Retour à l'accueil
18 janvier 1835 - Numéro 18
 

 




 
 
     

[1.1]Notre cause par-devant la police correctionnelle, est encore renvoyée à mardi 20 courant.

AMÉLIORATION INDUSTRIELLE.

5e article.

(Voir les numéros précédens)

Dans l?ardeur de notre zèle pour l?amélioration sociale, nous voudrions pouvoir dire en deux mots ce qu?il y a à faire pour cela et comment il faut s?y prendre pour réussir ; puis être compris et exécuter de suite et rapidement les projets qui nous sont suggérés par les sentimens de justice et de progrès dont nous sommes animés. Nous voudrions aller d?autant plus vite, qu?il nous semble sentir, derrière nous et à nos côtés, quelque chose de soupçonneux qui semble vouloir retenir notre essor et se placer comme un obstacle insurmontable en travers de notre route.

Mais traîtant un sujet neuf et quelquefois abstrait, indiquant des moyens nouveaux dont l?exécution n?est pas sans quelques difficultés, nous sommes obligés, malgré l?impatience que nous éprouvons d?arriver à la réalisation de nos théories. Nous sommes obligés, disons-nous, d?employer un temps précieux à développer les moyens que nous proposons, et à les développer de manière à être compris du grand nombre, puisque ce n?est que par le concours libre et volontaire du grand nombre que les résultats pourront être obtenus. Nous n?avons pas besoin d?insister sur ce sujet ; le public travailleur, dont l?intérêt nous préoccupe d?une manière si spéciale, sait aussi bien que nous qu?il vaut mieux un retard de quelques mois, lorsque ce retard est employé à murir un projet aussi vaste que celui dont nous avons pris l?initiative, qu?une précipitation aveugle ou insensée qui voudrait agir avant de savoir ce qu?il convient de faire et dont le résultat inévitable serait de faire échouer les meilleurs projets.

Reprenons donc notre sujet où nous l?avons laissé et avant de faire usage de la nouvelle puissance dont nous avons fait la découverte, recherchons avec soin, nous consommateurs laborieux, ce que nous devons exiger du commerce, soit dans l?intérêt social, soit dans l?intérêt individuel ; car en fait d?institutions et de réformes, la sagesse consiste à ne jamais sacrifier un de ces termes à l?autre. Lorsque nous serons bien fixés sur ces points principaux qui embrassent à la fois l?avenir et le présent, nous trouverons bien le moyen de nous faire écouter et obéir.

[1.2]Une des premières conditions à imposer à nos antagonistes, un des plus importans avantages que nous puissions désirer de remporter, c?est d?obtenir du commerçant la vérité, c?est-à-dire la publicité dans ses opérations. Cet avantage serait immense dans ses résultats présens et futurs. On ne sait pas assez combien les intérêts matériels du peuple sont lésés journellement par les man?uvres frauduleuses du commerce, combien sa santé, sa force, son bonheur sont compromis par les falsifications dans les denrées dont il se nourrit et les altérations dans les produits dont il se revêt, soit pour se parer, soit pour se mettre à l?abri de l?intempérie des saisons. Mais ce n?est pas là tout. La publicité dans les opérations commerciales aurait pour conséquence nécessaire d?amener l?abolition successive de tous les mauvais effets de la concurrence ; il n?est pas jusqu?à l?équilibre entre la production et la consommation qui ne puisse être facilement maintenu alors, lui qui de nos jours, perdu à tout instant, amène ces fréquentes crises industrielles, pendant lesquelles le salaire baisse pour ne plus se relever ; qui cause ces mortelles cessations de travail, ces interruptions dans la production qui arrivent imprévues, soit dans leur époque, soit dans leur durée, et qui, au grand détriment de la masse des richesses sociales, laissent se consumer dans l?inaction tant de bras robustes, tant de forces précieuses qui, quelques mois après, peut-être se consumeront d?une autre manière, par un travail excessif du jour et de la nuit. Vous vous rappelez les accusations que nous avons portées contre l?oppression, l?anarchie, le désordre du commerce actuel ? eh bien ! tous les motifs de ces diverses accusations disparaîtraient successivement, à mesure qu?une véritable publicité s?établirait dans les opérations commerciales.

Car alors tout pourrait être soumis aux calculs de la statistique ; les besoins comme les moyens de la consommation étant connus, une prévoyance sociale s?établirait et, agissant par la voie de la presse, de la publicité, règlerait à l?avance la production de tels et tels produits : au lieu d?y avoir surabondance d?une part et rareté de l?autre comme cela arrive si souvent de nos jours, il y aurait partout, et toujours, abondance et travail.

Par le moyen de la publicité commerciale, une organisation unitaire de l?industrie pourra donc réellement avoir lieu ; et comme cette organisation sera née et vivra par le fait d?une impulsion continue donnée par le travailleur en sa qualité de consommateur, elle ne pourra s?effectuer qu?au profit de la société entière. Aussi cette impulsion réformatrice remontant de degré en degré, d?anneau en anneau, parcourra toute l?échelle du commerce, pour en [2.1]régénérer chaque partie, et parviendra bientôt au point de départ, à la production. Alors le travailleur et l?industrie sortiront enfin du cercle sans issue, où ils sont enchaînés et où ils étouffent tous deux sous le poids d?une double compression.

Alors ce sera le moment propice pour attaquer ce qu?il y a de vicieux dans le mode de la production ; alors il y aura possibilité de mettre les salaires en rapport exact avec le travail et la fatigue du producteur ; alors une aisance, je dis plus, une richesse générale existera réellement pour tous. Car alors on pourra songer à multiplier ces machines ingénieuses qui décuplent les forces de l?homme ; leur action étant sociale et leurs produits équitablement répartis, elles n?auront plus les inconvéniens funestes d?aujourd?hui, qui changent en fléau pour le travailleur ce qui devrait être un bienfait pour lui.

Voilà pourquoi la publicité est la condition principale que nous devons exiger dès notre début dans la carrière des améliorations. Nous avons d?autant plus raison pour cela, que le négoce lui-même y gagnera aussi beaucoup. Car alors le travail du commerçant sera élevé à la hauteur d?une fonction publique, et ce qu?il perdra en esprit de rapine, il le gagnera en estime et en considération.

Mais nous avons dit que nous pouvions obtenir quelque chose de plus encore. Nous avons dit que le consommateur pouvait exiger d?entrer lui aussi en participation du bénéfice commercial. Oui, cela est possible ; je dis mieux, cela est juste et nécessaire. Mais il y a encore besoin de faire à ce sujet quelques observations. Sans doute nous vous avons révélé une grande vérité, lorsque nous vous avons dit que par votre qualité d?acheteurs vous étiez tout puissans vis-à-vis du commerce. En effet, comme consommateurs, le négoce dépend entièrement de vous. Le marchand vous est soumis comme par force, car il sait que vous pouvez, à votre gré, lui laisser ou lui retirer la fonction de vendeur, sans qu?aucun pouvoir ait rien à dire à cela ! Mais n?oubliez pas cependant que plus votre puissance est grande, plus il est nécessaire que vous en fassiez un usage modéré. Maîtres absolus de votre volonté, c?est justement parce que les caprices vous sont permis que vous n?en devez pas avoir : d?ailleurs, je vous le dis, gardez-vous bien des abus de pouvoir, c?est l?écueil que vous avez à craindre : votre puissance, toute grande qu?elle soit, s?annulle subitement là où l?injustice commence.

Ce qui nous a inspiré ces réflexions, ce sont diverses conversations que nous avons eues avec beaucoup de personnes qui, comme nous, ont eu le désir de former des établissemens de vente d?objets de consommation générale, dans le but de se soustraire à l?impôt du marchand. Mais ce qui en a rendu et ce qui en rendrait toujours l?exécution en grand impossible, c?est l?exigence des fondateurs ou participans et leur peu de connaissance de la nature humaine.

La plupart se dissimulent tout-à-fait les difficultés d?une gestion commerciale et croient que pour faire marcher d?une manière productive des établissemens semblables, il suffit de mettre à leur tête de simples commis à émolument.

Beaucoup voudraient aussi qu?à l?exclusion du gérant, du capitaliste et du fonds social, le consommateur profitât seul du bénéfice, qui serait ainsi dévoré tout entier par le présent au préjudice de l?avenir.

Erreur ! erreur !

N?oublions jamais l?avenir ; car l?avenir, c?est le lendemain, c?est la minute qui va suivre celle qui s?écoule dans ce moment.

Rappelons-nous aussi du vieux dit-on : Qui veut trop avoir n?a rien ; car il est souvent notre histoire !

Mais assez sur ce sujet.

Nous vous répétons donc, travailleurs, que si nous nous y prenons bien, nous pourrons, tout en enrichissant encore le commerçant régénéré : et ceci est une condition indispensable. Nous pourrons obtenir que le quart du bénéfice commercial nous soit acquis et serve à augmenter notre revenu annuel. Si nous nous laissons guider par la sagesse et la prévoyance, voici, au sujet de la répartition du bénéfice social, ce qu?il conviendrait de désirer : le bénéfice net des établissemens de distribution, des maisons de ventes sociales, serait pendant les premiers temps [2.2]divisé en quatre parts égales. L?expérience dira plus tard si cette égalité devra être modifiée ou non.

La première part serait la vôtre. Le premier quart du bénéfice net vous serait distribué annuellement deux mois après l?inventaire ; il vous serait réparti dans la proportion du montant des achats que vous auriez faits dans le courant de l?année. Cette part serait donc employée à soulager un peu le présent ; ce serait une augmentation de revenu qui ne vous coûterait pas autre chose qu?une juste préférence accordée à celui qui vous en ferait jouir.

Le deuxième quart serait la part de la prévoyance ; il serait mis à profit pour l?avenir d?une manière très-avantageuse, en servant à l?accroissement d?un premier fonds social, sur l?utilité duquel nous aurons beaucoup à dire ; car il nous aidera à marcher avec une rapidité étonnante à la complète transformation du commerce et de l?industrie. Nous y reviendrons plus tard.

Le troisième serait réparti aux capitalistes qui auraient concouru par des prêts d?argent à la réforme commerciale.

Enfin le quatrième, servirait à récompenser le zèle des gérans et autres fonctionnaires, et à exciter davantage leur esprit d?ordre, d?économie et d?activité.

Travailleurs : voilà en peu de mots ce qu?il nous faut obtenir au plutôt ; voilà les premiers avantages que nous vous proposons de conquérir, à l?aide de cette puissance qui est attachée à votre qualité de consommateurs. Ces résultats sont d?autant plus désirables, qu?en eux sont contenus les germes d?un grand nombre d?améliorations de tous genres que nous pouvons déjà entrevoir et que par leur moyen il nous sera facile de réaliser.

M. D.

(La suite à un prochain numéro.)

La réélection générale des prud?hommes de la section des soieries est fixée, pour les prud?hommes négocians, au samedi 7 mars ; et pour les prud?hommes chefs d?atelier, au dimanche 8 du même mois.

CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

Audience du 15 janvier.

présidence de m. ribout.

Sur vingt-six causes appelées, neuf ont été renvoyées, deux ont fait défaut et trois ont été arrachées, dont une par incompétence.

Un peignier qui livre à un chef d?atelier un peigne dont la mauvaise confection fait éprouver une perte de façon et de temps, est-il passible d?une indemnité ? ? Oui.

Ainsi jugé entre Bertodin, peignier, et Moreau, chef d?atelier.

Néanmoins, comme le chef d?atelier n?a point mis le peignier en demeure pour faire constater le temps perdu, le conseil a débouté de sa demande sur ce point le chef d?atelier.

Un apprenti est-il passible de l?arriéré de ses tâches lorsqu?il est constaté qu?il les a faites et qu?il est capable de les faire ? ? Oui.

Ainsi jugé entre Sangnieux, chef d?atelier, et Bret, apprenti.

Accorde-t-on un laps de temps pour avoir sa tâche à un apprenti qui n?est pas encore suffisament instruit, vu sa maladresse ? ? Oui, au bout duquel, s?il ne la fait pas, il sera passible de l?arriéré.

Ainsi jugé entre Mathinière, chef d?atelier et Zacharie, apprenti.

Lorsque, d?après la déposition de deux membres du conseil nommés à cet effet, il est constaté qu?un maître indienneur n?occupe ses apprentis de manière à ce qu?ils puissent gagner leur vie, les engagemens sont-ils résiliés ? ? Oui.

Ainsi jugé entre Copier, indienneur, et Moussi, Moteo, apprentisi.

[3.1]Lorsqu?un apprenti, qui avait précédemment satisfait le marchand pour lequel il travaillait et qui, par sa négligence, non-seulement fait mettre à bas son métier (fait constaté par un certificat du négociant), mais encore ne fait pas sa tâche, l?atelier est mis sous la surveillance du conseil pendant un laps de temps, et s?il ne se corrige pas, les engagemens seront résiliés et le maître jouira d?une indemnité.

Ainsi jugé entre Amen, chef d?atelier, et Cristophe, apprenti.

Lorsqu?un apprenti a été maltraité par sa maîtresse, est-elle en droit de se retirer de chez elle ? ? Non : l?atelier est mis sous la surveillance, et si le cas se représente, les engagemens seront résiliés sans défrayement.

Ainsi jugé entré Dlle Bourier, dévideuse, et Penet, apprentie.

Un chef d?atelier qui a chez lui en apprentissage une fille mineure dont les conventions verbales n?ont été ratifiées, ni par ses parens, ni par une caution, peut-il obliger l?apprentie à accomplir ses dites conventions ? ? Non, attendu, comme l?a fait observer M. le président, que toutes les fois qu?un enfant mineur n?a pas été offert, soit par ses parens, soit par un fondé de pouvoir à cet effet, les parens peuvent retirer leur enfant quand bon leur semble.

Ainsi jugé entre Notin, chef d?atelier, et Dlle Rida, apprentie.

Lorsqu?un apprenti ne veut pas finir son temps, les engagemens sont résiliés et le maître reçoit une indemnité. Néanmoins si l?apprenti reprenait la fabrique d?étoffes de soie, il ne pourrait se placer qu?en cette qualité.

Ainsi jugé entre Viollet, chef d?atelier, et Benoît, apprenti.

Dans une affaire qui a été ajournée pour prendre des informations au sujet d?un apprenti qui sert un maître, M. le président a fait observer aux chefs d?atelier combien il est préjudiciable de jetter dans la fabrique de mauvais ouvriers, sous l?appat d?une somme d?argent qu?on en retire, attendu qu?on ne peut obtenir de semblables ouvriers que des étoffes très-inférieures. Dans l?affaire mentionnée ci-dessus, le chef d?atelier est doublement coupable, vu que, d?après un jugement antérieur, l?apprenti dont les engagemens avaient été résiliés ne pouvait se replacer que comme tel.


i. Il est à remarquer que les apprentis dans cette profession ne sont pas nourris par le maître.

MARCHÉ D?OUVRAGE

ou foire de domestiques ruraux.

La plupart des habitans de notre cité ignorent une ancienne coutume encore pratiquée dans un grand nombre de communes rurales, pour traiter de gré-à-gré entre maîtres et domestiques.

Ces foires ont lieu, les unes à la St-Jean-Baptiste, d?autres à la St-Martin. Enfin, dans d?autres lieux, tels que Vaugneray et l?Arbresle, le lendemain de Noël ; c?est de cette dernière dont nous allons parler, attendu que nous en avons été témoins oculaires.

Dès qu?il fait jour, les spéculateurs commencent à circuler dans les rues, les domestiques des deux sexes se rangent ou plutôt s?amoncèlent séparément et de chaque côté d?une rue. Les jeunes filles qui y viennent offrir leurs services ne portent aucun insigne extérieur pour désigner le genre de travaux dont elles sont capables. Elles se bornent à étaler un joli minois paré d?une mise propre et décente. Nous avons observé qu?elles étaient d?une fraîcheur annonçant une santé vigoureuse. Parmi les diverses questions relatives aux offres qui leur étaient faites, nous citons celle-ci : Savez-vous faire la mousseline ? Par-là, nous avons lieu de croire que des mousseliniers louent aussi leurs travaux à tant l?année !

Maintenant, passons en revue la ligne des domestiques mâles ; la plupart sont aussi doués d?une forte constitution, mais de plus que leurs voisines, ils portent à leurs chapeaux les insignes de leur savoir-faire. Ainsi, un laboureur y place une bêche taillée en mignature, longue de 3 à 4 pouces, ou encore une petite branche d?arbre dépouillée de ses feuilles et même de son écorce. Le vigneron porte un ou plusieurs morceaux de sarment ; les uns ajustent cet attribut aux bords latéraux des aîles du chapeau, d?autres en forme de couronne, ou ils se bornent à placer un sarment entre le ruban, près de sa boucle ; nous en avons vu un qui s?était ajusté de longs sarmens tordus et croisés sur la poitrine, comme deux buffletteries. Ceux qui savent ou du moins s?annoncent pour savoir faire tout ce qui concerne l?agriculture, s?arment d?une couronne de quelques rameaux garnis de feuillage. Les couronnes de ronces sont presque les seules qui nous ont paru employées à ce genre d?indication qui ne se borne pas à l?agriculture, comme on va le voir. Nous allions quitter cette scène, quand nous vîmes un forain mêlé avec les domestiques ruraux, mais distingué par une lame de fer blanc, d?un pouce de largeur sur cinq ou six pouces de hauteur, placée entre le ruban et s?élevant contre la principale face du chapeau. [3.2]Nous ne pûmes contenir notre curiosité, et demandâmes à ce forain la signification de cette lame, à quoi il nous répondit, avec la meilleure grâce : Elle signifie? un ferblantier qui cherche à s?affermer. A peine nous l?eûmes remercié de son obligeance, que nous nous aperçûmes que la police faisait entièrement défaut à l?égard des bêtes de somme ; voici comment : nous nous sentions pressés plus fort qu?à l?ordinaire, quand nous vîmes que cette pression était occasionée par les naseaux d?un cheval attelé, conduit par un bambin, qui, tranquillement assis sur sa charette, laissait aller le paisible animal à son gré, sans faire entendre une seule voix garre, cri d?avertissement qui, comme on sait, à Lyon, est de rigueur, même pour les conducteurs marchant à côté du cheval dont ils tiennent la bride ; heureusement, nous en fûmes quitte pour être barbouillés par l?écume du cheval, qui semblait être plus prévoyant et plus poli que son phaéton grotesque.

Espérons que cet article parviendra sous les yeux du maire de l?Arbresle, et qu?à l?avenir, il empêchera que la foule soit exposée à être écrasée, en prenant des mesures qui s?opposeront à ce que, ce jour-là, aucune voiture ou bête de somme puisse passer dans cette rue, dont les deux côtés sont garnis de domestiques, tandis que le centre est obstrué par la foule qui ne peut y circuler qu?avec la plus grande lenteur.

Tous ces traités s?y opèrent sous les auspices de la bonne foi ; quand un maître est convenu de prix, il demande au domestique le lieu d?où il sort, et sans autre sûreté que la réponse qui lui est faite, il compte cinq francs pour arrhes. Très-rarement l?on abuse de cette louable confiance ; cependant, nous avons été informés que l?année passée un maître fut victime d?un acte de friponnerie de la part d?une fille qui lui escroqua ses arrhes.

Nous avions entendu parler de cette foire par de froids narrateurs ; ils avaient omis de nous citer le principal caractère de son aspect, ils ne nous avaient pas dit que la plus franche gaîté préside à ce marché-fête, où non-seulement les maîtres et les domestiques se réunissent pour traiter salaire, mais encore ce jour-là on y voit arriver de jeunes villageoises, choisir le ruban et le fichu qu?elles destinent à augmenter leurs attraits ; la mère de famille y vient chercher des jouets pour ses enfans. De huit à dix heures du matin, c?est le plus fort du marché d?ouvrage, et de midi à deux heures, les marchands de rouenneries, merceries, quincailleries, ont à peu-près écoulé leurs marchandises qu?ils peuvent vendre.

Quand chacun a fait sa foire, la plupart encombrent les cabarets et hôtelleries pour célebrer leur marché, par un bon dîner et surtout d?abondantes libations, après quoi l?archet rustique ou le tambourin convie la jeunesse à une danse qui termine les plaisirs de cette journée.

Nous renvoyons nos lecteurs à un prochain numéro, pour leur faire part des réflexions qui nous sont suggérées par cette foire, relativement à une espèce de Bourse d?ouvriers et de chefs d?ateliers que l?on pourrait établir à Lyon, si toutefois l?autorité locale voulait bien le permettre.

C. F.

SUITE DE LA VIE DU PROLÉTAIRE.

(Voyez le numéro 13.)

Après une marche de vingt jours, pendant lesquels la pluie et le froid lui firent éprouver plus d?une fois leurs rigueurs, Jacques arriva au lieu de sa destination. Les premiers temps furent bien pénibles pour lui, et ce n?est pas sans avoir souvent porté un souvenir de regret et sur son village et sur la cité, qu?il se livra aux différens exercices que la morgue et l?insolence d?un chef subalterne rendent encore plus détestables. Dans ces corvées, dans ces revues, où il fallait rester pendant trois quarts de jours à man?uvrer l?arme au bras, le sac sur le dos et le ventre vide, qu?un seul regard d?encouragement, qu?un seul air de satisfaction de la part du chef auraient relevé son courage abattu ! Mais non, en échange de sa bonne tenue et de sa soumission, il ne recevait, au moindre mouvement tant soit peu inexact, que des paroles dures ; heureux encore si des menaces n?assaisonnaient pas le discours, et si dans une juste indignation qu?il ne peut maîtriser, il n?est pas condamné au cachot ! Combien de fois alors ne porta-t-il pas ses pensées à la ville où, se livrant à sa profession, s?il éprouvait quelques contrariétés, elles étaient du moins rachetées par la douceur d?une remontrance honnête ! Maintenant tout a changé pour lui, et les seules jouissances qui lui soient permises sont quelques étourderies auxquelles il s?abandonne avec ses camarades dans une incursion ou dans une longue corvée ; ainsi se passèrent les premières années de sa carrière militaire, tantôt dans une ville, tantôt dans une citadelle, souvent en route, et sans cesse en but aux caprices d?un supérieur.

Tout-à-coup la guerre éclate, et le régiment dont Jacques faisait partie est destiné à passer la frontière. Je ne tracerai point ici les fatigues d?une longue marche, d?autant plus pénible qu?il faut, avec son bagage et ses munitions de guerre, porter encore ses vivres pour plusieurs jours ; ces nuits passées en plein champ, où, souvent traversé par la pluie, on n?a que la terre pour se reposer [4.1]ou quelques abris improvisés pour se soustraire à l?intempérie de la saison. Ce n?est là que le prélude des maux qui vont s?appesantir sur lui, il faut à peine y fixer un regard.

Arrivés au lieu de leur destination, loin de prendre quelques jours de repos pour se remettre de la fatigue d?une longue traversée dans les montagnes il fallut s?occuper de suite à dresser un camp pour se mettre à l?abri des feux et des surprises de l?ennemi. Ce fut alors qu?il eut à surmonter des lassitudes innombrables, tantôt en gravissant des rochers pour en arracher du bois, tantôt en fouillant la terre, dans l?eau jusqu?à mi-jambe pour creuser des tranchées ; tantôt en formant des retranchemens, ouvrages d?autant plus pénibles, qu?il faut s?en occuper souvent le fusil en bandoulière et sous le feu même des batteries ennemies. Heureux encore lorsqu?il ne faut pas interrompre le travail, pour riposter ou déblayer les fossés d?une partie des terres, que les boulets ont amoncelées. A la suite de tous les travaux, vint le moment de l?attaque. Je ne vous peindrai pas ce qu?a d?amer cette perspective d?une mort, d?autant mieux sentie, qu?on la voit de plus près ; ces angoisses qui s?emparent de l?ame à cette idée de dissolution, loin de sa patrie et du foyer domestique, surtout lorsqu?on les éprouve pour la première fois ! Jacques n?y fut point étranger, mais, animé par l?ardeur martiale de ses camarades, il sentit aussi que le sang français coulait dans ses veines et qu?il devait à son pays le sacrifice de son bras et de sa vie. L?on se battit de part et d?autre avec une intrépidité étonnante, et chacun rivalisait de courage et de dévouement : la victoire semblait offrir ses palmes à notre armée, pourtant une batterie ennemie tenait encore et nous faisait éprouver des pertes considérables ; elle était bien servie, et tout faisait.présager qu?on aurait, non-seulement de la peine à s?en rendre maître, mais encore que bien des braves succomberaient. Le général nomme le régiment dont Jacques faisait partie pour foncer le premier, tandis qu?une batterie placée sur une éminence protégerait l?escalade. Aussitôt on s?avance en colonnes serrées ; déjà l?on était parvenu au bas du retranchement, lorsqu?une bordée de mitraille en renversa la majeure partie. Nos braves ne se déconcertent pas, ils ripostent par une fusillade bien nourrie, puis ils se précipitent à la baïonnette sur les artilleurs. Jacques ne resta pas en arrière, il fut un des premiers qui pénétra dans le retranchement et y fit des actions si glorieuses, que les plus anciens du régiment, tout en l?admirant, jalousaient sa gloire ; lorsqu?il fut atteint lui-même d?un coup de feu qui le blessa et le mit hors de combat.

La batterie fut enlevée et la victoire ne fut plus douteuse ; l?on poursuivit avec ardeur l?ennemi jusqu?à la nuit, on s?empara de leurs camps, puis on vint relever les morts et les blessés.

Jacques fut transporté avec ses camarades d?infortune dans une ambulance, où les premiers secours de l?art lui furent donnés. De-là, transféré dans un hôpital, il y resta trois mois, au bout desquels, après une entière guérison, il rejoignit son régiment.

Le courage, l?intrépidité de Jacques n?avaient point échappé au général, et il fut porté avec plusieurs de ses camarades pour la croix. C?est ici qu?il lui fut permis d?apprécier ce qu?a d?amer l?état de prolétaire et la différence de la naissance ! Un officier qui moins que lui avait couru des dangers, qui peut-être n?avait pas même approché de la brèche, lui fut préféré, et reçut, en présence de l?armée, à la vue même de ceux qui préconisaient le courage de Jacques, la croix qui lui était destinée ! O machiavélisme infernal ! c?est ainsi que le faible est sans cesse en butte à tes persécutions ! c?est ainsi que l?opulent exploite et le courage et le sang de ceux que la naissance, le peu d?éducation et le manque de protection, rendent tes subalternes !

Jacques dévora son humiliation, mais continua à être regardé, par ses camarades, avec une sorte de respect que justifiait l?injustice dont il avait été la victime. Le temps qu?il avait à faire sous les drapeaux, s?acheva sans qu?il fût promu au moindre grade, attendu son manque d?instruction, et couvert de plusieurs blessures, en proie à des douleurs cuisantes que lui avaient léguées et les frimas et les pluies et la terre sur laquelle il avait plus d?une fois reposé ses membres fatigués au service de la patrie, il regagna ses foyers.

(La fin à un prochain numéro.)

avis.

pierre BOÉ, âgé de 12 ans, natif de St-Pé, canton de St-Bertrand-de-Cominges (Haute-Garonne), s?est égaré à Lyon ou dans les environs, dans le courant du mois de décembre dernier, où il a abandonné le voyageur qu?il accompagnait en qualité de domestique.
Signalement :
Taille d?un mètre 36 centimètres (4 pieds 3 pouces ), cheveux blonds-roux, front découvert, sourcils blonds, yeux gris pâle, nez gros, bouche moyenne, menton allongé, visage ovale, teint blanc, légèrement marqué de rousseurs, une cicatrice au front.
Les personnes qui pourront donner des renseignemens sur ce jeune garçon, sont priées de les adresser à la Préfecture du Rhône, division de la police.

Jean-Baptiste Prudent-Drapeau a disparu du domicile de son père, rue de la Préfecture, n. 5.
[4.2]Signalement : Agé de 19 ans, taille d?un mètre 67 centimètres (5 pieds 2 pouces), cheveux et sourcils châtains, front découvert, nez moyen, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, teint clair, une cicatrice au-dessus du nez.
Il porte un habit bleu, un pantalon rayé bleu et noir, et un pardessus ou redingote croisant sur la poitrine, couleur tête de nègre avec des boutons en métal jaune.
Les personnes qui pourraient donner des renseignemens sur ces deux jeunes gens, sont priées de les adresser à la préfecture du Rhône ; division de la police.

Pierre Dégrais a disparu dans le courant du mois de décembre dernier, du domicile de la dame veuve Dégrais, sa mère, place de la Boucherie St-Paul, n. 17.
Signalement : Agé de 11 ans, cheveux et sourcils blonds, yeux noirs et enfoncés, nez gros, un signe sur le col.
Il portait au moment de sa disparition, une veste en coton rayé bleu et blanc, un pantalon noir, un bonnet noir et des sabots.

VARIÉTÉS.

DE LA MISÈRE EN FRANCE.

Sur une population de 32 millions d?hommes en France, il y a cinq millions de pauvres, de pauvres dans toute l?étendue du mot, c?est-à-dire mendians ou prêts à mendier. Cent trente mille individus au moins désolent le royaume par des déprédations de toute espèce ; quinze ou vingt mille sont arrêtés et punis. La sûreté des routes, des villes, des bagnes et des prisons, coûte plus de quatre millions à l?état par an. La somme volée, ou des dommages occasionnés chaque année, peut être évaluée à deux millions au moins ; il existe plus de cent cinquante mille personnes qui gémissent dans les prisons civiles et militaires, ou maisons de force, ou qui végètent alternativement dans les hôpitaux, hospices, etc. Il existe plus de soixante mille journaliers, fils de mendians, ou bâtards rejetés par des parens pauvres, qui sont sans autre asile que les cabarets, les forêts et les cavernes de contrebandiers. La plupart, manquant de tout, sont obligés d?avoir une marche sourde et des domiciles secrets. Enfin, il y a en France plus de trois millions d?individus, dont la subsistance n?est pas assurée pour un mois. Il faut encore ajouter à ce tableau effrayant les onze à douze mille forçats libérés des galères, et les sept à huit mille prisonniers libérés de la réclusion.

(Connaissances utiles).

Les chefs d?atelier qui ont chez, eux en dépôt des reçus d?abonnement signés du gérant, sont priés de les rendre aux premiers jours.

ANNONCES.

? Nouvelles mécaniques économiques pour dévider, trancaner et faire les canettes, approuvées par la chambre de commerce et par la société d?encouragement qui a décerné une médaille à l?inventeur, lequel les a encore perfectionnées et simplifiées. La grandeur d?une de ces machines, pour les trois opérations faites ensemble ou séparément à volonté, est la même que celle pour le dévidage seul sur une mécanique ordinaire où l?on dévide sur 12 guindres ; il s?y fait 12 canettes à plusieurs bouts avec arrêts ; quand un des bouts casse, il y a économie de temps, d?emplacement et d?argent. Sur les simples canettières de trois pieds de diamètre, il s?y fait 20 canettes à la fois à plusieurs bouts avec arrêts sur un seul rang. Ces machines se construisent de différentes grandeurs.
Le sieur David qui est l?inventeur breveté, voulant faire jouir la fabrique du fruit de son invention, a mis ses mécaniques à un prix très-modique. Les nombreuses ventes qu?il opère chaque jour avec sécurité pour les acheteurs, ce qui ne peut pas être de la part des contrefacteurs sus nommés, lui garantissent que ses mécaniques sont appréciées. Il fait des échanges, revend les vieilles mécaniques.
S?adresser, place Croix-Paquet, ou dans ses ateliers, rue du Commerce, à Lyon.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique