L'Echo de la Fabrique : 24 mai 1835 - Numéro 21

L’Indicateur n’a pas comme les autres journaux, de rédacteur en chef ; mais en place il a un bravo. Ce bravo c’est M. Ph. daverède. Tant pis ; nous avions de l’estime pour lui, nous ne parlons pas de l’Indicateur, sa provocation contre M. Charnier, nous force à en rabattre quelque peu. Les lecteurs ont pu lire (et dans le cas où ils ne l’auraient pas fait, nous les y engageons fortement) dans le dernier numéro de l’Indicateur la lettre de M. Daverède à M. Charnier. Ce dernier obligé de partir pour Paris, où il est appelé comme témoin, par les accusés d’avril, nous l’apporta le lendemain de sa réception, pour en faire tel usage que nous jugerions convenable. Quant à lui il ne croyait pas devoir répondre autrement que par le silence du mépris à un homme qui s’annonce comme un spadassin déterminé à employer l’argument du duel, le plus insignifiant de tous les argumens, à défaut de bonnes raisons. Nous avons hautement approuvé sa résolution ; il y a déjà long-temps que dans une occasion à peu près semblable, le Réformateur a prouvé que la manie du duel était un vice de l’ordre social, contre lequel tous les hommes amis du progrès devaient protester hautement. Le courage du duelliste, qui n’est pas même le courage militaire, est chose assez commune ; quant au courage civil, c’est différent ; et nous pouvons le dire parce que nous en avons plus d’une preuve, M. Charnier a donné des exemples de ce courage. – Nous ne ferons pas à M. Daverède la mauvaise plaisanterie de le prier de nous citer ce qu’il a fait pour la cause des travailleurs. Nantis de la lettre dont s’agit, notre intention première fut de la publier avec les fautes de grammairei qu’un prôte complaisant en a fait disparaître, mais nous réfléchîmes que c’était un brandon de discorde qu’il valait mieux étouffer, et que M. Daverède aurait le bon sens de comprendre la dignité du silence de M. Charnier et de la Tribune Prolétaire. –Nous sommes trompés dans notre attente, on nous jette le gant, nous devons le relever ; guerre à qui la cherche. M. Daverède avoue que c’est lui qui sous le nom d’un Solitaire de la Montagne a écrit la diatribe insérée le 26 avril dernier dans l’Indicateur ; il fait plus, il met sous les yeux du public la lettre par lui écrite à M. Charnier, dans laquelle il renouvelle ses injures, et qu’il termine par ces mots provocateurs dont les hommes mal élevés ont seuls l’usage. – Nous ignorons, maintenant que cette lettre est rendue publique, ce qu’il conviendra à M. Charnier de faire lorsqu’il en aura connaissance ; notre mission n’est pas d’intervenir dans un débat personnel ; mais, en son absence et comme partie neutre, il nous est permis de dire ce que nous pensons de cette polémique oiseuse. M. Charnier s’est déclaré fondateur du Mutuellisme. S’il ne l’est pas, c’est donc un autre. Pourquoi ne se montre-t-il pas ? – On nous [3.1]a communiqué le tableau des 105 premiers mutuellistes (dans lequel par parenthèse M. Daverède ne figure pas). Nous y voyons MM. Charnier, directeur ; Bouvery et Masson-Sibut, sous-directeurs ; Leborgne, secrétaire du bureau central ; Chaboud, trésorier, etc. Nous avons inséré, dans le n° 18 du journal, la lettre adressée à M. Charnier comme directeur par MM. Doucet, Masson-Sibut, Bouvery, Leborgne, Chaboud, Reynaud et Barthélemy, déposée au Musée Lyonnais, de M. Rosaz où l’on peut en aller prendre connaissance. Ce sont là des faits, ce nous semble, et des injures ne sauraient les détruire. – L’enquête proposée par M. Charnier ne serait-elle pas plus rationnelle ? Que les lecteurs de bonne foi prononcent.

Maintenant, à l’indicateur. Lorsqu’on accuse ce journal de plagiat, il ne dit mot ; lorsqu’on lui reproche des actions peu délicates, il ne dit encore mot ; mais lorsqu’on attaque sa manière décrire, il grogne ; lorsqu’on cherche à mettre en garde les ouvriers, contre sa boutique d’épiceries qu’il appelle une réforme commerciale, réforme si belle en vérité que son avocat lui-même ne la comprend pas, il se fâche tout rouge. L’Indicateur a pris goût à la polémique, et il nous attaque lorsque nous avons bien autre chose à faire que de nous occuper de lui. Il veut la guerre ! Eh bien ! soit. A nous deux. L’Indicateur n’est pas un Matamore, voilà ce qui le distingue de M. Daverède. Si nous disions qu’il est un Basile, nous n’aurions qu’une crainte, ce serait de calomnier Basile. D’abord il commencé par parler de sa bonne foi, soyez sûr que l’Indicateur n’écrit jamais un article sans dire je suis de bonne foi. Nous avons été instruits à nous méfier de ces gens qui parlent à tout propos de leur probité, de leur bonne foi, avons-nous tort ? Nous ne le pensons pas. – Ainsi qu’on voit de malingres roquets courir en jappant sur les pas d’un dogue ameuté par des enfans méchans, l’Indicateur vient prêter aide et secours à M. Daverède. Il n’a pas inséré, dit-il, la lettre de M. Charnier, parce que dans un post-scriptum M. Charnier avait témoigné le désir d’éviter toute polémique : plaisante raison en vérité ! Mais il a abusé de ce post-scriptum… c’est que le commis a oublié de lui dire qu’il était confidentiel. Or, le mot confidentiel était écrit en marge, M. Charnier l’assure ; est-ce que M. Favier ne sait pas lire ?

Vous croyez que nous avons fini. Pas du tout. L’Indicateur a l’art d’éterniser une querelle, et laissant bien vite la question de l’origine du Mutuellisme, il en aborde une autre ; comme le Parthe, il lance ses flèches en fuyant. « Chacun sait, dit le journal-Basile, en parlant de M. Charnier, qu’on ne l’a aperçu pour la défense des ouvriers qu’en exigeant de la caisse municipaleii un traitement qu’il n’avait pas gagné, attendu qu’il n’avait pas siégé, et qu’il est résulté de ce plat orgueil, une perte pour les chefs d’ateliers appelés au conseil, vu qu’ils avaient deux négocians contre un ouvrier. »iii. – Voilà ce qui s’appelle une calomnie, mais elle est trop plate et il nous est facile de justifier M. Charnier. Oui, M. Charnier n’a pas siégé au conseil. Mais pourquoi ? Toute la fabrique se souvient de la conduite de M. Labory, qui maintenu par le préfet comme prud’homme, quoique le sort l’eût déclaré sortant ne voulut pas, malgré sa promesse formelle, malgré les réclamations unanimes des journaux de la classe ouvrière, malgré la protestation de 45 chefs d’atelier de sa section, abandonner des fonctions qu’il ne pouvait plus remplir avec honneur. – La réprobation fut unanime contre ce scandale. Il paraît que l’Indicateur veut réhabiliter aujourd’hui la mémoire de M. Labory, il n’y réussira pas. Revenons à M. Charnier ; à cette même époque il fut réélu prud’homme par la 4e section ; mais à la condition expresse de ne pas siéger avec M. Labory. Cette condition lui fut imposée sur la demande de M. Rey, dernier gérant de l’Echo de la Fabrique. M. Charnier s’est conformé strictement à son mandat et ses collègues l’en ont récompensé en le renommant prud’homme à l’unanimité aux dernières élections. – Mais croira-t-on que M. Charnier soit resté inactif ? En dehors des séances, il s’est occupé toujours avec zèle des intérêts de ses commettans ; il a fait plus même que ses fonctions exigeaient, on peut le demander au faubourg [3.2]de Vaise. Nous ne pouvons en dire davantage. – Ainsi la calomnie tombe d’elle-même. Vous n’êtes pas adroits, Messieurs de l’Indicateur, il fallait dire cela tout bas, vous auriez trouvé des dupes ; mais l’imprimer, oh ! votre coup est manqué.

Quant à ce qui nous concerne, si M. Charnier a été hostile à notre rédacteur en chef, et a contribué par là à la désorganisation de l’Echo de la Fabrique, c’est qu’alors il ne le connaissait pas, et sa présence aujourd’hui à la Tribune Prolétaire, montre qu’il a su reconnaître son erreur. Cela prouve en faveur de tous deux. Quoi qu’en dise l’Indicateur, c’est bien la Tribune Prolétaire qui, par sa rédaction, remplace et réunit l’Echo de la Fabrique et l’Echo des Travailleurs. Des hommes consciencieux et amis des ouvriers auraient respecté cette union, au lieu d’apporter le spectacle désolant d’une incapacité obligée de s’avouer elle-même. Tout le monde y aurait gagné.

Notes de fin littérales:

i. M. DaverèdeDaverède Ph. écrit insérer par un C.
ii. Nous serions bien aise de savoir si c’est à la caisse municipale même, que Messieurs de l’IndicateurL’Indicateur ont aperçu M. CharnierCharnier Pierre. Cela prouverait qu’ils y étaient aussi.
iii. Cela est faux, M. CharnierCharnier Pierre a toujours été remplacé par un de ses collègues.

 

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