L'Echo de la Fabrique : 11 janvier 1835 - Numéro 17

DE LA SITUATION ACTUELLE.

2e article.

Et enfin, les hommes ne sauront-ils jamais distinguer la vérité du mensonge, et sortir de la route fatale où ils sont égarés !
Sont-ils donc privés de ce sens intellectuel, qui sait reconnaître la valeur d’une science sociale, comme ils savent reconnaître la valeur de l’or !
Mme Clarisse vigoureuxi1.

Nous avons dit : Jamais plus désolante anarchie commerciale, et cela est vrai pour ceux qui réfléchissent et mesurent les choses comme pour ceux que domine une mesquine et déplorable insouciance :

Et cela est vrai pour les riches comme pour les pauvres ;

La propriété languit !

Le commerce languit !

Le travail languit !…

D’où vient cela ?

C’est que les hommes et les classes sont solidaires, – et que tout est lié dans la nature humaine : – c’est que le mal est à la base et que la lèpre qui dévore les uns s’étend sur tous les autres ; – c’est qu’à côté du palais du riche, est le misérable réduit du pauvre ; – que la faim est souveraine chez l’un, – que la crainte règne chez l’autre.

C’est que les Scribes et les Pharisiens ont nié la puissance et le génie de Dieu, – qu’ils ont tenu étouffée la lumière sous le boisseau : – c’est qu’ils ont assis leurs codes sur la loi divine, et qu’ils refusent de comprendre la mission de l’homme sur la terre.

Et voilà pourquoi !

Le mal est à la base : – la base, c’est le travail ! et sans le travail point de prospérité, de bien-être et de sécurité pour les sociétés, pour les petits comme pour les grands.

Tout émane du travail, condition primordiale de la vie humaine ! et cependant, voyez l’étrange préoccupation de nos savans : au milieu de toutes les règles sociales, forgées en vingt siècles par leurs mesquines conceptions, ils ont à toutes choses, – le travail excepté, – donné une solution et,

La propriété languit ;

Le commerce languit

Le travail languit ;

et tous les intérêts sont en lutte et conduits réciproquement à trouver leur prospérité dans la ruine des autres !

N’est-il pas vrai, propriétaires, que lorsque vos maisons sont désertes, vos revenus fortement compromis, c’est parce que MM. de la finance, agioteurs ou commerçans, – comme on voudra, – ont dit : l’Amérique, l’Allemagne, l’Italie, etc., ne nous demandent rien, – nous n’avons point de commissions, – donc nous ne pouvons faire travailler !…

N’est-il pas vrai encore, que lorsque vos champs, vos vignes et vos vergers, vous donnent d’abondantes moissons, ce n’est pas vous que vos récoltes enrichissent ? – N’est-il pas vrai que vos productions vont s’entasser à vil prix dans les magasins des accapareurs de toute sorte pour y attendre, en dépit des besoins généraux, le moment où ils pourront les livrer en triplant, quadruplant leurs frais d’achat ? – Allez, rien n’égale le monstrueux et insatiable appétit de cette légion d’agioteurs qui va toujours grossissant et que d’aucuns appellent la prospérité des peuples ! Ils convoitent et absorbent presque tout entière la part du travail et de la propriété ; et la propriété et le travail, leurs très-humbles tributaires, s’agenouillent et disent merci !!!…

Une fois, – c’était au temps du Christ, – les marchands avaient envahi le temple du Seigneur ; et ce voyant, le fils de Dieu, animé d’une sainte fureur, les chassa à grands coups de verges de [3.1]la maison de son père, dont ils faisaient, dit l’Evangile, une caverne de voleurs ! – Et pourtant cette leçon a été sans profit pour les hommes, car les marchands sont revenus depuis, plus nombreux et plus forts, se sont enfin établis maîtres du temple et y ont assis le Veau d’or.

Non, rien n’échappe à la rapacité des agioteurs ; – ils nous rançonnent tous, propriétaires et producteurs, ouvriers et consommateurs : – et, comme il n’y a pas d’excès qui ne porte en soi son châtiment, et attendu qu’ils sont eux-mêmes consommateurs, ils sont aussi victimes de leurs scandaleuses et déplorables roueries ! l’agiotage mystifie les agioteurs !!!…

Et puis, voyez encore ; – les petites spéculations sur l’industrie et les choses habituelles de la vie ne suffisent plus à leur ambition effrénée ; – celui qui a cent mille francs, veut doubler son capital en un jour ; celui qui a cent mille écus, rêve six cents mille francs pour le lendemain. – Les maisons de jeu ! voilà le théâtre à la mode : – la morale les a flétries !… Ah ! qu’importe la morale aux agioteurs ; ils ont fait de ces maisons un superbe palais, dans lequel ils jouent chaque matin leur fortune et leur honneur. – Au front de l’édifice ils ont écrit : LA BOURSE ! et sur la porte de la caverne, est le thermomètre des destinées humaines, qui chaque jour hausse ou baisse à leur gré.

Et Voilà !

La finance a donc attelé à son char superbe cette humble canaille, où se trouvent pèle-mèle, propriétaires, ouvriers et producteurs ! c’est beaucoup déjà, – assez, pour que la paix et l’harmonie entre les hommes soit un problème au moins difficile, sinon impossible à résoudre, – assez, pour établir partout le règne de la pauvreté, de la misère, – et de l’esclavage le plus détestable de tous !… et pourtant, ce n’est point tout encore :

L’agiotage, – et c’est-là le seul nom qui convienne à ce qu’on nomme commerce, celui que nous lui donnerons désormais. – L’agiotage est plus puissant encore !

La fortune de Bonaparte, dit quelque part, le savant le plus remarquable de notre époque, M. fourier, fut brisée par les mains d’un agioteur de Paris ! qui, au moyen d’une famine factice, retarda de six semaines et fit échouer la campagne de Russie. – Aujourd’hui, le roi des rois, – le plus puissant de tous les puissans, – celui devant lequel tous se prosternent, voir même notre St-Père de Rome… – c’est un agioteur ! cet agioteur, c’est M. le baron de ROTSCHILD !!!

Déjà le petit nombre des penseurs qui, de par le monde, s’occupent sérieusement des affaires de l’humanité, a été frappé de la déplorable incohérence qui règne dans l’industrie, comme il est juste que ceux qui souffrent le plus soient les premiers à l’œuvre pour conjurer le mal et trouver le remède, nous avons dû, nous que la misère saisit au berceau et poursuit jusqu’au cercueil, être les premiers à la recherche et à l’emploi des moyens de vaincre les désastreux effets d’un ordre aussi opposé à la prospérité et à l’harmonie sociales. – Et le temps n’est pas éloigné, nous le croyons sincèrement, où grands et petits, écrasés sous la puissance envahissante du nec plus ultra de la civilisation, l’agiotage, se joindront pour le combattre.

L’agiotage sera vaincu par le travail ; car le travail est la loi de Dieu, la seule vraie puissance, et le 19me siècle ne s’achèvera pas sans avoir accompli le grand œuvre de la régénération sociale pacifique. – Courage donc, jeunes hommes qui avez foi en l’avenir ! L’heure approche, tenez-vous prêts à chanter le De profundis !

En vérité, c’est pitié que d’entendre dire et répéter partout : le travail ne va pas, – il n’y a rien à faire ! – Les agioteurs disent cela, il est vrai : – mais ne voit-on pas autour de soi la moitié des habitans de la belle France, vêtus de méchans haillons et manquant du plus absolu nécessaire ? – Est-ce donc que des fruits de notre sol, l’un des plus beaux du monde civilisé, on ne pourrait pas nourrir et vêtir la grande famille sociale. – Est-ce que cette grande famille ne devrait pas, avant tout, travailler pour satisfaire à ses propres besoins, puis échanger après son superflu contre tels produits de ses voisins dont l’usage lui est agréable ou nécessaire ?

Ou bien, serait-ce que la terre est impuissante à nourrir et abriter tous ses enfans ?

Oh ! non : Dieu qui fit l’homme à son image et le plaça sur la terre pour la gérer en souverain bienfaisant, n’a pas borné là la puissance de son génie ; il a dit : « Cherchez et vous trouverez, – frappez et l’on vous ouvrira ! »

Et le livre des destins s’est ouvert ! et parmi les hommes, beaucoup ont détourné les yeux et tenté de substituer leurs livres impies aux livres divins ! Mais quelques-uns ont lu, et maintenant il est trop tard pour mettre de nouveau la lumière sous le boisseau. – Donc, merci pour tes fruits amers, agiotage ! – Que la paix soit avec vous, agioteurs ; car voici venir le temps de la vérité, le règne de l’harmonie : et nul d’entre les hommes ne doit être exclu du grand banquet de fraternisation humaine.

Notes de base de page numériques:

1 Publié chez Bossange en 1834 par Clarisse Vigoureux (1789-1865), Parole de Providence était la réponse d’une fouriériste aux Paroles d’un croyant de Lamennais dont les accents pessimistes et belliqueux venaient selon elle déprimer les espoirs d’harmonie universelle.

Notes de fin littérales:

i. Parole de ProvidenceProvidence (prix 5 francs), en vente chez M. BabeufBabeuf, libraire, rue Saint-Dominiquerue Saint-Dominique, et Mme DurvalDurval madame, place des Célestinsplace des Célestins.

 

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