujet, un article bon à consulter, de M. Ph. Hedde, conservateur du musée à St-Etienne, dans le N° 15 de l’Écho des travailleurs : nous y renvoyons les lecteurs.

La Chambre de Commerce de Lyon,

A l’honneur de prévenir. MM. Les marchands-fabricans, Chefs d’atelier et ouvriers de la fabrique d’étoffes de soie, qui désireraient acquérir quelques-uns des articles restant de l’exposition de produits des fabriques étrangères faite par la chambre pendant les mois de Septembre et Octobre de la présente année, que ces articles leur seront cédés, au fur et à mesure de demande, aux prix cotés sur la notice, plus dix pour cent, pour frais de transport, non valeur et autres accessoires : le tout payé comptant.

Il ne sera reçu de demande et fait de livraison que pour la totalité de ce qui compose chaque lot indiqué par un N° de la notice : toute demande de partie seulement d’un lot sera considérée comme non avenue ; à moins que plusieurs personnes ne s’entendent pour absorber par plusieurs demandes partielles un lot entier.

Il ne sera tenu compte des différences, qui seraient relevées entre l’aunage indiqué par la notice d’après les factures, d’achat, et l’aunage effectif, qu’autant qu’il sera réclamé pour lesdites différences avant le déplacement des objets.

Ou pourra se présenter au Secrétariat de la Chambre de commerce, Palais St-Pierre, tous les jours non fériés, depuis onze heures du matin jusqu’à une heure après midi, jusqu’au 10 courant, pour y prendre connaissance des articles restant disponibles.

Lyon le 1er Décembre 1834.

Le Secrétaire Membre de la Chambre de commerce, Brosset aîné, en l’absence.

MM. jayol et lavallé, membres délégués par la commission de secours établie, maison Cochet, rue du Menge, nous adressent, ainsi qu’à nos confrères, une circulaire que nous nous empressons de porter à la connaissance de nos lecteurs.

« Deux membres se transporteront à domicile pour solliciter des secours en faveur des ouvriers, hommes, femmes et enfans, victimes des journées d’avril, dépourvus, la plupart, de nourriture et de vêtemens. Ils recevront les dons les plus modiques. La commission a dressé trois tableaux. 1° Des femmes en couches ou malades, et des enfans appartenant à ces familles. 2° Des fugitifs. 3° Des détenus préventivement. On sera libre d’affecter les dons à celle de ces trois classes qu’on voudra.

SOUSCRIPTION

en faveur des détenus préventivement par suite des événemens d’avril.

2me LISTE.

MM. F. G., 1 fr. – Rivat, 50 c. : 1 fr. 50 c.

Report de la lre liste insérée dans le n° 3 : 12 fr. 50 c.

Total : 14 fr.

Cette somme a été remise, le 4 de ce mois, par M. Legras, gérant : savoir, cinq francs à M. Lagrange, pour les détenus de Roanne, et neuf francs à M. Carrier pour ceux de Perrache.

– Demain, à huit heures du matin, s’ouvriront les Assises du 4e trimestre de 1834, sous la présidence de M. Jurie, assisté de MM. Menoux et Lavalgutton.

M. VULLIERME.

Transiit benefaciendo.

La tombe vient de se fermer sur un homme de bien. Salut et respect aux mânes de l’apôtre du Christ, de l’homme bon et vertueux qui a conservé un cœur de citoyen sous la chasuble sacerdotale.

M. … Vullierme, curé de St-Nizier, né à Lyon, en 1775… est mort dans cette ville le 12 novembre dernier. Il venait d’être nommé vicaire général du diocèse, lorsque la mort l’a surpris. Il a reçu les honneurs réservés à [4.1]son rang mais on en conviendra, la pompe officielle que l’église accorde à ses lévites, et la société à ses dignitaires, disparaît devant le spectacle d’une foule empressée, qu’une faible rumeur seulement a convoquée, et qui vient accompagner à sa dernière demeure le bienfaiteur des pauvres, l’ami des affligés. Que ces larmes versées par des hommes presque honteux de cette marque de sensibilité, que ces regrets hautement et naïvement exprimés, que ces prières simples et ferventes sont un panégyrique éloquent ! nulle oraison funèbre ne saurait l’égaler. Nous avons donc été heureux, au milieu d’une douleur générale vivement ressentie par nous, de faire ces consolantes réflexions.

Par sa conduite dans les événemens récens dont Lyon a été le théâtre et la victime, M. Vullierme a mérité l’estime générale. Nous ne citerons pas les traits nombreux de bienfaisance et de courage que nous avons entendu raconter, nous emprunterons seulement à la Mosaïque Lyonnaise, le récit suivant :

« Un ouvrier qui faisait partie des combattans de St-Nizier, dans les journées d’avril, avait jeté son fusil au-dessus d’un confessionnal et s’était enfui ; peu de jours après il revint et le trouvant à la même place, il demanda à M. Vullierme la permission de le venir reprendre pendant la nuit. – Non, dit le curé, mais je le prendrai moi-même, et je le brûlerai. – Mais, objecta l’ouvrier, ce fusil n’était pas à moi. – J’entends, il vous le faudra payer et vous n’avez pas d’argent ; combien vaut-il ? – Interdit à une proposition si généreuse, l’ouvrier avoua que le fusil lui appartenait. – Alors, cela suffit, je le détruirai et je vous en donnerai le prix quand vous n’aurez pas d’ouvrage. » La Mosaïque ajoute avec raison : « Bon et digne curé, vous aviez bien compris votre mission. » Eh, sans doute ! disons le hautement.

Un bon curé, un bon pasteur (pour nous c’est tout un) est véritablement le trésor le plus précieux d’une paroisse, d’une commune. M. Vullierme fut un bon curé ; nous ne voyons pas de plus bel éloge à adresser à sa mémoire.

Le curé, dit Chateaubriand1, est la garde avancée placée sur la limite des deux mondes, on ne saurait l’entourer de trop de vénération lorsqu’il se montre véritable disciple de ce jésus que les chrétiens adorent comme DieuDieu ; que les philosophes proclament sage par excellence ; que les prolétaires révèrent comme le plus grand martyr de leur cause.

Patriote et religieuse, sans être anarchique ni bigote, la Tribune Prolétaire devait apporter son faible mais sincère hommage à M. Vullierme. Elle s’acquitte de ce devoir.

JE PUIS ENCORE CHANTER !1i

Nouveau Sylla, j’abdique la puissance ;
Je rentre au rang de simple citoyen.
Fier et content d’un an d’expérience,
Avec bonheur je me retrouve rien.
O Rheims ! ô ville enfoncée en l’ornière,
Bien de tes fils, parfois, m’ont fait pester :
Mais je n’ai pas terminé ma carrière ;
Sots et méchants, je puis encor chanter.

Le sceptre en main s’endormait mon génie,
A conseiller les peuples et les rois,
Plus de gaîté, plus de douce harmonie :
Je pâlissais sous le soleil rhémois :
Avec candeur ma muse aimante et fière,
Eu prose, hélas ! voulait tout régenter :
Mais etc.

Ville du sacre, ou de la Sainte-Ampoule
Les chers fragmens, attendent à l’abri,
Un roi chrétien, proclamé par la foule ;
Un Louis-Philippe, .… ou le fils de Berry ;
Ton nom fidèle éclate de lumière,
Car chaque prince, on te le voit fêter :
Mais, etc.

La liberté pourtant naît à la place
Où les prélats graissaient les fronts royaux ;
La femme pose avec force, avec grâce ;
L’égalité brille sur ses drapeaux.
[4.2]Ah ! nous verrons de l’ignorance altière,
Le sot orgueil bien long-temps l’insulter :
Mais, etc.

J’ai vu passer cette foule sacrée,
De malheureux, longue procession,
Qui murmurait d’une voix concentrée
« Plutôt la mort que la diminution »ii.
Dans ce long deuil plus d’un cri de misère ;
Plus d’un soupir étaient bons à noter :
Mais, etc.

Persévérez, douces, nobles victimes,
O vous, pour qui je veux vivre et mourir !
Faites rougir vos tyrans de leurs crimes ;
Sache-le bien : pour vous est l’avenir.
Souvent ma voix ô femme ! ô prolétaire !
A votre oreille encor viendra tinter :
Car, etc.


i. V. le numéro 10, presse prolétaire.
ii. Les fileurs de Rheims, 1834.

MÉMORIAL HISTORIQUE.

EXTÉRIEUR. grèce. – Le siège du gouvernement grec a été transporté le 1er Décembre de Nauplie à Athènes, par un décret du roi Othon Ier, du 30 septembre dernier.

russie. – Sur la fin du mois d’octobre dernier est mort à Polosk (frontière de la Lithuanie), un homme âgé de 188 ans ; il a été soldat dans la guerre de trente ans et a servi sous Gustave Adolphe ; à 93 ans, il s’est marié en troisième noces et a eu des enfans.

INTÉRIEUR. paris – Par ordonnancé du 22 novembre, l’amiral Duperré a été nommé ministre de la marine.

– M. Eugène Scribe a été nommé membre de l’académie française, en remplacement de M. Arnault, le 26 novembre.

– M. Dugas-Montbel1, savant helléniste, député du département du Rhône, est mort le 30 novembre.

marseille. – Le sergent de ville Dulong, convaincu d’avoir assassiné, dans l’exercice de ses fonctions, un ouvrier nommé Montescau, a été condamné à six ans de réclusion.

LYON. – L’abbé Plasson succède à M. Comberry à l’école des sourds et muets.

– Le docteur Gauthier a été nommé membre de l’académie.

THÉÂTRES.

grand-théâtre. Incessamment les débuts de Madame VALLIÈRE dans l’emploi des jeunes Dugazon1, et jeune deuxième chanteuse, de Madame MEJEAN, dans celui de la deuxième danseuse. A l’étude LESTOCQ, opéra et sous peu la première représentation de CLOTILDE, drame en cinq actes. Aujourd’hui, premier début de M. Saxoni, dans le Pré aux Clercs.

gymnase. Mardi au bénéfice de Félix, les premières représentations de Savoizy ou l’amoureux de la reine de France ; le carbonaro et l’Epicier ou frontière de Savoie, vaudevilles, et Honneur et pauvreté ou prête-moi cinq francs, drame.

Le mot de la dernière Charade est tripot-age.

LOGOGRIPHE.
Mes paroles sont fades, mielleuses,
Et je montre, au-dehors, des formes doucereuses ;
C’est ainsi qu’obtenant, partout, un libre accès,
Au palais, à la cour, j’ai fondé mes succès.
Dans mes dix pieds on voit, âne, géant, tapage,
Neige, étape, gilet, génie, âge, lapin,
Plat, gîte, ai, piège, an, lait, tige, péage ;
Enfin étage, laine, île, geai, page et pain.

Notes (ÉPHÉMÉRIDES LÉGISLATIVES Session continuée...)
1 Une ordonnance du 19 avril 1834 avait en effet récompensé Adrien de Gasparin (1783-1862) de son zèle à la préfecture du Rhône, en particulier pour sa gestion des événements d’avril, en l’élevant à la pairie.
2 Il s’agit là des généraux Antoine Aymard (1773-1861) et Simon Bernard (1779-1839).
3 Les députés non encore mentionnés dans le journal sont ici Charles Guillaume Etienne (1777-1845), Pierre Antoine Berryer (1790-1868), Maris Louis Blanc de Guizard (1797-1879) et Eugène Janvier (1800-1852).

Notes (Condamnation de la Tribune Prolétaire . Notre...)
1 « Un effet sans cause », probablement tiré de l’une des leçons du Cours de l’histoire de la philosophie moderne de Pierre-Paul Royer-Collard (1763-1845).

Notes (M.  VULLIERME . Transiit benefaciendo. La tombe...)
1 Dans son Génie du Christianisme, publié au tout début du 19e siècle, Chateaubriand avait écrit « il [le curé] est établi dans son presbytère comme une garde avancée aux frontières de la vie pour recevoir ceux qui entrent et ceux qui sortent de ce royaume des douleurs ».

Notes (JE PUIS ENCORE CHANTER ! Nouveau Sylla ,...)
1 Comme l’indique cette note, ces lignes doivent être extraites d’un des recueils du poète républicain Hippolyte Tampucci, dont il est question dans le numéro 10 de la Tribune.

Notes (MÉMORIAL HISTORIQUE.)
1 Antoine Vincent Arnault (1766-1834), poète, fabuliste et tragédien, était alors secrétaire perpétuel de l’Académie.

Notes (THÉÂTRES. grand-théâtre . Incessamment les...)
1 Les Dugazon (en référence à Louis-Rosalie Dugazon 1755-1821 qui avait popularisé ce rôle dans le théâtre du 18e siècle) désignaient  les rôles d’amoureuses et de soubrettes.

 

 

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