L'Echo de la Fabrique : 8 mars 1835 - Numéro 10

histoire de la lithographie.

La lithographiei est l’art de prendre des impressions de dessins ou de caractères tracés sur la pierre1. Elle diffère de l’art d’imprimer au moyen de la gravure sur cuivre ou de caractères en fonte, en ce que ce dernier procédé est purement mécanique, au lieu que la lithographie repose sur des principes entièrement chimiques, et elle a été, pour cette raison, appelée en Allemagne, imprimerie chimique. Les principes sur lesquels cet art est fondé, sont en premier lieu, la propriété qu’a la pierre à chaux granulée et compacte de s’imbiber de graisse ou d’humidité, et en second lieu, l’antipathie que la graisse et l’eau ont l’une pour l’autre. Voici le procédé et sa théorie. On trace un dessin sur la pierre, soit avec de l’encre, soit avec un crayon composé d’une matière grasse. On lave ensuite la pierre avec de l’eau, et le liquide pénètre dans tous les endroits auxquels le crayon ou l’encre n’a pas touché. On fait alors passer sur la pierre un rouleau cylindrique, chargé d’encre à imprimer. Le dessin s’imbibe de cette encre et le reste de la pierre reste intact au moyen de l’eau qui remplit ses pores et qui repousse la matière grasse dont l’encre est composée. Cette utile invention est en partie le produit du hasard.

Aloïs sénéfelder, fils d’un acteur du théâtre de Munich, et étudiant en droit à l’université d’Ingoldstadt, s’était aussi consacré au théâtre après la mort de son père, mais ayant eu peu de succès dans cette carrière, il l’abandonna pour embrasser celle des lettres ; à cette occasion, la nécessité devint chez lui la mère de l’invention, car étant trop pauvre pour pouvoir faire imprimer ses écrits, il s’ingénia pour découvrir quelques moyens de les imprimer lui-même, et dans ce but, il employa au lieu de caractères en fonte, des planches de cuivre, sur lesquelles il traçait des lettres avec une substance particulière de sa composition. Dans le cours de ses diverses expériences, il trouva qu’un composé de savon, de cire et de noir de fumée formait une encre excellente pour écrire sur le cuivre, par la raison que, lorsque cette matière était sèche, elle prenait une telle consistance que l’eau forte n’avait pas même de prise sûr elle.

Cependant, pour remplir entièrement ce but, il lui manquait la faculté d’écrire à rebours sur la planche, et afin de l’acquérir, il se procura quelques carreaux de pierres de Killem, matière qui a fort peu de valeur dans le pays qu’il habitait, et sur laquelle il écrivait, après avoir bien poli la surface. Ayant été chargé un jour, par sa mère, de faire une note du linge qu’elle voulait envoyer au blanchissage et n’ayant point de papier sous la main, il écrivit la note sur un de ces morceaux de pierre avec le composé dont il a été parlé plus haut ; puis, lorsqu’il voulut effacer ce qu’il avait écrit, il réfléchit qu’il serait possible d’en retirer des empreintes. Il en fit aussitôt l’expérience après avoir légèrement diminué l’élévation de la pierre, au moyen d’un acide, tout autour des caractères qu’il avait tracés, et il trouva, comme il l’avait pressenti, qu’il lui serait facile de prendre des impressions successives de ce qui était écrit. Il lui parut alors que ce nouveau mode d’impression pourrait avoir quelque importance, et il s’occupa dès ce moment de le perfectionner et d’en faire des applications à divers objets. Il s’aperçut bientôt que, pour obtenir des impressions des caractères tracés sur la pierre, il n’était pas nécessaire que ces derniers s’élevassent au-dessus de sa surface, mais que les propriétés chimiques qui appartiennent à l’eau et à la graisse et qui empêchent qu’elles ne se mêlent l’une à l’autre, suffiraient seules pour [4.1]obtenir ces impressions. Il se mit donc à organiser une presse, et à disposer tout l’appareil convenable pour faire ses lithographies. Son premier essai, dans ce genre, fut quelques morceaux de musique qui parurent en 1796. Il tenta ensuite de lithographier également des dessins et de l’écriture, et quand à la nécessité de tracer des caractères à rebours, il rendit cette opération facile en la transportant sur la pierre après les avoir calqués. Un savon sec, qui laissait sur cette pierre des traces permanentes, fut le crayon qu’il employait alors, soit pour dessiner soit pour écrire. En 1799, Sénéfelder avait beaucoup perfectionné son invention. Il demanda et obtint un brevet pour explorer sa nouvelle branche d’industrie ; puis, afin de donner plus d’extension à sa découverte, il associa à ses vues un capitaliste et entreprit avec lui d’établir simultanément des imprimeries lithographiques à Paris, à Vienne et à Londres. Dans cette dernière capitale il obtint un brevet d’invention ; mais, soit que son procédé ait mal été compris alors, soit que la rareté des pierres convenables pour ce mode d’imprimer en ait rendu l’exploitation difficile, les artistes anglais, après avoir fait quelques essais qui furent malheureux, se rebutèrent et abandonnèrent successivement la lithographie.

En 1805, Sénéfelder était retourné à Munich. Ce fut dans cette ville que son invention prit un peu de vogue par suite du besoin qu’eut M. Mittérer, professeur de dessin à l’école publique, de multiplier des copies de ses dessins pour ses élèves. Ce professeur eut recours pour cela à la lithographie et il s’occupa de perfectionner lui-même cet art. C’est à lui, dit-on, qu’on doit la composition, ou du moins l’amélioration du crayon dont on se sert aujourd’hui. L’exemple une fois donné par cet artiste, l’usage de la lithographie devint général en Bavière, et se répandit bientôt dans toute l’Allemagne. On créa, en 1809, une lithographie royale ; Sénéfelder en fut nommé directeur, et il s’occupa dès lors à écrire l’histoire de son invention. Dans ces dernières années la lithographie s’est généralement répandue en Europe. En Angleterre elle ne fut jamais entièrement abandonnée depuis son introduction en 1800 ; mais ce ne fut qu’en 1817 qu’il s’y fonda de véritables établissemens lithographiques. En France on ne tenta rien à cet égard avant 1815, époque à laquelle M. de Lasteyrie établit à Paris des presses lithographiques.

La Russie eut bientôt les siennes, et le nom de Sénéfelder peut aujourd’hui s’unir à celui de Guttemberg, d’heureuse mémoire.

Notes de base de page numériques:

1 Cet article mentionne le premier inventeur du procédé de la lithographie, l’acteur et auteur dramatique autrichien Aloïs Senefelder (1771-1834) et la diffusion de cette technique en Allemagne avec Hermann Joseph Mitterer (1764-1829) et en France avec Charles Philibert de Lasteyrie (1759-1849).

Notes de fin littérales:

i. Mot dérivé du Grec, j’écris sur la pierre.

 

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