L'Echo de la Fabrique : 15 février 1835 - Numéro 22

[1.1]On sait combien nous avons à cœur de changer en mieux la situation malheureuse dans laquelle se trouvent tous les travailleurs, nos confrères en infortune. On sait que l’Indicateur ne se contente pas, comme certains journaux, de parler à tort ou à travers sur des questions qui n’aboutissent à rien. Une fois notre plan tracé, nous allons droit au but, nous. Ainsi après avoir reconnu que la concurrence des marchands nous opprime, nous avons cherché à découvrir par quel moyen on pourrait contrebalancer et, plus tard, annuler entièrement ce mauvais effet, et nous avons trouvé que le consommateur, c’est-à-dire chacun d’entre nous peut, à l’aide de l’institution que nous avons indiquée, contribuer et parvenir sans peine à établir le contre-poids qui doit neutraliser la concurrence, dont les mauvais effets nous font souffrir la faim, le froid et toutes sortes de privations.

Mais voilà que notre façon d’agir franche et résolue, nous suscite des difficultés de plus d’un genre. D’un côté on nous fait des procès de tendance en politique ; nous qui regardons la politique à l’égal de la chose la plus insignifiante, pour quant aux intérêts matériels des travailleurs. D’un autre côté, ce sont des objections que nous avions prévues, il est vrai, mais qui n’en sont pas moins des objections.

Il arrive que certaines personnes qui n’ont jamais approfondi les questions d’économie sociale que nous avons traitées, et qui jusqu’à ce jour se sont accoutumées, pour tout remède, à se plaindre sans cesse et bien inutilement de leurs maux ; il arrive que ces personnes trouvent déjà que nous sommes bien audacieux d’oser provoquer une entreprise immense, puisqu’elle doit réaliser la réforme commerciale elle-même. Eh ! que nous importe l’opinion de ces trembleurs qui, dans leur faiblesse, ne savent que se plaindre de loin et courber leur tête sous le joug commercial sans seulement oser penser à s’y soustraire ; ne sont-ils pas libres, si cela leur plaît, de continuer à maintenir, quant à eux cependant, l’exploitation du travailleur par le commerçant. Mais pour tout homme qui possède un cœur chaud et quelque sentiment de justice, il n’y a pas possibilité d’être satisfait de ce qui existe, et tous par conséquent doivent s’intéresser à une amélioration générale, sous le rapport commercial et industriel. Ils doivent s’y intéresser d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’obtenir la réforme par des moyens violens, employés en pure perte. Mais il ne s’agit que de se préparer à donner sa confiance pour ses achats au premier homme de courage et de bonne volonté qui la méritera, en offrant au consommateur des avantages positifs et des garanties de bonne foi, que nul marchand, jusqu’à présent, [1.2]n’a encore essayé de mettre en usage. Or, que l’augmentation du revenu des travailleurs vienne par une augmentation dans les salaires, ou bien par une diminution dans le prix des marchandises de première nécessité, n’est-ce pas toujours la même chose, et le résultat en est-il moins évident ? Eh bien ! puisqu’il ne nous est pas possible, grâce à cette funeste concurrence, de faire augmenter le prix de notre travail, tournons-nous d’un autre côté, et encourageons, par notre pacifique concours, celui ou ceux qui voudront faire usage de notre recette pour s’enrichir tout en nous soulageant un peu. Qu’une nouvelle concurrence entre les hommes généreux s’établisse de cette manière ; car cette concurrence-là sera bienfaisante. Préparons-nous à aller acheter tous en foule chez celui qui nous offrira quelque avantage, jusqu’à ce qu’un autre nous en présente encore de plus grands. C’est ainsi que peu à peu nous parviendrons à diminuer notre misère et à préparer une organisation industrielle et commerciale à notre profit et à celui de la grande société des travailleurs en général. Or, comme on le voit, dans tout ce que nous avons proposé il n’y a rien de difficile ni d’illégal ; nous ne faisons que transformer une concurrence oppressive et mauvaise, en une concurrence bienfaisante et favorable aux intérêts de tout le monde, chose que nous démontrerons facilement quand il le faudra.

On voit que ce n’est pas notre faute si les projets que nous avons présentés n’ont pas été compris, même par quelques-uns de ceux qui les ont lus ; ce sont des projets qui veulent être étudiés quelque peu et que toutes les intelligences ne peuvent pas saisir du premier coup. Nous savons très-bien qu’il serait peut-être plus facile de faire adopter pour remède aux maux sociaux, quelque erreur pernicieuse ou d’entraîner une certaine partie du public travailleur à quelque fausse démarche qui n’avancerait rien, mais qui s’accorderait avec les idées routinières de beaucoup ; que de faire passer dans leur esprit des vérités positives, des combinaisons fécondes, mais nouvelles, qui par cette raison, demandent un peu de réflexion et d’étude. Nous savons tout cela et nous n’en sommes pas découragés, parce que nous savons aussi que rien ne résiste à la persévérance infatigable d’hommes convaincus et agissant d’après l’impulsion généreuse de leur cœur ; or, dans toutes les classes et principalement dans celle des travailleurs, il y en a aussi beaucoup de ceux-là, et leurs efforts suffiront pour créer cet avenir si beau, où le producteur sera de droit associé et intéressé d’une manière de plus en plus équitable dans le bénéfice résultant de la vente des produits qu’il aura fabriqués ou cultivés. [2.1]Ainsi donc, une fois pour toutes, ne nous arrêtons plus que l’œuvre ne soit en train d’exécution. Nous avons découvert un moyen praticable pour commencer cette réforme commerciale, dont le résultat sera notre affranchissement. Attachons-nous tous de quelque manière à sa réalisation, et il n’y a pas de difficulté qui tienne. Avec de la bonne volonté nous réussirons.

M. D.

 

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