L'Echo de la Fabrique : 8 mars 1835 - Numéro 10

DU JUGE DE PAIX ET DE SES ATTRIBUTIONS.

La révolution de 1789 devait débarrasser la France des innombrables abus de l?ancienne organisation judiciaire. Ce fut le premier soin de l?Assemblée constituante. Les justices seigneuriales furent supprimées avec la féodalité entière dans la fameuse nuit du 4 août 1789. Le nouveau système d?organisation judiciaire fut développé dans le décret du 24 août 1790 ; qui a posé les premiers fondemens de l?état de choses qui nous régit ; et dont plusieurs dispositions sont encore en vigueur.

C?est à cette loi du 24 août 1790, que la France doit l?établissement des justices de paix, dont l?institution a été successivement mais légèrement modifiée par différentes lois.

Ainsi la loi du 24 août 1790, qui établit dans chaque canton un juge de paix avec des assesseurs nommés pour [3.1]l?assister dans tous les jugemens, disait que le juge de paix serait élu au scrutin individuel, et à la pluralité absolue des suffrages par les citoyens actif s du canton, réunis en assemblée primaire. Mais ce droit donné aux citoyens de chaque canton de choisir leur juge de paix, fut réduit, par le sénatus-consulte du 16 thermidor an X, à celui de présenter deux candidats à l?empereur, qui choisissait celui des deux qui lui paraissait le plus digne. Bientôt la candidature tomba en désuétude, et le gouvernement impérial nomma les juges de paix sans présentation, quoique cette condition ne fût point abolie expressément. Les juges de paix étaient élus par les justiciables pour deux ans ; d?après le sénatus-consulte de l?an X, ils étaient nommés pour 10 ans par le chef du gouvernement, sur la présentation de deux candidats. Aujourd?hui le roi nomme les juges de paix, sans candidature et sans limitation de la durée des fonctions.

L?institution des juges de paix, telle qu?elle avait été organisée par la loi du 24 août 1790, a encore subi un autre changement ! Les assesseurs, que cette loi donnait au juge de paix, et qui, avec lui, formaient le tribunal de paix, furent supprimés en l?an IX, et remplacés par des suppléans : en sorte qu?à partir de cette époque, les attributions des justices de paix furent toutes confiées à un homme seul, les suppléans n?étant destinés qu?à remplacer le juge de paix en cas de maladie, absence ou autre empêchement. Ainsi, aujourd?hui les justices de paix se composent, dans chaque canton, d?un juge de paix et de deux suppléans, tous amovibles et nommés par le roi.

Ce qui prouve l?excellence de l?institution des justices de paix, c?est qu?elle a survécu à toutes les vicissitudes de la révolution. Elle a traversé la république, le consulat, l?empire et la restauration, et si l?on reconnaît la nécessité d?y apporter les modifications que l?expérience à indiquées ; personne ne paraît révoquer en doute son utilité, qui désormais est incontestable.

C?est qu?en effet, le juge de paix, lorsqu?il comprend et remplit dignement sa mission, est, de tous les magistrats, celui qui peut faire le plus de bien, et empêcher le plus de mal. Appelé par ses fonctions à vivre au milieu du peuple, il en comprend les besoins et sait en soulager les souffrances. Dans les campagnes, il est l?homme des champs qui vérifie sur le lieu même l?objet du litige, et qui trouve dans son expérience et dans son bon sens des règles de décision plus sûres que la science des formes et des lois n?en peut fournir aux tribunaux. En relation continuelle avec ses concitoyens, il ne pense et n?existe que pour eux. Les mineurs, les absens, les interdits sont l?objet particulier de ses sollicitudes. C?est un père au milieu de ses enfans. Il dit un mot, et les injustices se réparent, les divisions s?éteignent, les plaintes cessent ; ses soins constans assurent le bonheur de tous. Voilà le juge de paix

Les législateurs de l?assemblée constituante, qui nous ont donné les justices de paix, sont dignes des plus grands éloges ; ils ont voulu, dit M. Henrion de Pansey1, dans son excellent ouvrage sur la compétence des juges de paix, rétablir parmi nous cette magistrature des premiers âges, qui commandait par l?exemple et comprimait par la seule autorité de la raison. Ils ont dit : Dans chacun des arrondissemens que nous allons déterminer, nous élèverons un tribunal qui sera l?autel de la concorde ; le magistrat populaire qui y sera placé, fera monter avec lui sur son siège la franchise, la candeur, la bonne foi, l?intégrité et surtout la pitié pour le malheur et l?indulgence pour l?égarement et les faiblesses. Il parlera, et les haines s?éteindront, et les passions se briseront à ses pieds, et la paix règnera dans les familles, et les c?urs pervers abjureront leurs coupables desseins. L?ami, l?arbitre, le père bien plus que le juge de ses concitoyens, il préviendra les procès par ses conseils, les délits, par sa vigilance ; et si quelquefois brille dans ses mains le glaive de la justice, bien plus souvent on y verra l?olivier de la paix.

Si nos juges de paix n?ont pas toujours rempli les [3.2]espérances de l?assemblée constituante, ils n?en ont pas moins à toutes les époques, rendu des services nombreux et importans aux justiciables.

(L?Utile2, journal de la Moselle).

Notes de base de page numériques:

1 Il s?agit ici du juriste et homme politique français Pierre-Paul Henrion de Pansey (1742-1829) dont l?ouvrage De la compétence des juges de paix était paru en 1805.
2 L?Utile, journal populaire de la Moselle, publié à Metz depuis le début de l?année 1833.

 

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