L'Echo de la Fabrique : 26 février 1832 - Numéro 18

LITTÉRATURE.
REVUE DES JOURNAUX DE LYON.1

Du sein de nos discordes civiles, et avec elles est né le journalisme ; par lui est ouverte une tribune où tous les intérêts, où toutes les classes de la société ont des représentans énergiques. Organe de l?opinion publique, il est cependant vrai de dire que c?est lui qui l?excite et la dirige. Sous ce point de vue, le journalisme est un pouvoir ajouté à ceux qui régissent l?état, bien ou mal, c?est un fait qu?il faut accepter ; considéré sous un autre aspect le journalisme résume la littérature et les arts, il en est l?immense répertoire. La révolution de juillet est venue lui ouvrir de nouveaux débouchés par l?émancipation de la presse provinciale. Il m?a paru intéressant de donner un aperçu des journaux qui se publient à Lyon en ce moment.

Sous le rapport politique deux journaux seuls existaient avant la révolution de juillet, le Précurseur et le Journal du Commerce : le premier confié à la rédaction savante et patriote de M. Morin, dont le nom et la conduite dans nos grandes journées me dispensent d?éloge. Digne de lui succéder, et tout à fait à la hauteur des circonstances, Anselme Petetin, rédacteur actuel, se glorifie en face du pouvoir d?être un soldat des barricades et en face du peuple d?être un ami de l?ordre et des lois. Il a pour collaborateurs MM. Jules Favre et Théodore de Seynes, dont certains articles ne dépareraient pas les colonnes du National. Moins brillant, mais non moins utile, un rôle spécial est assigné au Journal du Commerce. C?est l?Edile de la cité ; il fait une guerre constante aux abus subalternes, et a montré plus d?une fois du patriotisme, notamment dans l?affaire du sabotier Berthet, illégalement arrêté.

Depuis juillet le carlisme a une tribune dévouée dans la Gazette du Lyonnais. Mais cette tribune n?a pas d?auditeurs. Le Courrier de Lyon est l?organe du parti rétrograde, qui s?intitule juste-milieu, comme s?il en existait entre le bien et le mal. Ce journal contribuera au succès du Précurseur, son émule, de la même manière que les Spartiates préservaient leurs enfans de l?ivrognerie. Seulement on lui conseille d?éviter la manie des dénonciationsi, et de laisser ce soin aux agens officieux du parquet, aux aiguasils de la police.

Comme on le voit, quatre journaux représentent à Lyon les diverses nuances de l?opinion.

La littérature a aussi de dignes servans. Figaro a un rival dans la Glaneuse. M. Granier, son gérant, et ses collaborateurs MM. Berthaud, Cesena, Bertholon, etc., ont su faire entrer les sentimens les plus patriotiques dans la cadre d?une feuille légère. Ce journal rose fait le désespoir du Persil lyonnais. A l?exemple de la Némésis, M. Berthaud publie une satire en vers sous le titre d?Asmodée. Les lauriers de Thémistocle empêchaient ce jeune Miltiade de dormir.

Sur les pas de la Glaneuse, s?avance un Furet littéraire2, mais son allure est par fois pesante. On voit que ses rédacteurs [7.1]sont taillés pour d?autres combats. Pourquoi la Sentinelle3 a-t-elle péri ! On dit que Lamerlière dort, espérons que l?auteur d?un beau chant, le Drapeau tricolore, se réveillera comme Brutus.

L?industrie avait besoin d?un représentant. L?Echo de la Fabrique est venu combler cette lacune. Honoré de l?amitié du gérant et du rédacteur, les convenances m?interdisent tout éloge. Les journées de novembre ont augmenté l?importance de ce journal, qui sera celui de la classe prolétaire.

La médecine et la jurisprudence ont leurs annales. MM. Dupasquier et Imbert publient le Journal Clinique des hôpitaux de Lyon4. MM. Jacquemet, Perras et Bonjour, publient la Jurisprudence de la Cour royale5. Ces deux reccueils sont mensuels.

Sous le titre d?Archives historiques6, deux véritables savans, les Saumaise de notre âge, unis comme Pylade et Oreste, ou Barthélemy et Méry, MM. Pericaud et Breghot du Lut, livrent au public de scientifiques recherches, à l?histoire des matériaux précieux.

Enfin, pour ne rien omettre, un Journal d?affiches et d?annonces7 paraît trois fois par semaine. Il est essentiellement véridique. A ce sujet, je ferai une réflexion, c?est qu?il serait de l?intérêt du public, et des journaux eux-mêmes, que toutes les annonces fussent publiées dans ce recueil, et que les autres journaux s?en abstinssent. Cela dépare leurs colonnes.

Parlerai-je de la Revue provinciale8, journal marquisé et congréganiste ? je n?en vois pas la nécessité. Il forme le numéro treize de la collection des journaux de Lyon.

Marius Ch.....

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Marius Chastaing d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832). Cette chronique de Marius Chastaing désigne et nomme significativement les prochaines principales figures du républicanisme à Lyon ; des hommes tels que Théodore de Seyne, César Bertholon, Jules Favre, à partir d?août 1832, vont animer L?Association pour la liberté de la presse patriote et se retrouveront un peu plus tard dans la section lyonnaise de la Société des droits de l?homme. Lyon a été qualifiée de « première ville républicaine de France » (voir G. Perreux, La propagande républicaine au début de la Monarchie de Juillet, ouv. cit. ; voir également Pamela. M. Pilbeam, Republicanism in Nineteenth-Century France 1814-1871, Palgrave Macmillan, 1995, p. 119-126). Cette chronique de Chastaing se situe au début d?une tendance qui va conduire L?Echo de la Fabrique a afficher de façon de moins en moins allusive son orientation politique. Cette tendance culminera lors du passage de Chastaing à la direction du journal, à partir de septembre 1832.
2 Le titre exact est Le furet de Lyon. Industrie, beaux-arts, sciences, littérature, théâtre, m?urs et modes. Inspiré de La Glaneuse, cette feuille eut une expérience éphémère au printemps 1832.
3 La sentinelle nationale, feuille républicaine, fut publiée à Lyon de juin à octobre 1831. Au début de l?année 1832 un prospectus annonçait la publication de La sentinelle du Rhône, journal qui ne vit semble-t-il pas le jour.
4 Il s?agit ici du Journal clinique des hôpitaux de Lyon et recueil de médecine et de chirurgie pratiques. Deux volumes seulement furent publiés à Lyon, l?un pour la période janvier-juillet 1830, l?autre pour la période janvier-mai 1832. C?était le journal des Hospices Civils de Lyon.
5 Jurisprudence de la cour royale de Lyon, publié à partir de 1828.
6 Les Nouvelles archives statistiques, historiques et littéraires du département du Rhône comprirent deux volumes publiés en 1831 et 1832. Cette publication prenait alors la suite des Archives historiques et statistiques du département du Rhône, publiées pour la première fois en novembre 1824.
7 Le Journal des annonces judiciaires du ressort du tribunal civil, affiches et avis divers de la ville de Lyon fut publié de 1821 à 1837. Il prenait la suite des Affiches, annonces et avis divers de la ville de Lyon publiés à partir de 1811. Il sera remplacé en 1837 pas le Moniteur judiciaire de l?arrondissement de Lyon.
8 La Revue provinciale fut publiée à Lyon. Elle connut sept numéros en 1831 et 1832.

Notes de fin littérales:

i Le Courrier de LyonCourrier de Lyon a successivement dénoncé la GlaneuseLa Glaneuse et l?Echo de la FabriqueL?Echo de la Fabrique. On sait le cas qu?on fait d?un dénonciateur.

 

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