L'Echo de la Fabrique : 19 avril 1835 - Numéro 16

Commerce des soieries en Angleterre.

Vers le milieu du sixième siècle, deux missionnaires chrétiens ayant pénétré dans l’empire chinois, racontèrent à leur retour, entr’autres merveilles, qu’ils avaient vu une étoffe dont le tissu était fourni par un espèce de ver. Que cette étoffe était plus riche que toutes celles d’Europe, plus brillante que la pourpre des rois, et que cependant en Chine servait à l’habillement même des gens du peuple. Ils se laissèrent persuader à force de promesses et de récompenses, de tenter un second voyage pour rapporter cet insecte précieux. Mais ce ne fut qu’avec de grandes difficultés qu’ils parvinrent enfin à dérober une certaine quantité de vers à soie, qu’ils enfermèrent dans une canne de bambou. C’est ainsi que la soie fut apportée en Europe. Elle passa bientôt dans l’Asie mineure et dans la Grèce, mais elle resta long-temps d’un prix si élevé, que les plus riches personnages en faisaient seuls leur parure. On raconte que la femme d’un empereur lui ayant demandé une robe de soie, il la lui refusa, en lui disant qu’il ne lui convenait pas de donner l’exemple d’un tel luxe.

Le midi de l’Europe fut long-temps en possession exclusive de la culture de la soie et de la fabrication des étoffes. Ce ne fut que vers le quinzième siècle que la culture s’étant rapprochée de l’Occident, et le commerce de l’Angleterre commençant à s’étendre, la fabrication des étoffes de soie pénétra dans ce pays. Elle y demeura stationnaire pendant long-temps, mais enfin les richesses de la nation s’étant accrues, elle fit des progrès, et le préambule d’un édit passé sous Charles II, montre qu’en 1666 elle donnait du travail à plus de 40,000 personnes. Après la révocation de l’édit de Nantes, en 1685, plus de 55,000 réfugiés vinrent du midi de la France, doter l’Angleterre de leur expérience dans cette intéressante industrie, et s’établirent dans le voisinage de Londres, au lieu nommé Spitalfields ; ils tentèrent aussi d’y introduire la culture du mûrier, et l’on voit encore dans tous les jardins de ce quartier les plantations qu’ils ont faites. Les arbres y sont d’une beauté remarquable et presque tous du genre morus rubra, mais la feuille, même dans les premiers jours de son développement, en est dure et peu propre à la nourriture du jeune insecte.

Le gouvernement entoura la nouvelle colonie de priviléges et de secours, et le quartier où elle s’établit est encore celui qui s’occupe exclusivement de la fabrication de la soie. Une chose bien digne de remarque, c’est [4.2]que sa population a conservé dans son langage devenu anglais un grand nombre d’expressions méridionales, et dans ses manières, ses habitudes et son aspect une grande ressemblance avec les ouvriers de Nîmes et de la Croix-Rousse. Dans ce temps le commerce d’introduction des étoffes de soie était libre, et la valeur des importations annuelles s’élevait de 600 à 700,000 livres sterl., ce qui n’empêchait pas cette colonie de prospérer ; ce ne fut qu’en 1162 que les réfugiés obtinrent un privilége pour la fabrication et la vente exclusive de certains articles ; jusqu’à ce qu’enfin ils obtinrent du parlement, en 1697, après de longues sollicitations, la prohibition complète des étoffes fabriqués en France et dans les autres états européens. En 1701, la prohibition s’étendit aux fabrique de l’Inde et de la Chine.

Les dates ci-dessus servent assez à prouver que ce n’est pas au système prohibitif que la fabrication de la soie doit son établissement en Angleterre, mais au contraire qu’elle y avait pris ses premiers développemens sous le régime de la liberté illimitée.

(La suite au prochain numéro).

 

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