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5 juillet 1835 - Numéro 42 |
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[1.1]Nous prévenons nos abonnés que notre gérant ne veut plus prendre la responsabilité du journal sans avoir fourni préalablement le cautionnement comme il lui avait été promis ; d’après le nouvel avis qui vient de lui être communiqué, il est urgent de suspendre la publication du journal pour quelque temps. En conséquence, lorsque les promesses seront effectuées, nous reviendrons à notre poste avec plus de sécurité, alors seulement nous ne craindrons plus les rigueurs du parquet, et nous pourrons reprendre la route que nous nous étions tracée.
De la situation des chefs d’atelier de la fabrique. Au moment où la fabrique est prospère, où l’activité est générale, où le commerce, en ouvrant ses trésors, fait entrevoir un plus doux avenir ; pourquoi faut-il que d’aussi flatteuses espérances ne soient pour le chef d’atelier qu’une ombre, une illusion, un rêve que le réveil dissipe ? pourquoi faut-il qu’il ne trouve pour l’ordinaire dans cette amélioration d’affaires, que la cause peut-être de sa ruine, et que l’ambroisie qui lui est présentée se change en un poison lent qui le consume ? C’est ce que nous nous attacherons à démontrer dans cet article. Le chef d’atelier, par sa position, se trouve toujours comme placé entre deux écueils, dont il est presque impossible qu’il évite la profondeur : le négociant et l’ouvrier. Le premier, parfois, tire avantage de sa misère ; le second, parfois aussi, lorsqu’un temps plus prospère lui permettrait de récupérer ses pertes, se trouve l’artisan de sa ruine ; ainsi dans les deux cas il n’est qu’un holocauste destiné à être consumé au profit de l’un des deux. En effet, supposons la fabrique paralysée, et les affaires dans une stagnation accablante ; que devient le chef d’atelier ? Sa position est des plus précaires, ce n’est qu’après bien des courses, des supplications même, qu’il parvient à remonter ses métiers, encore s’il se décide à faire des frais souvent plus conséquent que la façon qu’il a lieu d’espérer, ce n’est que pour conserver des ouvriers sur lesquels il fonde son espoir pour l’avenir, et pouvoir ensuite récupérer ses pertes. Ainsi s’écoule le temps du chômage, ainsi viennent s’engloutir dans ce gouffre (les frais de montage) les économies qu’il avait pu faire. Si du moins ses espérances n’étaient pas déchues, si dans un temps plus prospère les sacrifices qu’il s’impose le dédommageaient de ses privations antérieures ; et si ceux pour lesquels il n’a pas craint de se mettre à la gêne contribuaient par reconnaissance au recouvrement du dommage qu’il a éprouvé ; [1.2]mais le plus souvent il en est autrement, et il a la douleur d’être payé de la plus noire ingratitude. L’étranger quitte-t-il sa patrie pour faire acquisition de nos produits ? à peine a-t-il foulé le sol de notre cité industrielle, que c’est à qui rivalisera pour mériter une préférence, chacun jalouse l’avantage de le satisfaire et l’activité se déploie de toute part. Enfin les échantillons sont goûtés, de fortes commandes succèdent, de nombreux achats sont effectués, et tout fait présager une saison des plus avantageuses. Dans cette hypothèse, bien des personnes étrangères à la fabrique pensent que le maître tisseur jouit sur-le-champ de cette amélioration momentanée ; pour détruire leur erreur, il suffit de mettre sous leurs yeux les causes qui souvent empêchent les chefs d’atelier de participer au bénéfice que leur présente l’avantage d’une hausse de fabrique. En effet, le plus souvent la soierie ne sort de sa léthargie qu’à l’aide des nouveautés dont la ville de Lyon a conservé le monopole, de là des montages de métiers, des frais d’ustensiles, et par-dessus tout, des sacrifices immenses de temps, qu’une suite d’occupation pourrait seule nous faire retrouver, en supposant qu’on ait pu supporter et ces dépenses et cette perte de temps : mais c’est pour l’ordinaire ce qui n’arrive pas. Car le plus souvent, les ouvriers qui dans la baisse étaient en surabondance deviennent très rares ; tel pour qui le maître avait eu des égards ne consent à rester que dans l’espoir d’un bénéfice qu’il lui promet, ou sous la condition qu’il renouvellera des frais qui ne sont point encore recouvrés pour lui monter un article dont il a entendu parler et qui lui paraît devoir être plus avantageux. Tel autre, parce qu’il voit qu’il est indispensable dans un atelier et qu’il est moralement impossible de le remplacer dans un moment de disette d’ouvriers, tend à l’arbitraire ; d’autres, ne se mettant point en peine des frais qui ont été faits pour monter le métier, se contentent de faire des trois quarts de journées, parce que cela suffit à leurs dépenses, sans s’inquiéter si le négociant qui attend pour livrer sa commission s’accommodera du retard volontaire qu’on le force à subir, et si le chef d’atelier ne se trouvera pas quelque fois, par leur négligence, frustré du bénéfice qu’il avait lieu d’espérer eu égard aux frais qu’il s’était imposés. Un chef de famille ne saurait se contenter de tels procédés, parce que sa charge étant beaucoup plus forte que celle d’un ouvrier qui le défrayera, si ce chef d’atelier, par la faute d’un ouvrier, est privé de la continuité de l’ouvrage qui lui avait été promis, comment pourra-t-il renouveler ses frais lorsque les goûts changeront, et qu’il lui faudra remonter ses métiers ? Que les ouvriers ne perdent pas de [2.1]vue qu’ils sont appelés à succéder un jour à celui chez lequel ils travaillent, que les mauvaises coutumes qu’ils propagent dans la fabrique tourneront à leur désavantage, et qu’à leur tour ils seront payés de la même monnaie qu’ils s’efforcent de mettre en circulation. Si certains ouvriers persistent dans leur conduite, sous peu Lyon sera dans la même nécessité que les villes de l’étranger : les maîtres, à force de perdre, arriveront au point d’être dans l’impossibilité de supporter aucuns frais ; alors s’élèveront de grandes fabriques, alors il faudra vieillir avec la triste perspective de traîner dans les ateliers sa femme et ses enfans, et pour ne s’être pas prêtés les uns et les autres un secours mutuel, il faudra supporter les disgrâces et la gêne attachées à ces grands établissemens. Un grand nombre de métiers sont montés, il ne tient qu’à nous d’en déterminer le nombre en faisant que ceux qui fonctionnent rendent ce qu’ils doivent rendre. Qu’une émulation s’engage ; oublions parfois le présent pour porter nos regards dans l’avenir, et nous serons convaincus que si le moment absorbe notre gain par notre faute, les vicissitudes nous attendent lorsque viendra un temps moins prospère. Nous savons qu’il est des ouvriers dont les maîtres n’ont qu’à se louer ; ce n’est pas pour eux que nous avons écrit ces lignes. Qu’ils continuent à bien mériter de la société, et que leur exemple, joint aux avis que nous nous sommes permis de donner, contribuent à faire rentrer en eux-mêmes ceux que la jeunesse égare ; qu’une bonne harmonie règne dans tous les ateliers ; qu’une sympathie douce, aimable, fasse de tous les travailleurs autant de frères qui concourent au bonheur commun ; et notre cité florissante verra reparaître son antique prospérité, et l’abondance attachera de nouveau une fleur à sa couronne.
souscription jacquard. La commission définitive pour l’érection d’un monument à la mémoire de Marie-Joseph Jacquard, a choisi M. Riboud, fabricant, pour son trésorier. Il recevra les souscripteurs tous les jours de quatre à six heures du soir, place de la Comédie, n° 18. Les souscriptions seront également reçues à la bibliothèque du palais Saint-Pierre, de dix heures du matin à deux heures après-midi, par le conservateur, M. Pichard, secrétaire de la commission.
INDICATIONS.
Il a été trouvé un livre d’ouvrier. S’adresser au bureau. – On demande une fille de douze à quatorze ans pour apprentie dans les façonnés ; on lui enseignerait aussi le dévidage. S’adresser chez M. Bénisson, rue Tholozan, n° 7.
CONSEIL DES PRUD’HOMMES.
Audience du 2 juillet. présidence de m. riboud. Sur 23 causes appelées, 2 ont fait défaut, 4 ont été retirées, 3 renvoyées, dont une au lendemain, l’autre au samedi et une à huitaine. Sur 4 qui ont paru sur citation, 2 ont été jugées par défaut. Les autres l’ont été contradictoirement. Dans le dévidage une élève qui gâte de la soie, est-elle passible du payement du déchet qu’elle a occasionné par son fait ? – Oui. Mais dans cette cause, comme l’apprentie n’a pas voulu rentrer chez sa maîtresse, les engagemens ont été résiliés, et la somme de 50 fr. allouée au chef d’atelier, tant à titre d’indemnité que pour payement de la soie qui avait été perdue. L’apprentie ne pourra se replacer qu’en cette qualité. Ainsi jugé entre demoiselle Gonon, maîtresse dévideuse, et demoiselle Alexis Favre, apprentie. Lorsque, par le fait d’une insubordination marquée, un père met dans une maison de correction son fils qu’il avait précédemment placé apprenti, les engagemens sont-ils résiliés ? – Oui ; mais moyennant une indemnité. Le conseil considérant qu’il était de l’intérêt du chef d atelier de se démettre de ses engagemens, attendu la mauvaise conduite de son élève, a résilié les conventions moyennant la somme de 100 fr. Si l’élève sortait de la maison où il est [2.2]pour entrer ailleurs sous un autre titre que celui d’apprenti, le chef d’atelier rentrerait dans la plénitude de ses droits. Ainsi jugé entre Zacharie, chef d’atelier, et Guichard, apprenti. Un chef d’atelier est-il en droit d’exercer une contravention envers un autre chef d’atelier, si l’ouvrière qui est sa débitrice, n’a pas de livret ? – Non. Le conseil considérant que toutes les fois qu’on se met en dehors de la loi on perd toutes les prérogatives dont cette même loi aurait pu vous faire jouir, a annulé la contravention et a donné le conseil au chef d’atelier de faire paraître son ouvrière, de lui faire prendre un livret et de s’inscrire comme premier créancier. Ainsi jugé entre Boulot, Trossard, liseurs, et demoiselle Arnaux demoiselle, liseuse. Un chef d’atelier, qui par suite de sollicitations parvient à détourner une élève de chez sa maîtresse, et que cette dernière l’a fait prendre en contravention, fait constaté par deux témoins, dont la déposition a été légalisée par le maire et l’adjoint de la commune ; le chef d’atelier pris en contravention est-il passible de l’intégralité de la somme portée sur les conventions ? – Oui. De plus, comme il avait fait défaut à une précédente audience, le conseil l’a condamné aux frais. Ainsi jugé entre Mlle Morlon, chef d’atelier, contre Farge, pris en contravention, et Mlle Gratalou, apprentie. Lorsqu’un négociant fait attendre un dessin à un chef d’atelier, et que ce dernier a aussi fait attendre son ouvrier en lui promettant une indemnité, l’ouvrier peut-il appeler en cause le négociant pour réclamer ? – Non. Le conseil considérant que le négociant n’a affaire qu’avec le chef d’atelier, a séparé les deux causes, en renvoyant d’abord au lendemain au greffe l’ouvrier et le maître pour statuer sur l’indemnité demandée. Puis faisant droit à la réclamation du maître vis à vis du négociant, a décidé que ce dernier donnerait à titre d’indemnité, pour dix jours de temps perdu, la somme de 30 f. Ainsi jugé entre Dupéret, ouvrier, Carrier, chef d’atelier, et Dubel, négociant. Un négociant qui ne s’est pas engagé à maintenir un métier, doit-il une indemnité s’il ne le continue pas ? – Non. Néanmoins, le conseil considérant que le chef d’atelier n’avait pas fait l’ouvrage voulu pour équivaloir à ses frais de montage, a décidé que le négociant serait passible de la somme de 26 f. Ainsi jugé entre Veillat, chef d’atelier, et Deyrieux, fabricant. Lorsqu’un chef d’atelier, au mépris de la décision du conseil et du règlement fait par les arbitres, ne paye pas ses ouvriers lorsqu’ils se présentent, et les oblige à renouveler leurs frais et à perdre du temps pour se rendre à l’audience, est-il passible et des trais et du temps perdu ? – Oui. Le conseil a décidé que le sieur Coppier, maître indienneur, payerait aux sieurs Glaise, Doffos et Delacroix, la somme de 54 f. 52 c. pour défrayement et frais, à se répartir entre eux ; et qu’au sujet de la somme due, la conciliation passait en force de jugement.
Pour répondre à notre correspondant et pour éclairer les chefs d’atelier sur un point qui peut parfois les embarrasser, nous dirons au sujet des tâches qu’elles ont toujours été fixées, n’importe l’article, aux deux tiers de la journée que peut faire un ouvrier ordinaire. Un tableau a été fait et approuvé par le conseil pour fixer les tâches dans les étoffes unies ; nous nous proposons de le soumettre à nos lecteurs dans notre prochain numéro. Dans le suivant, après enquête faite, nous dresserons les tâches des étoffes façonnées, courans et lancés ; mais pour les articles de goût il serait impossible de la déterminer, attendu que ce genre varie toutes les saisons ; on peut en toute sûreté s’en tenir à ce que nous avons dit plus haut, qui est les deux tiers de la journée ordinaire.
C’est avec peine que nous nous sommes aperçus que quelques négocians mettent une très grande négligence au renvoi des livrets des chefs d’atelier à la caisse lorsqu’ils cessent de travailler pour eux. Afin que les maîtres ne croient pas que cela peut provenir de la négligence des employés de cette administration, nous nous ferons un devoir de transcrire la circulaire que la commission adresse aux négocians possesseurs des livrets des maîtres emprunteurs à la caisse. Puisse cet avertissement être compris, et les chefs d’atelier cesser d’être victimes d’une telle négligence.
La Commission exécutive de la Caisse de prêts, à MM. les Fabricans d’étoffes de soie de la ville de Lyon. [3.1]Messieurs, La Commission a l’honneur de rappeler à votre souvenir le renvoi immédiat du livret du chef d’atelier dès l’instant où vous cessez de l’occuper ; ce renvoi immédiat est d’une importance générale, en ce que l’ouvrier qui cesse de travailler pour un fabricant se trouve nécessairement dans le cas de chercher à placer son métier chez un autre, celui-ci ayant besoin du métier qu’on vient lui offrir, ne peut et ne doit l’occuper légalement sans la remise du livret, de sorte que ce dernier l’exigeant, et le fabricant pour qui il a cessé ne le rendant pas, le chef d’atelier peut être ajourné, renvoyé même, si le transfert du livret se fait trop lentement ; ce qui par là, le prive de travail et lui fait perdre un temps précieux. Elle vous rappelle donc à ce sujet le Post-scriptum qui se trouve au bas des lettres d’envoi de son agent comptable et qui est ainsi conçu : « Vous voudrez bien me faire remettre ledit livret lorsque vous cesserez d’occuper le sieur … Je vous rendrai votre reçu. » Nota. Les lundi et mardi de chaque semaine, de 10 à 2 heures, sont réservés à MM. les fabricans pour leur remettre les livrets des métiers qu’ils prennent. Les huitièmes et les livrets des ouvriers qu’ils soldent se reçoivent aux mêmes heures tous les jours. Le transfert des livrets ne se fait par l’entremise du chef d’atelier que le jour où il contracte son emprunt, ne pouvant toucher la somme qui lui est allouée qu’en rapportant les reçus des livrets, signés de chaque fabricant qui l’occupe ; hors ce cas, MM. les fabricans sont invités à les faire prendre et rendre à la caisse à chaque mutation qu’ils éprouvent, à l’égard des ouvriers dont les livret sont chargés. Le Président de la Commission exécutive de la Caisse de prêts, gamot.
VARIÉTÉS.
CINQ-MARS ET DE THOU. Circonstances relatives à leur exécution à Lyon en l’an 1642. Le mercredi, 3 septembre de l’année 1642, vers le coup de midi, le bruit des cloches mêlé au bruit du canon, annonçait aux habitans de Lyon l’arrivée d’un grand personnage. Richelieu y était attendu ; Richelieu ; le ministre du roi Louis XIII ; Richelieu, le roi lui-même. C’était un spectacle imposant que l’arrivée de cet homme, tenant sa double puissance de l’autel et du trône. Aussi le peuple courait, la foule grossissait et débordait comme un torrent dans la longue rue du faubourg de la Guillotière, et sur le pont de ce nom ; les rues, les quais, les places, tout était encombré. Aujourd’hui, on allait au-devant du ministre ; le lendemain ; on devait aller voir passer ses deux victimes. Tout est spectacle pour le peuple ! Une conspiration contre Louis XIII venait d’être éventée par Richelieu ; la reine, Gaston1, frère du roi, et plusieurs seigneurs s’y trouvaient compromis. Parmi les principaux meneurs étaient deux hommes remarquables par les qualités de l’esprit et du cœur, et par l’illustration de leur naissance, MM. Cinq-Mars et de Thou, liés tous deux dès long-temps par une étroite amitié. Le premier, ardent, ambitieux, mais plein de verve et d’entraînement, avait usé de tout son crédit pour conclure avec l’Espagne, par l’entremise de M. Fontrailles2, un traité d’alliance secrète. Il se croyait sûr du succès, ignorant que si le mécontentement fait des conjurés, la soif de l’or fait des traîtres. Mais le ministre, instruit à temps, déjoua tous ses projets, fit arrêter les conjurés, les traîna insolemment à sa suite de Montpellier à Valence, et non content, les devança à Lyon de vingt-quatre heures afin de hâter leur exécution. Richelieu, malade et vieux, incapable de supporter les mouvemens de la voiture, arrivait donc à Lyon dans une chambrette improvisée pour lui à Valence, et dans laquelle, dit-on, un secrétaire et lui pouvaient tenir à l’aise. Ce palanquin, d’une forme toute nouvelle, était incessamment porté par huit hommes, qui se relevaient de lieue en lieue. Dès son arrivée, le ministre reçut en audience particulière le chancelier Seguier3, ennemi juré de Cinq-Mars, et quelques autres personnages qui devaient décider de son sort. Il fut convenu que l’instruction serait commencée immédiatement après la translation des prévenus à Lyon ; [3.2]enfin, l’on s’y prit de manière à terminer le procès au plus vite ; sans doute dans la crainte que la pitié du roi n’allât jusqu’à faire grâce au jeune Cinq-Mars, qu’il avait comblé, depuis trois ans, d’honneurs et de biens. Le 4 septembre donc, à deux heures après midi, Cinq-Mars de Ruzé, marquis d’Effiat et grand écuyer du roi, et le conseiller de Thou4 arrivèrent par eau, avec une escorte de six cents hommes d’armes, jusqu’au rocher de Pierre-en-Scize où ils devaient être renfermés. Le peuple, plus nombreux et plus curieux que la veille, les attendait en foule sur la rive et se précipitait sur leur passage pour les voir de plus près. On eût dit qu’il pressentait leur mort prochaine et cherchait à graver dans sa mémoire le souvenir de leurs traits, afin de dire plus tard : et moi aussi je les ai vus. MM. de Cinq-Mars et de Thou conduits à la forteresse de Pierre-Scize, l’instruction de leur procès commença dès le lendemain. Le château de Pierre-Scize, autrefois siège du pouvoir sacerdotal, était devenu prison d’état sous Louis XIII. De noires murailles entourées de bosquets, des tours bizarrement dessinées formaient avec la forteresse de l’autre côté de la rivière, une masse imposante de fortifications qui se reflétaient dans la Saône. C’est là que, durant huit jours, les prisonniers se préparèrent, par la prière, à une mort qu’ils attendaient avec résignation. Pendant l’instruction du procès, Cinq-Mars, condamné à subir la question, témoigna avec horreur son étonnement de ce qu’un homme de son rang qui n’avait rien dissimulé, fut soumis à cette cruelle formalité. Le père Malavalette, son confesseur, le rassura, et lui dit qu’il avait obtenu qu’on le présenterait seulement à la question mais n’y serait point appliqué. Quant à de Thou, victime dévouée, soupçonné d’avoir été le confident intime des conjurés, mais jugé moins dangereux, fut traité avec assez d’égards et seulement condamné à mort sans être menacé de la question. Sa sentence fut exécutée avec celle de Cinq-Mars le 12 septembre 1642, peu d’heures après le départ du cardinal-ministre. Cinq-Mars était alors âgé de 22 ans ; de Thou en avait 37. Tout le monde pleura ce dernier qui périssait pour n’avoir pas voulu dénoncer son meilleur ami, et qui ayant su le traité d’Espagne de la bouche de la reine ne compromit jamais cette princesse dans ses réponses. Ainsi sans la haine du cardinal et sans les aveux de Gaston, frère du roi, qui pour obtenir sa grâce, dénonça Cinq-Mars, il était impossible de condamner à mort deux hommes dont la vie jusque-là avait toujours été sans reproche et qui n’avaient d’autre tort que de s’être avancés pour faire ce que tout français désirait. Voici ce que rapporte, au sujet de la mort de MM. de Cinq-Mars et de Thou, un manuscrit intitulé : Particularités remarquées en la mort de MM. de Cinq-Mars et de Thou, et publié en 1666 dans un recueil fort rare aujourd’hui, qui a pour titre : Les histoires tragiques de notre temps5. Nous nous renfermerons dans les termes de ce précis toutes les fois que le style en sera clair pour tous, mais nous le traduirons toujours fidèlement. « Le vendredi, 12 septembre, sur les trois heures (et non pas à midi comme le prétend M. Alfred de Vigny6) on amena MM. de Cinq-Mars et de Thou dans un carrosse de louage sur la place des Terreaux, bien différente de ce qu’elle est aujourd’hui et où n’existaient ni l’Hôtel-de-Ville, ni le palais Saint-Pierre. M. de Cinq-Mars descendit le premier et salua civilement ceux qui étaient près de l’échafaud ; après il se couvrit et monta lestement l’échelle. Au second échelon un archer du Prévost s’avança à cheval et lui ôta son chapeau par derrière. Cette action fit brusquement retourner Cinq-Mars : « laissez-moi mon chapeau, dit-il. » Le prévost qui était près de là prit le chapeau des mains de l’archer et le rendit à Cinq-Mars qui continua de monter courageusement. Arrivé sur l’échafaud, il y fit un tour comme sur un théâtre, puis s’arrêta et salua avec grâce pour la seconde fois, après quoi il avança un pied, mit la main sur le côté, et dans une attitude noble, attendit son confesseur. » On a prétendu que le courage de Cinq-Mars avait été ébranlé, ceci prouverait le contraire, car assurément l’homme qui craint la mort ne la regarde pas avec tant d’indifférence. [4.1]Sur l’invitation de son confesseur, Cinq-Mars fit plusieurs actes d’amour de Dieu. Puis il se mit à genoux pour recevoir l’absolution et alla immédiatement se placer devant le bloc, disant : Est-ce ici qu’il faut me mettre, mon père ? Il essaya son col en l’appliquant sur le pouteau, puis s’étant relevé, il se mit en devoir de se déshabiller : Mon père, aidez-moi, je vous prie, ajouta-t-il ; et le père et son compagnon lui aydèrent à oster son pourpoint ; il garda ses gants que l’exécuteur lui osta après sa mort ; puis ayant baisé le crucifix, il s’alla jeter de bonne grâce à genoux dessus le bloc, embrassa le pouteau, mit son col dessus et demanda : Mon père, suis-je bien ? L’exécuteur s’approcha avec des ciseaux, mais M. de Cinq-Mars les lui osta, ne voulant point se laisser toucher, et, les yeux baissés, les remit au religieux : Mon père, rendez-moi ce dernier service, coupez-moi les cheveux. Le père prit alors les ciseaux et les remit à son compagnon qui coupa les cheveux au patient. Cette opération achevée, Cinq-Mars releva coquettement sa chevelure de devant. Dans ce moment le bourreau s’étant avancé, il lui fit signe de la main de se retirer, prit le crucifix, le baisa derechef, et, l’ayant rendu, s’agenouilla pour la seconde fois devant le bloc. « Puis, apercevant un homme, qui estoit en grand maîstre, il lui dit : Monsieur, dites, je vous prie, à M. de la Meilleraye7 que je suis son très humble serviteur ; puis il le salua. Dites-lui de prier pour moi. Dans cet instant l’exécuteur vint par derrière avec ses ciseaux pour lui découdre son col qu’il fit passer par dessus la tête. Ensuite il abaissa lui-même sa chemise, découvrit sa poitrine, et passant ses mains autour du pouteau qui lui servoit d’accoudoir, il fit un acte de contrition à haute voix ; et se retournant devers l’exécuteur qui étoit debout, n’ayant pas encore tiré son couperet d’un méchant sac, il lui dit : Eh bien ! qu’attends-tu ? Alors il rappela son confesseur, lui demandant de prier pour lui, pendant quoi l’exécuteur tira de son sac un couperet fait comme ceux des bouchers. » Il faut mourir, dit alors Cinq-Mars, levant les yeux au ciel, mon Dieu, ayez pitié de moi ! et sans avoir les yeux bandés, attendit avec courage le coup qui devait le frapper… Bientôt il jeta un cri qui fut étouffé dans son sang, fit un mouvement convulsif comme pour se relever, mais la mort l’avait saisi, il retomba. L’exécuteur acheva alors de lui couper la tête qui n’était pas encore entièrement séparée. Tout fut fini… Le corps de Cinq-Mars était resté droit contre le pouteau qu’il tenait convulsivement embrassé ; l’exécuteur l’en détacha et le recouvrit ainsi que la tête avec le manteau du supplicié. « Ce fut, dit l’histoire, une merveille de voir le bourreau ne montrer aucune émotion ny aulcun trouble, et témoigner une si grande fermeté que chacun fust dans l’étonnement. » « M. de Cinq-Mars étant mort, on leva la portière du carosse où M. de Thou estait resté ; il en descendit le visage riant, et ayant salué fort civilement ceux qui estoient auprès, il monta vite et lestement sur l’échafaud, ayant son manteau plié sur le bras droit ; puis il courut vers l’exécuteur qu’il embrassa, et se tournant sur le devant de l’échafaud, salua tout le monde et jeta son chapeau derrière lui. De là, se tournant vers son confesseur, il lui dit d’une grandeur : Mon père, montrez-moi le chemin que je dois tenir pour aller au ciel. Il s’agenouilla, reçut l’absolution, et dit d’une voix très vive et très haute qui permit à tout le monde de l’entendre : Je ne conserve aucun ressentiment pour ceux qui m’envoient à la mort, au contraire, je les aime de tout mon cœur, Dieu le sait ! Lorsque l’exécuteur s’approcha avec ses ciseaux, l’ecclésiastique les prit comme il avait fait pour Cinq-Mars mais M. de Thou lui dit : Croyez-vous que je craigne cet homme, et n’avez-vous point vu que je l’ai embrassé ? Tiens mon ami, fais ton devoir, coupe-moi les cheveux. Mais comme celui-ci était maladroit et lourd, le père fit terminer l’opération par son assistant. De Thou eut constamment les yeux au ciel, et l’on voyait qu’il priait avec ferveur. « Ses cheveux étant coupés, il se mit sur le bloc et fist, de soy-même, une offrande à Dieu. Puis il demanda à tous un Pater et un Ave, baisa le Christ et désira avoir les médailles pour gagner les indulgences. Mon père, ajouta-t-il : Ne veut-on me bander ? On lui répondit qu’il en serait à sa volonté. Oui, fist-il en souriant, bandez-moi, [4.2]je suis poltron, je l’avoue. Il fouilla dans sa pochette et n’y trouvant point de mouchoir il en demanda un, on lui en jeta plusieurs, il remercia avec politesse, on lui banda les yeux. Il mit aussitôt le col sur le pouteau dont un frère jésuite avait essuyé le sang. On lui dénoua les cordons de sa chemise, et il prononça pour dernière prière, Mater Maria, etc. Pour lors, il fut saisi d’un violent tremblement, le bourreau leva les bras, la hache tomba, mais si maladroitement, que la tête ne fut coupée qu’à moitié, le corps tomba à la renverse et il y eut là, pendant un moment, un horrible spectacle et des cris déchirans… Ainsi finirent deux hommes, grands par leur naissance et distingué par leur mérite personnel. Encore cette fois, Richelieu mit sous ses pieds ses plus dangereux ennemis, et sa puissance, en s’agrandissant, devint de plus en plus absolue. Louis XIII, réduit à traîner tristement une existence flétrie, attendait, en souverain soumis, les ordres de son premier ministre qui, jalousé par tous les courtisans, luttait toujours, malgré ses infirmités et son âge, avec une supériorité qu’il devait à son adroite politique et à la finesse de son caractère dominateur. L’exécution de Cinq-Mars fut un fleuron de plus ajouté à sa couronne d’iniquité. Dès qu’il le sut condamné, il quitta Lyon non sans avoir ordonné les préparatifs du supplice. Après sa mort, le corps de Cinq-Mars fut porté dans l’église des Feuillans, et enterré devant le grand autel. Celui de De Thou fut mis dans un cercueil de plomb pour être porté dans le lieu de sépulcre de sa famille. Quelques historiens ont ajouté des circonstances particulières à la mort de ces deux amis, mais d’une part, elles ne sont appuyées sur rien ; de l’autre, elles ont été démenties, ce qui permet au moins de les garder comme douteuses. (lyon vu de fourvière.)
ANNONCES.
– Christophe Antoine, pédicure, rue du Palais-Grillet, n° 1, au 2e, près la rue Tupin, à Lyon. – A vendre, deux métiers complets en 600, 800, maillons à 3 trous, avec les accessoires. S’adresser chez veuve Bapaille, rue du Bas-d’Argent, n° 25, allée Dumet, au 4e. – A vendre, un superbe atelier, le tout ou en partie, composé de 10 métiers travaillant en différens genres, dont 8 mécaniques en 900, 2 en 1 000 ; plus, une quinzaine de mécaniques de rechange, avec cent mille maillons de différentes qualités et plusieurs ustensiles. On vendra également le lit des ouvriers. Ou pourrait au besoin céder la location. S’adresser à M. Bouillon, rue Tables-Claudiennes, n° 10, au 2e. – A vendre, 2 ou 3 métiers 6/4 au 1/4, mécaniques en 1 500, avec tous les accessoires. Il faudrait que l’acquéreur prit la suite de la location. S’adresser au bureau. – A vendre, un grand atelier de 15 métiers façonnés et unis, ainsi que tous les accessoires ; 14 mécaniques en 800, 600 et 400, travaillant en différens genres. On céderait à volonté la suite de la location. S’adresser au bureau. – A vendre ou à louer, pour cause de santé, un atelier de pliage très achalandé. S’adresser au bureau. – On désire trouver une personne connaissant bien le pliage de la soie, pour l’établir dans un atelier très achalandé, qui se compose de deux pliages et d’un métier de fabrique. S’adresser au bureau. A vendre un atelier de pliage bien achalandé. S’adresser au bureau. – A vendre, un atelier de 4 métiers travaillant en façonnés, 3 mécaniques 600, une 400, plus une mécanique ronde propre au dévidage et au cannetage. L’acquéreur pourrait prendre à volonté la suite de la location. S’adresser chez Mme Ve Bimet, rue Dumenge, n° 8, au 1er.
Notes (VARIÉTÉS.)
Il s’agit de Gaston d’Orléans (1608-1160), frère de Louis XIII. Mention ici de Louis d’Astarac, vicomte de Fontrailles (1605-1677). Il s’agit ici du magistrat et homme politique Pierre Séguier (1588-1672). Accusé de comploter avec les Espagnols, contre Richelieu et le roi et d’intriguer en faveur de Gaston d’Orléans, Henri Coiffier de Ruzé (1620-1642) et François Auguste de Thou (1607-1642) furent exécutés à Lyon. Référence probable ici à l’une des éditions (1665) de Les Histoires tragiques de notre temps, publié par François de Rosset (1571-1630 ?). Référence ici à l’ouvrage d’Alfred de Vigny (1797-1863), Cinq Mars ou Une conjuration sous Louis XIII (1826). Charles de la Porte (1602-1664), duc de la Meilleraye, maréchal de France sous Louis XIII.
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