L'Echo de la Fabrique : 22 février 1835 - Numéro 8

AU RÉDACTEUR.

Puisque votre journal est une tribune ouverte aux ouvriers pour publier leurs griefs, et qu’il est trop vrai de dire que cette publicité est leur seul moyen de défense, je viens vous prier d’accueillir mes plaintes contre la maison laforêt et Ce.

Depuis 4 ans je travaillais pour cette maison, ; sur la fin de l’année dernière, elle m’engagea à acheter deux mécaniques à la Jacquard, et me fit, pour cet objet, une avance de 145 fr., avec promesse de ne retenir cette somme que par huitième. Confiant dans sa probité, j’ai eu la bonhomie de ne pas demander par écrit cette convention, et aujourd’hui la maison Laforêt me porte, en compte d’argent, avance sur mes façons cette même somme de 145 fr. ; cela n’est pas juste, et ce paiement immédiat et intégral me réduit à la misère.

Ce n’est pas là que se bornent les vexations, que j’éprouve : j’avais jusqu’à ce jour été en avance de matières, et aujourd’hui, je ne sais comment, je me trouve en solde de 800 grammes. Est-ce une erreur des commis de MM. Laforêt et Ce ? Est-ce le résultat de mon changement de domicile ? Je l’ignore ; mais je puis dès à présent signaler deux causes qui y ont sans doute contribué, 1° la maison Laforêt a réglé mon livre à moitié déchets, et ce contrairement aux décisions du conseil des prud’hommes ; 2° cette maison a pour habitude de n’allouer aucun déchet sur les pesées d’étoffes fabriquées qui n’atteignent pas 500 grammes. Cela ne me paraît pas juste non plus : parviendrai-je à faire réparer ces deux injustices ?…

MM. Laforêt ont été plus loin, et ont refusé de me livrer de la trame pour continuer les étoffes commencées, à moins que je ne consentisse à leur donner en nantissement deux mécaniques ; je m’y suis refusé et les ai fait appeler devant le conseil des prud’hommes ; ils ne se sont pas présentés ; mais seulement à une audience particulière que M. le président a bien voulu nous accorder, il a été ordonné que la trame nécessaire pour continuer me serait remisei.

Je croyais mon affaire terminée, mais hier matin le commis de MM. Laforêt est venu, et, sans être assisté d’aucun prud’homme, [4.1]sans ordre du conseil, il a cacheté les deux pièces qui sont sur mes métiers ; en conséquence, je suis sans travail en ce moment, et cela par un acte arbitraire. Je fais appeler de nouveau MM. Laforêt devant le conseil pour en avoir justice ; mais j’ai cru utile d’appeler l’attention publique sur la conduite de ces négocians, et c’est pourquoi je m’adresse à vous, seul et véritable organe de la fabrique, dont vous représentez l’ancien echoii.

J’ai l’honneur, etc.

dumas-perouse.

Lyon le 18 février 1835.

Notes de fin littérales:

in. d. r. Nous nous sommes aperçu que depuis un certain temps, les audiences, dites de cabinet, se multipliaient au détriment de celles publiques, et que les négocians qui avaient fait défaut à ces dernières s’y rendaient avec empressement. Nous ne doutons nullement que ce soit dans l’intérêt des parties et dans un esprit de conciliation, que M. le président du conseil s’est imposé ce surcroît de travaux ; mais comme ce pourrait être aussi un acheminement au rétablissement du huit clos, nous devons appeler l’attention publique sur ce mode de procéder, et le proscrire quelque avantages particuliers qu’il puisse pour le moment apporter à quelques-uns. Il ne faut, sous aucun prétexte, laisser introduire de fâcheux précédens. Aujourd’hui ces comparutions sont volontaires, demain elles seraient forcées ; ainsi marche l’arbitraire. La légalité est la sauvegarde de tous. Nous invitons donc les chefs d’atelier à ne plus solliciter d’audience particulière, et à s’en tenir aux audiences publiques. Cette publicité est déjà une peine pour le plaideur de mauvaise foi.
ii. Si les faits allégués par M. Dumas-PerouseDumas-Perouse sont exacts, MM. laforêtLaforêt et Ce ont des torts bien graves envers ce fabricant, et ils y ont mis le comble par la mesure vexatoire et illégale de poser un cachet sur les pièces en fabrication, sans être assistés d’un membre du conseil, seul compétent pour ordonner une semblable mesure. Le conseil des prud’hommes, aura dans cette affaire sa dignité et son autorité méconnues, à faire respecter par une condamnation sévère.

 

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