Retour à l'accueil
20 juin 1835 - Numéro 40
 

 




 
 
     

[1.1]Les élèves en soierie ne sauraient être classés dans la même catégorie que ceux des autres industries qui s’exercent dans notre ville ; la fabrique est l’ame de notre intéressante cité, c’est elle qui lui donne son activité, c’est d’elle qu’elle reçoit son impulsion, c’est par elle qu’elle recueille ces richesses qui lui procurent l’abondance. C’est cet art qui en fit autrefois, et qui en fait encore une des premières villes de l’Europe ; c’est de lui qu’elle tient sa réputation et c’est du maintien de sa renommée que dépend notre avenir ! il est donc urgent de travailler à l’accroissement de la gloire qu’elle s’est acquise depuis des siècles, et ce sont les élèves qui sont appelés à accomplir ce travail.

Ne nous faisons pas illusion, si les apprentis par de fausses insinuations se laissent entraîner à l’indolence et ne s’impreignent pas de cet amour de leur art de manière à le faire prospérer et à rivaliser avec avantage les fabriques étrangères qui convoitent notre industrie, bientôt Lyon dégénéré sera semblable à ces anciens monumens que la faux du temps a détruit et dont il ne reste plus qu’un glorieux souvenir !

Elèves de la fabrique lyonnaise, qu’une nouvelle ardeur vous anime ! l’avenir de la cité est dans vos mains ! Si pleins de zèle, vous mettez tous vos soins à acquérir les connaissances, la délicatesse et l’habileté que nécessite votre profession, c’est en vain que nos rivaux jalouseront nos produits, nous leur serons toujours supérieurs ; et l’antique Lugdunum verra chaque jour flatter les nouvelles productions qu’elle aura vu naître : et nos tissus soyeux, et nos velours, et nos gazes légères chargées de fleurs bigarées, et nos riches étoffes où l’or et l’argent se marient avec la soie, iront encore jusqu’aux extrémités du globe attester notre supériorité et éblouir l’œil scrutateur qui les contemple.

Qu’un noble enthousiasme pour l’art qu’ils ont choisi porte les élèves à rivaliser ensemble ; que pour l’émulation générale une lutte soit organisée et que ceux qui auront bien mérité par leur conduite, leur assiduité et la belle fabrication, reçoivent le prix qu’ils ont lieu d’attendre de leurs efforts. Que chaque année il soit ouvert un [1.2]concours pour les apprentis de la fabrique qui seront jugés dignes d’y prendre part. Que trois juges pour chaque catégorie nommés par le conseil des prud’hommes et pris un dans le corps des négocians, un dans celui des chefs d’atelier et le troisième parmi les compagnons, soient chargés de désigner les trois élèves de chaque catégorie qui auront mérité la couronne. Qu’une distribution publique de prix soit faite chaque année en présence du conseil des prud’hommes, que le front ceint du laurier industriel l’élève reçoive les félicitations et les encouragemens qui lui sont dus, et jouisse des heureux effets de son assiduité et de sa bonne conduite. Mais que les chefs d’atelier à qui cette prime ne peut qu’être profitable, attendu qu’elle fera naître une émulation dont ils retireront les effets, soient chargés spécialement, par une cotisation des frais de cette distribution de prix. Pour recueillir il faut savoir semer ; et un léger sacrifice peut bien amener un très-heureux résultat.

Si nous réclamons des récompenses pour les apprentis diligens, nous sollicitons aussi une juste sévérité pour ceux qu’une insouciance coupable porte à négliger leurs devoirs et à ne pas rendre à leurs maîtres ce qu’ils ont droit d’attendre d’eux. Comme nous l’avons fait observer, la tâche a été réglée sur les deux tiers de la journée ; mais cela n’est point suffisant pour le chef d’atelier si l’élève s’obstine à ne vouloir rien faire en sus, lorsqu’il est à même de remplir sa journée, en ce qu’il ne saurait le défrayer ainsi des pertes qu’il a pu éprouver.

Il serait donc à désirer que le conseil dédommageât un maître d’un apprenti qui ne veut pas travailler et qui prétend être libéré lorsqu’il a fait sa tâche (quoique nous avons démontré le contraire dans notre précédent numéro) ; il serait à désirer, disons-nous, que le maître fût autorisé à exiger de son élève les 5/6e de la journée, à charge de lui payer l’excédant façon de maîtrei. Par-là les chefs d’atelier seraient moins froissés dans leurs intérêts. Les élèves se voyant contraints d’une part et récompensés [2.1]de l’autre, arriveraient peut-être à préférer cette dernière alternative ; et les négocians ne se trouveraient pas souvent dans le cas de manquer leurs commandes.

Nous soumettons ces réflexions à nos lecteurs, les priant de nous communiquer leurs avis que nous nous ferons un plaisir de porter à la connaissance du public, afin de former un concours d’idées duquel pourra surgir la volonté de mettre à exécution ce que nous avons indiqué


i. Sauf dans les articles velours, peluche et meuble, où nous pensons que ce moyen serait trop rigoureux.

C’est avec peine que nous voyons que les arrêtés du conseil des prud’hommes deviennent en quelque sorte nuls, par le fait de ceux mêmes qui doivent être les plus intéressés à leur entière exécution. Nous avons fait connaître, dans notre n° 37, la décision prise à la dernière réunion qui précéda la nouvelle installation du conseil, dans laquelle il avait été fixé que tout négociant qui livrerait à un chef d’atelier une pièce où il y aurait dévidage, serait passible de 15 grammes pour bonification de tirelle. Hé bien ! nous avons vu avec déplaisir, sur plusieurs livres qui nous ont été soumis cette semaine pour inspection de comptes, que la tirelle n’était pas marquée ; et comme nous le faisions observer, il nous a été répondu qu’on n’en avait pas fait la réclamation.

Que les chefs d’atelier ne perdent pas de vue que ce n’est que par des concessions partielles qu’on arrive graduellement aux abus. Le conseil a consacré un principe qui nous est avantageux en même temps qu’il est de toute justice : que notre pusillanimité ne serve pas d’instrument pour en saper plus tard les fondemens. Commis nous-mêmes à la garde de nos droits, ne sommeillons pas lorsque nous devons veiller, et travaillons plutôt avec persévérance à arriver peu-à-peu à la confection de ce code industriel que nous désirons tous, et qui sera d’autant mieux selon nos vues que nous aurons en partie aidé à sa rédaction.

CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Audience du 18 juin.

présidence de m. ribout.

A l’ouverture de la séance, M. Pelin , membre du conseil, section de soierie, qui était absent lors de l’installation par M. le préfet, a été appelé à prêter serment comme membre titulaire ; procès-verbal a été dressé à cet effet.

Sur 25 causes appelées, 6 ont fait défaut, 3 ont été renvoyées, dont 2 à huitaine, une au lendemain, 4 retirées, 3 ont été appelées sur citation ; les autres ont été jugées contradictoirement. Les suivantes seules présentent de l’intérêt.

Une apprentie dont la maladie est constatée par le médecin du conseil est-elle admise à la résiliation des conventions moyennant indemnité ? – Oui. Mais si la santé se rétablit, elle ne pourra se replacer que comme apprentie.

Ainsi jugé entre Bador, chef d’atelier, et Guinand, apprentie.

Lorsqu’un chef d’atelier est débiteur de la caisse de prêt, plus au marchand qui vient de l’occuper, et qu’il se présente ailleurs nanti d’un livret qui n’est pas le sien ; si une contravention est exercée par le négociant qui l’occupait primitivement, la dite contravention est-elle bonne et valable ? – Oui. Le conseil considérant que la demoiselle Monin avait délivré aux sieurs Mermier frères un livret sous le nom de son père, lequel n’étant pas chargé frustrait et la caisse et les sieurs Martigny, Bertholet des droits qu’ils avaient à exercer, a rendu les sieurs Mermier frères passibles de la contravention exercée contre eux. Ces derniers payeront de suite à la caisse la somme de 35 fr. 20 c. ; et aux sieurs Martigny, Bertholet, la somme de 36 fr. 5 c. Il leur sera facultatif de s’inscrire comme premier créancier sur le livret de la demoiselle Monin.

Lorsque par raison de santé un élève se retire de chez son maître, est-il passible d’une indemnité, quoique le fait soit constaté par le médecin du conseil et par le prud’homme chargé de la surveillance ? – Oui. Le conseil considérant que le chef d’atelier ne peut être lésé dans cette circonstance lui a lésé 200 fr. [2.2]d’indemnité. Dans cette somme seront compris les arriérés de tâches et les avances.

Ainsi jugé entre Lapierre, chef d’atelier, et Chassi, apprenti.

Un ouvrier qui quitte un atelier en devant au boulanger qui servait la maison et à qui le maître avait répondu de la créance, peut-il exiger son livret sans avoir soldé lorsque l’argent lui a été délivré à cet effet et qu’il en a disposé autrement ? – Non. Le conseil considérant que le maître est responsable, attendu qu’on a fait crédit qu’à sa recommandation, condamne le compagnon à présenter son maître entre les mains duquel le livret sera déposé après y avoir inscrit la dette. Pour l’ouvrage qu’il y a de fait sur le métier ; on mettra marque, et lorsque la coupe sera finie, on règlera. S’il n’est rien redû, le livret sera acquitté, sinon le maître inscrira le surplus de sa créance.

Ainsi jugé entre Ferrand, ouvrier, et Brunet, chef d’atelier.

Lorsqu’un élève est faible de constitution, jeune et que de plus la maladie l’empêche de continuer la profession des velours, les engagemens sont-ils résiliés avec indemnité ? – Oui. Le conseil considérant que les maîtres, tant dans leurs intérêts propres que dans ceux de l’humanité, devraient s’abstenir de recevoir des apprentis soit trop jeunes, soit trop faibles pour une partie telle que les velours, a seulement condamné le père à la somme de 50 fr. d’indemnité en résiliant les conventions. M. le président a fait observer aux chefs d’atelier présens à l’audience qu’ils eussent à apporter plus de soins dans le choix de leurs élèves dans cette partie, s’ils ne veulent pas courir les risques d’être victimes de leur négligence.

Ainsi jugé entre Buer, chef d’atelier, et Hugommard, apprenti.

Lorsqu’un élève montre une insubordination marquée, les engagemens sont-ils résiliés avec indemnité ? – Oui. Le conseil considérant que la conduite de l’apprenti est tellement scandaleuse qu’elle tend à troubler l’ordre de la maison, a ordonné la résiliation moyennant 200 fr. d’indemnité. Les billets que le chef d’atelier a entre mains ne seront rendus que lorsqu’il aura touché la somme.

M. le président a fait observer aux chefs d’atelier présens à l’audience, au sujet d’une dévideuse qui réclamait son salaire que lui retenait un maître, attendu qu’il était en arrière ; qu’il était constant que depuis quelque temps des dévideuses ne se faisaient point de scrupule de vendre de la soie et de mettre ainsi les chefs d’atelier dans le cas de payer de la soie. Mais que ces derniers eussent à donner un livre à leur dévideuse, sur lequel sera inscrit la soie donnée et les pesées rendues, et que s’il y a déficit, elles seront passibles du payement.

Que les chefs d’atelier fassent bien attention que sans cette précaution, comme nous leur l’avons déjà fait remarquer dans deux précédens numéros, ils ne sauraient être admis dans leurs réclamations.

AVIS.

Il a été perdu, vendredi 19 juin, un livre de magasin portant le nom de Greppo, chef d’atelier. Ceux qui l’auront trouvé sont priés de le remettre au bureau ou au sieur Greppo, rue du Commerce, n° 27.

INDICATIONS.

Plusieurs métiers à monter en velours, armures, et courans en 400, 600 et 900, de 8, 10, 12 et 15 chemins.
S’adresser au bureau.

DILIGENCES ESPAGNOLES

Depuis 1829, des capitalistes ont eu l’heureuse et lucrative idée de former une compagnie royale des diligences. Les routes que desservent ces voitures sont celles de Perpignan à Madrid en passant par Barcelonne et Valence, de Bayonne à Madrid, par Vittoria et Burgos ; et de Madrid à Séville. Enfin, depuis deux ans, un bateau à vapeur reçoit les voyageurs qui veulent descendre à Cadix par le Guadalquivir, ou remonter ce fleuve jusqu’à Cordoue.

Rien de plus commode ni de mieux approprié au climat [3.1]que ces diligences de la compagnie royale. Des espèces de ventilateurs, des persiennes adaptées aux portières, enfin des ouvertures pratiquées dans les cloisons qui partagent les compartimens de la voiture, garantissent les voyageurs de la poussière et de la chaleur tout à la fois.

Assis à l’aise, et au milieu d’un demi-jour que laissent arriver les jalousies, on voyage, aussi agréablement que possible, par une chaleur de trente degrés, et emporté par huit ou dix mules qui vont comme le vent. On ne rencontre pas, à beaucoup près, les mêmes commodités dans les diligences de France.

Tout comme dans les coches de culleras, le mayoral est assis sur le siége, tenant les rênes, qu’il n’abandonne jamais : à côté de lui se tient le zagal. Celui-ci, pour peu qu’une mule ralentisse son allure, s’élance comme un trait, et, la frappant du bâton noueux de son fouet, accélère le pas de la pauvre bête. L’attelage entier reprend une nouvelle ardeur à ce bruit bien connu qu’accompagne ordinairement un redoublement de reproches à la capitana, à la coronella, etc. C’est là, d’ailleurs, une criaillerie qui ne cesse pas pendant toute la route.

Ce qu’on va dire donnera une idée de la rapidité des diligences espagnoles : un ordre de police défend encore aujourd’hui de voyager la nuit, et cela, disent les affiches municipales, pour la commodité et pour la sûreté des voyageurs (por la seguridad de usted). Des escopeteros ou gardiens, payés par les entrepreneurs de la compagnie royale, escortent leurs diligences. Ils sont quatre ou six, selon les pays ou les époques ; toujours perchés sur l’impériale, ils voyagent armés de poignards, de pistolets et de tromblons. On s’arrête au coucher du soleil, et on repart vers trois ou quatre heures du matin. Néanmoins, au bout de vingt-quatre heures, on a fait autant de chemin qu’une diligence française qui aurait roulé jour et nuit pendant tout ce temps.

Ainsi de Lyon à Paris l’on compte cent vingt lieues environ, que nos voitures publiques parcourent ordinairement en trois jours et trois nuits, tandis que les diligences espagnoles vont en trois jours de Madrid à Bayonne ; or, ces deux villes sont éloignées de cent lieues, et on a couché deux fois en route. Il est vrai que les routes d’Espagne, bien qu’elles n’exigent pas la moitié des travaux qu’occasionne l’entretien des nôtres, sont, en général, plus fermes et plus unies. Cette différence tient à la rareté des pluies et à la moindre activité du charroi. Il faut aussi faire entrer en considération le prix élevé des places dans les diligences espagnoles ; il en coûte de cent dix à cent quinze francs pour faire cent lieues ; notez que dans ce prix ne sont pas compris les frais d’auberges. Ces auberges, dont l’administration a calculé les distances sur les routes, reçoivent des voyageurs moyennant une rétribution de quarante-deux sous pour le déjeûner, et du double pour le dîner et la couchée.

Ces Ventas, ces grandes hôtelleries isolées, qui ont conservé dans leur pureté originelle les mœurs de la vieille Espagne, rappellent, par leur aspect, les scènes si bien décrites dans Don Quichotte : sous la hangard qui règne tout autour de la cour, dorment pêle-mêle les voyageurs mendians qui reçoivent l’hospitalité, les muletiers, les bestiaux avec leurs gardiens. Au milieu de la cour, et bien avant dans la nuit, le mayoral, avec les escopeteros, et quelquefois avec l’hôtelier, fument et boivent gravement autour d’une table. Réunis dans leur chambre, au nombre de six et même davantage, les voyageurs reposent au premier étage, jusqu’à ce que la voix matinale du conducteur vienne les éveiller en criant : Al coche, al coche ! A la voiture, à la voiture ! Il faut alors se lever et repartir.

(Messager de Marseille1).

VARIÉTÉS.

l’ile-barbe.

(Deuxième et dernier article.)

L’Ile-Barbe n’est plus pour nous qu’un tableau pittoresque. Pourtant les fêtes de Pâques et de la Pentecôte qu’on y célèbre chaque année, peuvent nous donner une idée [3.2]de celles qu’on y faisait au moyen-âge. Celles de la Pentecôte surtout y attirent une grande affluence, à cause des beaux jours. Des danses, des jeux, des rafraîchissemens sont offerts à ceux qui débarquent sur l’île, tandis que les chemins qui bordent les deux rives de la Saône sont couverts de promeneurs et de curieux. Les dames, assises sur les quais des Augustins et de Saint-Benoît, forment une guirlande qui charmerait les yeux si ces quais mesquinement étroits n’offraient le spectacle d’un piedestal sans proportion et sans grâce, chargé de fleurs et d’ornemens précieux. Les fêtes de ces deux époques de Pâques et de la Pentecôte durent trois jours ; le premier, on n’y voit que la classe ouvrière de Lyon et les habitans des campagnes ; le deuxième est celui des fashionables du second ordre ; la société de salons s’est emparée du troisième, ou du moins elle y paraît peu les autres jours. Autrefois on y rencontrait à peine un petit nombre d’équipages ; mais depuis quelques années, les jeunes gens moins ambitieux ou moins économes que leurs pères, semblent avoir sacrifié à plus de luxe cette parcimonie ridicule qu’on ne reproche pas sans motif aux négocians de Lyon. D’élégantes voitures, de brillans attelages s’y font remarquer, et de nombreux cavaliers y font parade de quelques jolis chevaux. Un boulevard plus spacieux augmenterait la pompe de ces fêtes et les ferait ressembler à celles de Lonchamps à Paris. La Saône présente aussi, ces jours-là, un tableau tout-à-fait gracieux. Une foule de gondoles tendues d’étoffes bariolées effleurent en tous sens la surface des eaux, tandis que les jeunes gens qui les dirigent chantent des chœurs, ou exécutent des symphonies. Mais ces jours de plaisirs bruyans ne sauraient convenir à l’observateur, soit qu’il aille chercher à l’Ile-Barbe des débris de tombeaux romains ou d’architecture bizantine, soit qu’il vienne y livrer son ame à des méditations plus modernes, à des souvenirs de notre époque.

L’Ile-Barbe d’aujourd’hui est peuplée de jolies maisons de campagne qui ne sont habitées que pendant la belle saison. Des massifs d’arbustes recouvrent les ruines du monastère, et des jardins qui paraissaient assez bien ordonnés, s’étendent sur l’emplacement de l’église de Saint-Loup. Tous ces endroits, devenus propriétés particulières, sont fermés à la curiosité du public qui vient se promener sous les allées de marronniers qui ombragent le côté méridional. Cette partie est le théâtre des jeux, des danses aux jours de fête, le rendez-vous nocturne des amans, et fut plus d’une fois témoin de suicides inspirés par l’amour. On y voyait encore, il y a peu d’années, sur la partie qui est en regard de la rive droite de la Saône, un petit mausolée élevé sur la tombe d’une jeune fille qui s’y noya par suite de désespoir amoureux. Voici ce que m’a raconté à ce sujet un habitant de Saint-Rambert avec lequel je me trouvai à l’Ile-Barbe :

« Elle avait dix-huit ans, de l’esprit, une ame ardente et de la beauté. Son père qui avait acquis de la fortune, l’avait fait élever convenablement et songeait à la marier, lorsqu’un jeune homme qui n’était point originaire du pays la vit, l’aima et lui fit partager la passion qu’il avait conçue pour elle. Dès-lors leurs entrevues devinrent fréquentes, et des sermens dont l’avenir a prouvé la sincérité furent prêtés mutuellement. Le jeune homme dont les vues étaient légitimes, mais qui n’avait pour toute richesse qu’une profession peu relevée quoique honorable, n’hésita pas cependant à demander sa main. Sa proposition fut reçue comme celle d’un homme pauvre qui s’adresse à un parvenu : on le repoussa durement. Le père, dont l’orgueil était irrité de voir déçus des projets de mariage qu’il avait formés pour sa fille, lui retira son affection, et déclara hautement qu’il ne consentirait jamais à cette union.

Déshéritée de la tendresse de son père, exposée aux sarcasmes de sa famille, et pourtant n’ayant pas la force de briser des nœuds plus forts que tous les liens ensemble, cette infortunée ne vit que la mort pour mettre fin à ses maux. Après avoir consacré plusieurs jours à méditer sur ce moment terrible, elle donna rendez-vous à son amant dans le lieu le plus solitaire de l’Ile, renouvela ses sermens, déposa sur ses lèvres le dernier baiser de sa bouche virginale, et lui dit adieu !… Un bruit comme celui d’un fardeau pesant qui tombe dans l’eau se fit entendre… Elle n’était plus !

[4.1]On ne tarda pas à s’apercevoir de sa disparition. Des craintes qui bientôt se changèrent en remords pénétrèrent sinistrement dans l’ame de son père. Ses parens se mirent aussitôt à sa recherche, mais on ne put découvrir aucune trace, obtenir aucun renseignement. On forma mille conjectures et la plus odieuse de toutes fut celle qu’on adopta. Quoique, de tout ce qu’on pouvait imaginer sur le compte du jeune homme, la seule chose raisonnable était de penser qu’il avait fui avec sa maîtresse, on fut plus loin, on l’accusa d’en être l’assassin, et, comme la vengeance n’accueille rien avec autant d’empressement que ce qui semble la satisfaire le plus, on le fit arrêter. Ce malheureux se trouva ainsi exposé à perdre sur l’échafaud une vie qu’il eut donnée mille fois pour celle qu’on l’accusait d’avoir assassinée ; mais trois jours après un cadavre plana sur les flots… c’était celui de la jeune fille. Elle reparut à l’endroit même où elle s’était précipitée et l’on eût dit qu’elle venait témoigner de l’innocence de celui qu’on poursuivait si injustement. Un pêcheur la recueillit dans une barque et la déposa sur l’Ile. Sa main droite reposait sur son cœur et serrait avec force un petit coffret d’ébène qui se trouvait là sous les plis de sa robe. Un médaillon qui renfermait des cheveux et un billet écrit de sa main était tout ce qu’il contenait. Sur le papier on lisait ces mots à demi effacés : On ne peut vivre quand on souffre au cœur… Que deviendras-tu lorsque tu connaîtras mon sort !… Pauvre ami !… Adieu !… Je vais donc mourir !… Priez Dieu pour moi !…

Non loin du lieu où elle avait été déposée on creusa une tombe sur laquelle on ne sait quelle main fit élever un petit mausolée ; mais le clergé de la Restauration a fait disparaître ce monument, et peu de personnes pourraient vous dire qu’il a existé. »

Le soleil se couchait alors derrière la montagne de Saint-Cyr ; la soirée s’annonçait magnifique et j’entrai dans un bateau que la Saône entraîna mollement. Mes regards en s’éloignant parcouraient encore le sîte enchanteur que je venais de quitter ; mais le pont qu’on y a jeté depuis quelques années a détruit une partie du charme que le point de vue offrait de ce côté-là. Ce n’est plus l’Ile-Barbe pittoresquement isolée qu’on découvre ; l’œil se heurte contre un amas de pierres qui la masque, qui la dépare ; tant les ouvrages des hommes sont peu en harmonie avec ceux de la nature ! Livré à mille réflexions, je contemplai tour-à-tour les rians paysages des deux rives, la romanesque tour de la Belle-Allemande qui fut autrefois une dépendance de l’Ile-Barbe et qui porta aussi le nom de Tour-Barbare, les bois de la Roche-Cardon, et le sommet du Mont-d’Or. Puis je reportai, comme pour lui dire adieu, ma pensée vers cette île où de grands souvenirs vivront long-temps.

(lyon vu de fourvière.)

CHRONIQUE.

On lit dans le Censeur du 15 juin :
L’ex-actrice de l’Opéra-Comique, Mad. Boulanger, en rentrant chez elle hier au soir, s’aperçut qu’elle n’avait plus la clé de son appartement. Elle s’imagina l’avoir perdue, fit ouvrir sa porte par un serrurier et la referma. En procédant à sa toilette de nuit, elle vit dans la psyché deux têtes qui sortaient mystérieusement derrière le rideau de son lit et la regardaient avec des yeux ardens. Elle dissimula sa frayeur et continua sa toilette comme si elle n’eût rien remarqué, puis feignant d’avoir besoin de quelque chose, gagna sa salle à manger et de là la loge de son portier auquel elle raconta ce qu’elle avait vu. Bientôt les voisins et la garde entrèrent dans la chambre à coucher où les deux têtes étaient dans une parfaite sécurité ; c’étaient celles de deux hommes armés de poignards et d’un trousseau de fausses clés. Mad. Boulanger reconnut dans l’un d’eux un dandy qui l’avait accostée dans sa promenade et l’avait fatiguée de ses complimens.
Les deux industriels ont été arrêtés.

– On écrit de Gannat (Allier), à la date du 5 juin, qu’une nouvelle inondation plus désastreuse que la première venait de porter ses ravages dans les lieux qui avaient été épargnés. On a eu à déplorer la perte de quelques hommes.

– On écrit de Tulle qu’une grêle d’une grosseur extraordinaire [4.2]est tombée sur plusieurs communes, le 28 mai dernier. Végétaux, animaux, bâtimens, hommes, tout a été frappé, blessé, tué, dégradé ou détruit. Les désastres sont affreux et les pertes considérables.

– On lit dans le Glaneur d’Eure-et-Loire, du 11 juin : Vendredi soir, un violent orage a éclaté sur Chartres et principalement sur quelques communes des environs. La grêle tombait en grande abondance.

– Le Moniteur annonce que le ministre du commerce vient d’accorder de nouveaux secours aux départemens qui ont été ravagés par les dernières inondations. Ces secours s’élèvent à la somme de 38.000 fr.

– On lit dans la Sentinelle des Pyrénées1 : Un assassinat affreux a été commis dans la nuit du 7 au 8 de ce mois, sur la personne de la femme Gracieuse Castera, âgée de 80 ans. Les circonstances en sont effrayantes ; après lui avoir coupé le cou jusqu’aux vertèbres et lui avoir ouvert la tête en deux endroits, les auteurs de l’assassinat ont couvert le corps de la victime de malles et de coffrets ; ils ont enlevé deux caissons qu’on a retrouvés vides.
Deux hommes, fortement soupçonnés d’être les auteurs de ce meurtre, ont été arrêtés.

ANNONCES.

antoine curvat
Fabrique toutes sortes de cordes pour arcades, colets à crochet, lisage, enlaçage et tout ce qui concerne la fabrique de soieries, à des prix modérés.
Rue de Cuires, en face du n° 3, et Grand’rue, n° 7, à la Croix-Rousse.

A vendre, un atelier de pliage bien achalandé.
S’adresser au bureau.

– A vendre, une mécanique longue de 32 guindres, faite par Chatillon.
S’adresser chez M. Favier, rue Casati, n° 1, au 2e.

– A vendre, un métier d’unis, rouleaux, battant et accessoires.
S’adresser au bureau.

– A vendre, ustensiles de lancés ; savoir : 2 remisses de 5/4 60 portées, plusieurs rouleaux 5/4 et 6/4, 3 battans 5/4 et 6/4, 2 tampias en fer 5/4.
S’adresser au bureau.

– A louer de suite, appartement composé de 3 pièces sur le devant, au 2e étage.
Et, un atelier de 4 à 5 métiers de large en lustré, le tout tout neuf et en activité, à vendre en totalité ou séparément. Plus, 2 pliages pour la fabrique, neuf et à engrenage et les accessoires.
S’adresser côte des Carmélites, n° 25, au 2e.

– A vendre, un tour en buis tout neuf plus une mécanique ronde à dévider les trames et à faire les canettes, ayant douze guindres.
S’adresser chez M. Boisson, place Louis XVI, n° 10 aux Brotteaux.

– A vendre, une mécanique en 600, travaillant en 400 en 12 chemins, 600 maillons à 4 trous, plombs de 9 et 12 deniers.
S’adresser à M. Chaudèze, rue Table-Claudienne, n° 7, au 5e.

– On demande une dévideuse à gage.
S’adresser à M. Laporte, rue du Chapeau-Rouge, n° 7, au 3me.

– A vendre, une mécanique en 600, plus une mécanique en 400, travaillant en 8 chemins.
S’adresser au bureau.

Notes (DILIGENCES ESPAGNOLES Depuis 1829, des...)
1 Le messager. Littérature, moeurs, théâtre, publié à Marseille depuis 1826.

Notes (CHRONIQUE.)
1 La Sentinelle de Bayonne, puis Sentinelle des Pyrénées, publié depuis 1832.

 

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique