L'Echo de la Fabrique : 25 janvier 1835 - Numéro 4

LES TROIS VOYAGEURS.

(Suite et fin).

Deux jours devaient suffire pour traverser le désert ; mais il s’égara, et bientôt la fatigue, une soif dévorante épuisèrent son courage et ses forces. Il s’assit en gémissant, la tête couverte de son manteau et résolu à attendre la mort. Mille pensées cruelles le déchiraient et achevaient de porter le désespoir dans son âme. « Hélas ! disait-il, que me sert cet or auquel j’ai tout sacrifié ; une goutte d’eau pourrait me sauver la vie, je possède un trésor et je meurs ! »

Cependant un bruit lointain se fit entendre. Nadir souleva douloureusement la tête et : aperçut un cacalier dont le cheval, accablé de fatigues, marchait faiblement. Réunissant alors toutes ses forces, il s’approcha [4.2]du cavalier et reconnut son frère, pâle et se soutenant à peine. En ce moment son cheval tomba sous lui et expira. Les deux frères se précipitèrent dans les bras l’un de l’autre. Ah ! lui dit Nadir, dans quel état sommes-nous réduits ! et que le Génie nous a fait un fatal présent ! Je ne puis me plaindre, lui répondit Eliab, c’est mon orgueil qui m’a perdu : j’ai quitté mes frères pour m’associer à des étrangers dont le faste plaisait à ma vanité ; je les croyais mes amis, et cependant les cruels m’ont abandonné dans ce désert au premier moment de détresse. Je meurs ; mais le ciel m’a fait grâce, puisqu’il permet qu’un frère me ferme les yeux. A ces mots, la voix entrecoupée par les sanglots, ils adressèrent leur dernière prière à Dieu et jurèrent de mourir ensemble. Non, vous ne mourrez pas, leur dit alors une voix qui sembla descendre du ciel. C’était Osmin : il traversait en ce moment le désert avec une caravane de marchands. Il avait aperçu de loin deux voyageurs égarés, et n’écoutant que sa générosité, il avait quitté ses compagnons et s’était approché d’eux. Qu’on juge de sa joie, lorsqu’il reconnut ses frères dont le destin n’avait cessé de l’occuper ! Son outre, heureux présent du sage Génie, était encore remplie ; ce secours rendit la vie à ses frères qui poursuivirent leur route avec la caravane, et arrivèrent à Lahore. Nubar, l’ami de leur père, leur rendit la somme qui lui avait été prêtée, et qui, également partagée entre eux, leur procura une douce aisance, compagne du vrai bonheur.

Eliab apprit à fuir l’orgueil ; Nadir l’avarice, et tous les trois à préférer l’utile à l’agréable.

justin gensoul1.

Notes de base de page numériques:

1 Justin Gensoul (1781-1848), auteur dramatique français.

 

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