L'Echo de la Fabrique : 25 janvier 1835 - Numéro 4

Nous avons promis à nos lecteurs de leur donner un aperçu en ce qui concerne la fabrique de soieries de Lyon, de l?exposition publique qui a eu lieu à Paris au commencement de cette année, sur la place de la Concorde. Quoique il soit bien tard, nous remplissons notre promesse ; il importe que le souvenir de ce qui a trait à la fabrique, se trouve consigné dans le journal qui lui est spécialement consacré.

Le jury central était composé pour la section des tissus, de MM. Barbet, Blanqui, Cunin-Gridaine, Giraud, K?chlin, Legentil, Meynard, Paturle et Petit.

Nous nous bornerons à donner l?article suivant, relatif à la fabrication des châles de Lyon et de Nîmes. Il est extrait d?un article beaucoup plus long, de M. G. T., inséré dans le Constitutionnel du 23 mai 1834.

« A la tête de la fabrique de Lyon, se placent MM. Reverchon et d?Hautecourt, qui ont exposé des châles Thibet d?un goût fort distingué, et réellement remarquables par l?originalité de leurs dessins. Ces deux négocians ont mérité le suffrage unanime des connaisseurs par la perfection de tous les détails de leur industrie. M. Roux-Combet, de Lyon, présente une vingtaine de châles de toute grandeur, quelques-uns espoulinés à l?ancien système qui fournit à l?envers, des brides trop longues ; nous préférons ses châles du petit format, ses châles carrés qui conviennent mieux au genre d?industrie de la ville.

« La maison Rochon, une des plus anciennes, ne brille pas par le bon choix des modèles, mais plutôt par la qualité des tissus ; elle a envoyé un joli châle carré. M. Ajac, qui est le fondateur de l?industrie des châles bourre de soie, nous a paru plus fidèle à sa vieille devise : Conscience, égalité, travail régulier. Il expose des [1.2]châles à rosaces, fabriqués par un nouveau procédé, et remarquables par leur bonne exécution. M. Pagès n?offre rien de neuf, mais ses prix sont modestes, ses dessins assez agréables et sa réputation bien établie. MM. Boyriven frères, nous paraissent des novateurs plus hardis que prudens : leur châle carré à palmes fortement arrêtées sur le fond ressemble trop à des incrustations ; les couleurs n?en sont pas assez fondues et nuancées.

« MM. Luquin frères méritent des éloges pour la vivacité de leur coloris et la qualité de leurs matières premières. Leur goût n?est pas très pur, et toutefois nous préférons leurs châles à ceux de M. Coq dont les dessins sont un peu lourds. À côté de ces messieurs et au-dessus d?eux, figurent MM. Grillet et Trotton, dont les châles longs sont peut-être les seuls dignes de rivaliser avec les cachemires français de la fabrique de Paris. Les dessins en sont riches, bien ordonnés, bien arrêtés, et si quelquefois la matière est un peu légère, en revanche leurs châles ont une souplesse remarquable. Un de ces châles, dont le dessin représente une croix de Saint-André, attire l?attention des connaisseurs. Les autres sont généralement goûtés ; ils coûtent de 75 à 200 fr. M. Damiron est un digne rival de la maison Grillet ; son châle sylphide est fort joli ; son grand châle blanc serait superbe, si la couleur rouge ne dominait pas trop dans les bordures : Prés de M. Damiron, MM. Gelot et Ferrière ont exposé des châles dit indous, du prix de 185 à 200 fr., qui peuvent entrer en concurrence avec ceux de MM. Manuel et Macaigne de Paris.

« En somme la fabrique de Lyon a maintenu sa réputation pour les châles. Elle copie Paris, qui copie l?Inde dans les grands modèles. Mais elle travaille pour le peuple, et elle apporte une persévérance dont il faut lui savoir gré, dans l?abaissement de ses prixi.

« M. Roux a envoyé des châles bourre de soie, mêlés de coton, de dessins ordinaires, mais bien exécutés. MM. Sabran père et fils, ont très bien imprimé leurs châles Thibet et bourre de soie, dont il faut surtout demander les prix pour bien comprendre l?importance de cette modeste fabrication. M. Rouvière-Cabanne, de Nîmes, qui fait de grandes affaires avec les colonies, expédie même en Angleterre un nombre considérable de châles de bourre de soie, dont il varie les dessins selon le goût connu de leurs consommateurs. MM. Coumert, Carton et Chardonnaud, excellent dans les petits châles blancs du prix de 20 à 30 fr. ; leurs châles longs ont de la couleur et de l?attrait : les dessins en sont nets et parfaitement réduits. MM. Colondres et Prades, MM. Rozet [2.1]et Devize fabriquent des châles plus communs, mais d?un débit assuré. M. Curnier, fort honorablement connu à Nîmes, s?est peut être un peu reposé sur sa vieille réputation, comme M. Rey à Paris ; nous devons cependant faire remarquer un grand châle carré qui ne manque ni de vigueur, ni de coloris.

« Un jeune négociant de Nîmes, M. Brousse, s?annonce comme devant marcher sur les traces de M. Curnier, et le dépasser peut-être, surtout pour avoir trouvé le moyen de concilier la bonne qualité avec le bon marché de ses articles. Ses châles sont frappans de ressemblance avec les belles formes des dessins de l?Inde, ils sont solides, et les plus beaux ne coûtent pas plus de 55 f. MM. Barnouin et Bunan, MM. Bousquet et Dupont, M. Durand Bouchet, M. Aurivel aîné présentent des produits du plus grand intérêt pour la consommation des classes laborieuses. Que ne pouvons-nous les décrire ? mais les termes nous manquent. »

M. G. T. a fait précéder son compte-rendu des réflexions que nous transcrivons ici.

« Constatons d?abord un fait très remarquable, c?est que Lyon et surtout Nîmes ont abaissé de plus de moitié le prix de leurs châles, tout en perfectionnant leur travailii. L?introduction des châles de l?Inde a fourni à ces deux villes comme à Paris une variété de dessins dont on n?avait point d?idée jusqu?alors. L?amélioration de la filature des déchets de soie et de laine a permis de tenter avec ces matières qui ne sont pas sans valeur, ce que la fabrique de Paris n?avait obtenu qu?au moyen du cachemire le plus pur ou des laines les plus fines. Aussi, au premier aspect, le spectateur peu exercé serait-il embarrassé de distinguer nettement les deux grandes familles de châles qui ont leur domicile dans le Nord et dans le Sud. C?est au toucher, c?est par l?observation qu?on arrive bientôt à reconnaître les différences qui les séparent, différences profondes dont il est temps de signaler le caractère.

« Aussitôt que la fabrication des châles se fut naturalisée en France, le Nord adopta la laine, le Sud employa la bourre de soie pour les confectionner. Bientôt vint le cachemire, et, à sa suite, l?usage du châle français découpé dont les exposans de Paris ont présenté cette année de magnifiques exemplaires. Les villes de Lyon et de Nîmes demeurèrent fidèles au culte de la soie, non sans y joindre un peu de laine et de coton, et c?est de ce mélange que la plupart des châles du Midi sont composés aujourd?hui. Ces châles ressemblent aux plus beaux châles de l?Inde par le dessin : ils n?en diffèrent que par la matière et par les couleurs qui sont moins solides. Mais leurs prix sont si bas, que le débit en est prodigieux, à ce point que plusieurs maisons de Nîmes fabriquent aujourd?hui plus de vingt-cinq mille châles par année. Rien de plus surprenant que de voir vendre à quinze, à trente, à cinquante francs, des châles six quarts et à cent vingt fr. des châles longs d?un aspect extrêmement agréable et portant les mêmes dessins que dessins que des châles de l?Inde du prix de 6,000 francs. »

Notes de fin littérales:

i. Toutefois, sous ce rapport, aucune ville ne l?emporte sur la ville de NîmesNîmes, qui a obtenu des résultats vraiment surprenans. C?est la ville qui présente peut-être les plus jolis articles aux prix les plus modestes, et c?est elle qui s?est le plus signalée par les progrès qui distinguent son exposition de 1834 de celle de 1827. Si LyonLyon est remarquable par des châles de 30 fr. à 200 fr., NîmesNîmes triomphe par ses châles de 5 fr. à 50 fr. : NîmesNîmes fabrique des fichus de soie à 6 fr. la douzaine, des foulards, à 75 c., des robes de florenceFlorence à 8 ou 10 fr., des cravates, des demi-châles, des écharpes à 50 sous. Cette ville est venue chercher à LyonLyon ses métiers ingénieux ; elle n?attend que les houilles d?AlèsAlès pour s?élever à un haut degré de prospérité.
iiNote du rédacteur. Mais aussi la misère de cette classe de travailleurs s?en est suivie et la fabrique de châle est sur le point de quitter notre ville (v. l?art. Ruine des fabricans de châles, n° 6, 1834, et la note insérée dans le numéro précédent qui commence par ces mots : « Si l?on peut dire etc. » ; presque tous les journaux, le NationalLe National, la TribuneLa Tribune, le RéformateurLe Réformateur, la Gazette de FranceGazette de France, etc., l?ont répétée).

 

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