L'Echo de la Fabrique : 5 avril 1835 - Numéro 14

un mot sur les fabriques étrangères de soieries,

A propos de l’exposition de leurs produits, faite par la chambre de commerce de Lyon.

Par M. Arles Dufour, négociant, membre de la chambre de commerce.

[1.1]Nous venons un peu tard rendre compte de la brochure de M. Arles Dufour1, sur l’exposition des produits des fabriques étrangères, qui a eu lieu à Lyon, sur la fin de l’année dernière. Heureusement cette brochure n’est pas de celles dont tout le mérite est dans l’actualité ; fruit d’études réfléchies et d’investigations sévères, elle sera toujours utilement consultée par ceux qui voudront s’enquérir de la fabrique lyonnaise. Cependant nous devons déclarer que nous sommes loin de partager quelques-unes des doctrines émises par M. Arles Dufour. Nous nous en expliquerons incessamment.

Tous les journaux, à l’exception d’un seul (l’Indicateuri), ont rendu compte de l’exposition dont s’agit, mais seulement sous un point de vue théorique ; ceux qui désireraient une appréciation pratique des marchandises étrangères admises à cette exposition, doivent consulter les articles que notre ami et collaborateur M. Falconnet a consacrés à cet objet, dans les numéros 2, 3, 5, 7, 8 et 14 de la Tribune Prolétaire. Cette exposition, la première de ce genre, méritait un historien, elle l’a trouvé dans M. Arles Dufour, dont la compétence sur cette matière ne saurait être révoquée en doute.

M. Arles Dufour envisage la fabrique lyonnaise d’un point de vue élevé, c’est à dire philosophique et moral. Ce qu’il dit est triste, mais vrai ; et d’abord il commence par se prononcer contre l’opinion qui tendrait à considérer comme sans rivale l’industrie lyonnaise ; loin de là, il s’étonne qu’on puisse penser qu’elle ait, contrairement à la loi qui régit le monde, le privilége de ne pas faiblir en vieillissant, et de ne pouvoir mourir. Ne nous laissons pas éblouir, ajoute-t-il, par les belles phrases obligées des discours d’apparat, et regardons sérieusement autour de nous. N’oublions pas que si la vieillesse a pour elle le savoir, l’expérience, la renommée ; la jeunesse en compensation possède à un degré supérieur l’activité, l’énergie, l’ambition. – Une vieille industrie a des habitudes qui entraînent des abus, etc. Si M. Arles avait voulu faire de l’érudition, il aurait pu citer les villes jadis si florissantes de Tyr, Carthage, dont on cherche aujourd’hui les ruines, de Venise, Gênes, etc., qui ont couvert la mer de leurs vaisseaux, établi des relations commerciales dans toutes les parties du monde, et ne sont aujourd’hui que des villes obscures, sans importance. M. Dufour admet bien ensuite que la fabrique de [1.2]Lyon n’est pas arrivée à cette période de la vie où l’on se sent faiblir et mourir. Sa conviction est qu’elle sortira rajeunie de la crise, qui depuis long-temps la tourmente ; mais il faudra qu’elle sacrifie bien des traditions et des habitudes.

Quelles sont ces traditions et ces habitudes que sous peine de mort la fabrique de Lyon doit sacrifier ? Nos lecteurs ne s’y attendent peut-être pas ; nous allons le leur dire. M. Dufour demande l’émigration des ouvriers dans les campagnes, et plus encore leur réunion dans de vastes ateliers, sous la conduite de contremaîtres intelligents.

Pour qu’on ne nous accuse pas de faire dire à notre auteur le contraire de ce qu’il a écrit nous allons citer.

Nous lisons page 140 :

« Ainsi que je viens de le prouver, la grande industrie lyonnaise est en voie de progrès, et quoique ce soit à la condition de s’éloigner de la ville. etc. »ii 2

Nous lisons page 15.

« Pour diriger et employer les 9 à 10,000 métiers du canton de Zurich, il y a tout au plus 25 fabricans (marchands-fabricans) ; pour un nombre égal de métiers, il y en aurait ici une centaine. Est-ce un mal, est-ce un bien ? Je crois que, vu les développemens que prend partout l’industrie, la concurrence qui en résulte, la grande division est un mal. »

Et plus loin, p. 138.

« Dans mon opinion, notre industrie doit suivre tôt ou tard la marche de l’industrie cotonnièreiii, et c’est pourquoi j’ai particulièrement appelé l’attention de mes concitoyens sur le Manchester et le Lancashire en général. Que si on venait à me demander ce que je pense des résultats probables de cette transformation, relativement à l’amélioration du sort de l’ouvrier, je répondrais que, pour juger les conséquences d’un fait il faut le laisser s’accompliriv, et je suis loin de considérer le fait des ateliers de Manchester comme accompli. La question devient d’ailleurs plutôt sociale qu’industrielle, et quoi qu’il soit impossible de séparer complètement l’une de l’autre, mon intention n’est pas de l’examiner ici. »

Il résulte évidemment de ces citations que M. Arles Dufour ne croit possible de soutenir la concurrence de la fabrique de Lyon contre les fabriques étrangères qu’à ces deux conditions que nous avons énumérées ci-dessus, et qui consistent : 1° dans l’émigration des ouvriers dans les campagnes, 2° dans la concentration des ouvriers [2.1]dans les manufactures de soieries, à l’instar des manufactures de coton.

Nous ne partageons pas ces principes, et quelque estime que nous ayons pour le talent de M. Dufour nous sommes obligés de nous élever contre l’aberration de ses doctrines ; M. Dufour a eu raison de le dire en traitant la seconde proposition ; la question devient plutôt sociale qu’industrielle ; nous n’avons pas à examiner pourquoi il n’a pas jugé convenable de la traiter sous le nouvel aspect qui se présentait ; nous ne le ferons pas non plus nous-mêmes, et cela par le seul motif que nous sommes encore sous le coup d’un arrêt qui a décidé que les questions sociales étaient des questions politiques ; mais aussitôt que cette entrave sera levée, nous reviendrons sur ce sujet ; quant à présent nous nous contenterons de renvoyer les lecteurs à ce que nous avons dit précédemment dans l’Echo de la Fabrique et dans ce journal. La suppression de la classe des chefs d’atelier est au fond du système de M. Arles, et nous croyons que bien malgré lui, si ce système prévalait, le sort des ouvriers empirerait. Nous avons dit et nous le répétons parce que nous en sommes convaincus : L’émigration des ouvriers dans les campagnes les livre nécessairement aux exigences tyranniques de la cupidité des marchands ; leur concentration dans des ateliers n’est autre chose, sous un autre nom, que la glèbe industrielle, remplaçant la glèbe agricole.

Nous avions besoin d’exprimer d’abord notre discordance, nous n’avons plus que des éloges à donner. M. Arles est partisan de la liberté commerciale, de la suppression des droits de douane, de l’abandon des priviléges et droits prétendus protecteurs de l’industrie. Nous sommes complètement de son avis et nous unissons notre faible voix à la sienne.

Nous ne répéterons pas les éloges que nous avons donnés en commençant cet article déjà long, aux recherches consciencieuses de M. Dufour. Son livre est à cet égard un recueil de documens précieux, mais nous y renvoyons les lecteurs désireux de s’instruire ; autrement il nous faudrait transcrire sa brochure, et nous ne pensons pas que copier un livre sous prétexte d’en rendre compte soit autre chose qu’un plagiat effronté, un vol littéraire.v

Notes de base de page numériques:

1 Rappelons qu’Arlès-Dufour venait de publier un ouvrage intitulé Un mot sur les fabriques étrangères de soieries, à propos de l'exposition de leurs produits faite par la Chambre de commerce de Lyon.
2 Dans la note ii d’origine, il y a, une nouvelle fois, stigmatisation par Chastaing de ce qu’il perçoit comme l’inculture de L’Indicateur, les rédacteurs de ce journal faisant d’Alexandre le Grand un lacédémonien et non un macédonien.

Notes de fin littérales:

i. La même chose était arrivée à l’Echo de la FabriqueL’Écho de la Fabrique depuis qu’il changea de direction en août 1833. Ce journal fut le seul qui ne parla pas de la crise de février 1834, et fit plus il oublia au mois de mars suivant de parler de l’élection des prud’hommes négocians, qui eut lieu à cette époque.
iiL’IndicateurL’Indicateur, dans son numéro 27, a indignement tronqué ce passage. Les lecteurs qui viennent de lire le texte précis de M. ArlesArles-Dufour n’ont qu’à le comparer avec celui de l’IndicateurL’Indicateur ; on verra par là jusqu’où ce journal pousse la mauvaise foi. Voici comment s’exprime l’IndicateurL’Indicateur : « Ainsi que nous l’avons démontré, la grande industrie lyonnaise est en voie de progrès, et quoique quelques ouvriers aient jugé convenable de s’éloigner de la ville, etc. » On peut continuer ce rapprochement ; maintenant l’IndicateurL’Indicateur peut parler à son aise de sa bonne foi. Lorsqu’on travestit ainsi l’écrit d’un auteur, on prend place parmi les forbans littéraires. Il est vrai que l’IndicateurL’Indicateur, pour cacher son plagiat, a supprimé le nom de M. ArlesArles-Dufour au bas de l’article. Ceci ne l’excuse pas. – C’est dans ce même article que le rédacteur a dit : « Depuis AlexandreAlexandre de LacédémoneLacédémone jusqu’à NapoléonNapoléon Ier, etc. » M. ArlesArles-Dufour n’était pas homme à commettre une telle bévue historique. Nous avons vérifié le texte ; les mots que nous avons soulignés sont le fait du plagiaire.
iii. La réunion des ouvriers dans la même manufacture, sous des contremaîtres.
iv. Nous pensons qu’il vaut mieux les prévoir.
v. C’est ce qu’a fait l’IndicateurL’Indicateur ; il a dans ses numéros 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, copié environ vingt pages de la brochure de M. ArlesArles-Dufour, et cela sans aucune discussion de sa part.

 

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