L'Echo de la Fabrique : 22 mars 1835 - Numéro 27

LE TRAVAIL.

L’homme est né pour le travail, et cela est tellement vrai, que nous renfermons en nous-mêmes un principe actif qui nous porte à l’action. Dès que cette activité n’a pas d’objets qui l’alimentent, notre esprit devient inquiet, il s’agite, il se trouble, et se repliant sur lui-même faute d’un point d’appui fixe que lui procure le travail, il erre dans un vide affreux ; il oublie ses devoirs et va même jusqu’à se plonger avec une sorte de prédilection dans le cloaque du crime.

Le travail est l’ame de la nature ; c’est lui qui chaque jour fait briller à nos yeux ces beautés, ces chefs-d’œuvre, ces nouveautés, qui nous enchantent. Le travail est la cause première de la félicité de l’artisan ; c’est par erreur que bien des personnes le regardent comme une peine qui nous prive jusque de notre repos sans nous accorder en échange aucune jouissance. Nous disons au contraire que c’est par le travail seul que l’homme peut jouir et que ses bienfaits s’étendent même jusqu’à la prospérité des nations.

L’activité fait la félicité du travailleur ; en effet, il chasse de son humble foyer, et les soucis, et les chagrins, et les privations qui sapent chaque jour la frèle existence de l’oisif. Envisagez cette famille pour laquelle le travail est un plaisir : dès le matin tout est en action ; chacun reprend avec gaîté la suite de ses occupations de la veille ; l’émulation brille dans tous les regards, et le moment du repos met seul une trève à leurs travaux. Des mets exquis ne sont point les stimulans qui les convient ; mais excités par le travail, leurs appétits savourent avec plaisir le potage de la sobriété ; une gaîté franche préside à la table qui est pour eux une récréation ; puis l’on reprend avec courage, et de nouvelles forces, son activité première. Ainsi se passe la semaine. Mais le dimanche on se livre avec plaisir aux douceurs du repos ; l’on va respirer l’air libre des champs ; l’on s’occupe de quelques œuvres de philantropie ; ou dans une récréation amicale, l’on se délasse des fatigues de ses occupations en récréant ses esprits. Puis, lorsque la nuit semble nous convier au repos en étendant son voile sur la nature, le cœur satisfait, plein d’ardeur pour le lendemain, l’on regagne son habitation. Ainsi s’écoule la vie du travailleur aujourd’hui. [1.2]Les malheurs, les maladies, les calamités publiques, malgré son extrême activité, semblent le condamner à des privations, à des ennuis qui accélèrent sa marche vers la tombe. Mais un jour viendra où l’industrie organisée lui permettra de lutter victorieusement contre sa misère, fruit des malheurs inséparables de la condition humaine.

Tandis que l’oisif, celui pour qui le travail est un supplice, enchaîne à jamais à sa suite la misère et la faim. Pour lui la nature est sans charmes, parce que son œil morne et soucieux ne saurait les envisager ; la vie lui paraît sans jouissance, parce que sa position ne saurait lui permettre de s’en procurer une seule ; et pour aggraver ses maux, le remords vient encore ajouter à ses chagrins : enfer anticipé qui ne trouble jamais la paix de l’homme laborieux. Si les maux se déchaînent sur lui, si par une suite de fatalité il ne peut dompter le sort, son âme du moins est tranquille ; il ne saurait se reprocher ses peines, parce qu’il n’en a pas été l’artisan ; et confiant dans un avenir plus heureux, il s’endort dans les bras de l’espérance.

L’oisif, au contraire, ne peut supporter le présent, regrette le passé et désespère de l’avenir. Il ne voit que l’abîme que chaque jour il creuse sous ses pas ; son imagination s’égare, ses idées se faussent, et dans ce dédale de peines, au lieu de chercher dans le travail un remède à ses souffrances, sa nonchalance le porte à ouvrir son cœur à l’inspiration du crime. Il envisage l’astuce, la perfidie, le larcin même comme uniques améliorations à sa destinée ; et c’est ce funeste espoir, c’est cette crédulité désolante qui peuple chaque jour les prisons et les bagnes. C’est en buvant à longs traits à la coupe empoisonnée de la paresse, que cette jeune personne a flétri la fleur de son printemps ; c’est après l’avoir épuisée jusqu’à la lie, que ce jeune homme égaré dans les détours du vice et du crime, y met le comble en portant atteinte à une vie qu’il aurait dû consacrer au bonheur de ses semblables.

Si le travail prévient les maux, préserve notre esprit de la perversité du crime, il répand aussi la prospérité sur tous les points de l’univers. Examinons les temps où s’illustrèrent les plus grands capitaines de l’antiquité, où brillèrent les plus éclatans génies et nous verrons que ce sont ceux où le travail était de tous les rangs comme de toutes les conditions ; où le général d’armée quittait sa charrue pour défendre les intérêts de la patrie, puis, lorsque par sa valeur il avait repoussé l’ennemi, lorsqu’après la victoire, couvert de lauriers, offrant aux dieux les dépouilles des vaincus, il rentrait dans ses foyers, c’était pour tracer [2.1]le sillon qui devait alimenter ceux que son bras venait de protéger. Nous verrons encore, que le travail seul est la cause de la prospérité des peuples, que c’est lui qui surmonte tous les obstacles, qui aplanit toutes les difficultés et qui est le germe de cette puissance à laquelle rien ne saurait résister. Si le travail est une source bienfaisante, qui fertilise de ses ondes la terre qu’elle arrose, l’oisiveté est un lac fangeux dont les exhalaisons fétides corrompent tout ce qui l’avoisine.

Mais si nous préconisons le travail, si nous avons démontré qu’il doit être le point de mire de l’humanité entière, et que de lui seul peut éclore cette félicité après laquelle nous soupirons tous ; nous repoussons vivement ce travail exténuant, ces longues veilles auxquelles sont obligés de se livrer les travailleurs pour satisfaire à des exigences égoïstes. C’est alors, qu’épuisés par un travail long et soutenu, privés de ce nécessaire qui entretient les organes dans un état de vigueur et de force, ils se voient avant l’âge au terme où leurs facultés physiques ne leur permettent plus, pour subvenir aux besoins de leur existence, que de recourir à la commisération de leurs semblables. Cette triste condition à laquelle les assujétit une exploitation anti-humaine, doit enfin cesser le jour où, obéissant à la loi sainte du progrès, le commerce et l’industrie régénérés laisseront à tous la libre faculté de jouir des immenses trésors que le travail produit.

Que le travailleur cesse d’être à la vue du plus grand nombre une machine vivante ; que l’ouvrier jouisse de toutes les prérogatives sociales ; que sa qualité de travailleur ne soit pas méconnue, qu’elle soit au contraire la cause de son élévation et un moyen de participer au bénéfice commun.

 

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