L'Echo de la Fabrique : 8 février 1835 - Numéro 6

AU RÉDACTEUR.

Monsieur, je vous remercie de la manière exacte dont vous avez rendu compte de mon affaire avec M. Bernard, et des notes que vous avez ajoutées, qui font ressortir davantage l?injustice du jugement rendu contre moi. Je ne saurais adresser les mêmes remerciemens à l?indicateur ; on dirait qu?il se plaît à présenter les affaires d?une manière défavorable aux chefs d?ateliers, et qu?il les embrouille à dessein. En vérité il devrait, dans l?intérêt de la fabrique, cesser son compte rendu du conseil des prud?hommes.

Comme vous le dites, je suis du nombre de ceux qui croient trouver réunies, la délicatesse et la fortune ; lorsqu?à cette dernière se joint la considération publique. Puisse la leçon que je viens de recevoir, désabuser mes confrères.

Mme Ve messin, propriétaire à Vaux, me proposa elle-même, en présence de son frère, M. bernard, maire de Vaux, de MM. mauteville, marchand ferratier, rue du Plat ; thevenin, rentier, aux Brotteaux ; chevalier, menuisier, rue des Deux Maisons, de mesdames chevalier, thevenin et delisle, concierge du cercle du commerce, et enfin de son neveu, M. bernard, que vous avez, mal à propos, appelé négociant, attendu qu?il n?est que commis chez M. Morier et Ce, fabricant d?unis, de prendre en apprentissage son autre neveu, Louis bernard. Je demandais 400 fr. et trois ans de temps. Après des pourparlers, cédant aux sollicitations des personnes présentes, dont j?invoque le témoignage, qui me dirent que je n?y perdrais pas, je consentis à rabattre 50 fr., et j?eus la faiblesse de ne pas exiger immédiatement une convention écrite. Un autre motif me porta à retarder cette convention : Mme Ve Messin me témoigna qu?elle était gênée, dans le moment, et qu?elle ne pourrait me donner qu?au bout d?un an ; son amour-propre paraissait souffrir de consigner, par écrit, cette demande d?un délai, et j?eus la délicatesse de ne pas oser insister. Voilà ma récompense.

J?ai donné tous mes soins à cet élève, et attendu son intelligence, il a été bientôt à même de travailler ; c?est ce moment qu?on a choisi pour le retirer de chez moi. Je dois rendre justice à Mme Ve Messin ; elle a eu la pudeur de ne pas oser faire elle-même cette demande ; elle en a chargé son neveu, M. Bernard, frère de mon apprenti, qui a sans doute oublié, en recevant procuration de sa tante, qu?il avait été témoin au contrat. Il y a des gens dont la mémoire est si courte.

L?indemnité que le conseil m?a allouée est dérisoire : je suis à même de prouver que je perds au moins 300 fr. En effet, l?apprenti avait encore 21 mois de travail, et comme il est bon ouvrier, il pouvait me rendre 3 f. 60 c. par jour, l?excédent de sa tâche déduit. Cette somme me compensait bien ses frais de nourriture et les leçons de décomposition de dessin que j?avais à lui donner, à temps perdu, pendant la dernière année de son apprentissage ; ainsi que j?étais convenu, et maintenant le métier est couvert, en attendant que j?aie trouvé un compagnon.

Quelle que soit la détermination que je prenne au sujet du jugement de MM. les prud?hommes, et quel qu?en soit le résultat, j?ai cru convenable d?appeler l?attention sur cette affaire, qui doit amener de sérieuses réflexions et distraire les chefs d?atelier de leur facilité à compter sur la bonne foi des personnes avec qui ils traitent.

J?ai l?honneur etc.

biolay, fabricant, cour des Archers.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique