L'Echo de la Fabrique : 11 août 1835 - Numéro 1

M. SAUZET1 ET LES OUVRIERS DE LYON.

M. Anselme Petetin, que la presse lyonnaise doit regretter éternellement, répondant à M. Bouvery sur la question de l'introduction des machines dans l'industrie, lui disait entr'autres paroles remarquables : « Pour obvier au malaise de l'industrie, il faut premièrement que le pouvoir se corrige de ses passions de parti.... il faut, en second lieu, qu'il devienne le résumé de tous les intérêts et de toutes les capacités du pays....., tout cela se fera quand le gouvernement sera peuple et non pas aristocrate ; tout cela se fera, quand le pouvoir n'aura d'autres intérêts que les intérêts des masses, d'autres passions que les sympathies nationales. — Quand M. Bouvery, par exemple, représentera la population ouvrière, au lieu de M. Fulchiron, etc. » V. Echo de la Fabrique, 1832, 47.

Nous sommes à même, aujourd'hui, de faire une application directe du principe professé par l'ancien rédacteur en chef du Précurseur.

La Tribune Prolétaire, sous la foi du Courrier de Lyon et des autres journaux, a annoncé la nouvelle suivante :

23. Une commande de 500,000 f. vient d'être faite à la fabrique de soieries de Lyon par la liste civile.

24. Nous apprenons que par les sollicitations de M. Sauzet, député, cette commande a été réduite à la moitié, par décision du 1er du courant ; les autres 250,000 f. seront consacrés à venir au secours des propriétaires, victimes des événements d’avril.

Ce qui prouve, soit dit en passant, la nécessité d’un journal spécialement consacré aux intérêts de la classe ouvrière, c’est que aucune feuille politique, du nombre même de celles qui partagent l’opinion républicaine, n’a élevé la voix en faveur des ouvriers en soie de Lyon, et contre l’inconvenance, pour ne pas dire plus, commise à leur égard. Il ne nous était pas permis, alors, de la signaler cette inconvenance, quoique nous l’ayons [2.1]vivement ressentie ; nous nous sommes tûs : aujourd'hui, nous pouvons parler.

Le don fait par la liste civile à la fabrique de soieries de Lyon, lui était acquis ; on l'a insulté gravement, en lui ôtant le lendemain ce qu'on lui avait donné la veille. Eh ! comment, la liste civile, riche de douze millions, ne pouvait trouver ailleurs les 250,000 f. qu'il lui plaisait, si tardivement, d'accorder, à tître de secours, non pas à toutes les victimes des événements d'avril ; non pas aux veuves, aux orphelins, aux ouvriers, dont le modeste ménage a été détruit, mais aux propriétaires ; dont le malheur, quelque grand qu'il soit, ne saurait égaler celui du prolétaire réduit à la mendicité. Pourquoi cette avanie gratuite ? Serait-ce pour prouver aux ouvriers de Lyon que depuis les journées d'avril, on ne les craint plus. Ne cherchons pas de motifs à un acte aussi odieux, peut-être n’a-t-il été qu’irréfléchi : nous aimons à le croire ; mais occupons-nous de la moralité qui en résulte.

C'est aux sollicitations de M. Sauzet, député, que ce secours de 250,000 f., accordé aux propriétaires, victimes d'avril, est dû. Sans doute, M. Sauzet a été étranger à la détermination prise par la liste civile, de prélever ces 250,000 f. sur un fonds qui avait déjà reçu sa destination, et partant, devait être sacré pour elle. M. Sauzet a sollicité : Ne disons rien de ce rôle de solliciteur qui ravale le député au niveau d'un courtisan. M. Sauzet, comme homme politique, est jugé ; il sera peut-être ministre, voilà tout. Ne nous occupons de lui que dans cette circonstance ; il a sollicité : Pour qui ? on le voit desuite ; il a sollicité pour ses commettants, et M. Sauzet n'est pas l'élu de la classe ouvrière ; par sa profession, par sa fortune, par ses alliances, il appartient à la classe privilégiée. M. Sauzet, avocat et propriétaire, est l’élu des hommes du privilége et de la propriété ; il n'a que faire de s'enquérir de la classe ouvrière, il n'attend rien d'elle ; il ne lui a rien promis, ni rien demandé. De quoi se plaint-on ?—Oh ! nous ne nous plaignons pas de M. Sauzet ; il ne pouvait, dans le milieu où il s'est posé, agir autrement. — Mais nous le demandons à tout homme de bonne foi : Les intérêts de la classe ouvrière lyonnaise ont-ils été défendus, en cette circonstance ; évidemment non : et pourquoi ? — C'est que MM. Fulchiron, Sauzet, Jars et consors sont censés représenter la ville de Lyon, tandis qu'ils ne représentent que leurs électeurs, et leurs électeurs ne sont pas les prolétaires. C’est que, à leur retour dans leurs foyers, MM. Fulchiron, Sauzet, Jars et consors dînent à la Préfecture et hantent les salons de l'aristocratie noble ou financière de Bellecour ou les Terreaux, peu importe.

Quelle différence, si, comme le disait M. Petetin, la classe ouvrière était représentée par un des siens, par un homme qui, au retour d'une session laborieuse, viendrait retremper son patriotisme dans le modeste atelier d'où ses confrères l'auraient fait sortir un moment, pour y rentrer avec la seule récompense d'avoir bien mérité de la patrie.

Une leçon est donnée au peuple ouvrier : voilà qui, selon nous, prouve, d'une manière irrécusable, le vice de la représentation actuelle, et la nécessité d'y apporter, le plutôt qu'il sera possible, un changement que sollicitent la justice et nos mœurs, et qui nous mettra, pour toujours, à l'abri de secousses violentes ; car la tribune publique, on l'a dit avant nous, est la soupape de sûreté du gouvernement.

L'enseignement qui résulte de ce que nous venons de dire ne doit donc pas être perdu, et c'est ainsi que les fautes mêmes des adversaires de l'émancipation de la classe ouvrière, tournent au profit de cette dernière. Il suffit que la presse, sentinelle vigilante, ne les laisse jamais passer sans en tirer le profit naturel pour ses doctrines. La liste civile, cédant aux sollicitations de M. Sauzet, et enlevant 250,000 f. qu'elle avait donné aux ouvriers de Lyon, pour les repartir aux clients de l’avocat-député, est le meilleur argument que nous puissions avoir pour demander l’admission des prolétaires à la représentation nationale. Ce sera notre réponse péremptoire à ceux qui nous accuseront de calomnier les pouvoirs de l’état et de ne pas nous en rapporter à eux pour le soulagement des classes souffrantes.

Notes de base de page numériques:

1 Il est fait référence ici au député du 1er arrondissement de Lyon, Paul Jean Sauzet (1809-1876), qui sera quelques mois plus tard ministre de la justice et des cultes du premier gouvernement Thiers.

 

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