L'Echo de la Fabrique : 1 septembre 1835 - Numéro 2

Notice biographique sur M. Trélat,

médecin, et l'un des défenseurs des accusés d?avril.

Ulysse Trélat, décoré de juillet, docteur en médecine, professeur d'hygiène à l'Athénée de Paris, rédacteur en chef du journal le Patriote du Puy-de-Dôme, officier de la garde nationale de Clermont-Ferrand, est né en l'an IV de la république, à Montargis, (Loiret), où son père était notaire. Ayant perdu sa mère avant d'avoir atteint sa dixième année, son père le confia aux soins d'un de ses parents, rnédecin honorablement connu à Macon. Le jeune Trélat suivit, comme externe, les cours du collége de cette ville ; à seize ans, il termina ses études classiques, et obtint, à la fin de sa seconde année de rhétorique, six premiers prix.

En 1813, époque où la fortune de Napoléon devint chancelante, Ulysse Trélat s'offrit comme chirurgien ; il fut attaché en qualité d?aide-major, à l'hôpital militaire de Metz. Au milieu de fatigues innombrables, atteint du typhus, qui moissonna, à cette époque, des milliers de victimes, Trélat, malgré, la faiblesse de sa constitution physique, échappa à une mort presque certaine. L'énergie morale suppléa en lui, à la force physique.

Trélat refusa de servir les Bourbons et renonça à son grade dans la chirurgie militaire, pour s'asseoir de nouveau sur les bancs de l'enseignement médical ; mais dans les cent jours, l'étudiant patriote prit rang parmi les canonniers volontaires de Paris et ne quitta les retranchements de Belleville qu'avec les derniers des fédérés.

L'école de médecine de Paris le compta une seconde fois parmi ses élèves. Il obtint au concours la place d'interne à l?hospice de Charenton. Voilà pour sa vie privée ; passons à sa vie publique.

Le docteur Trélat fut un des premiers membres de la loge des Amis de la Vérité, rendez-vous de la jeunesse des grandes écoles et du commerce de Paris. Là, il eût pour frère le fils du maréchal Lannes, le duc de Montebello1, qui depuis.......

En 1820, Trélat prit part aux luttes qui s'engagèrent entre les gardes du corps et les étudiants ; luttes connues sous le nom de Troubles de Juin 1820, et qui se terminèrent par le meurtre de Lallemand, fusillé par derrière par un caporal de la garde royale. On connait la cause de ces troubles : les étudiants étaient accourus au secours des députés Benjamin Constant, Chauvelin2 et autres, exposés à des voies de fait de la part des gardes du corps déguisés en bourgeois.

Au mois d'août de 1a même année, Trélat fit partie d?une organisation militaire, formée secrètement au sein de la jeunesse parisienne, sous le nom de Compagnies Franches des Écoles et du Commerce.

Trélat allait être nommé, par le crédit de son père notaire de la maison d'Orléans, chirurgien-major des dragons de la garde royale ; mais il ne crut pas devoir accepter une commission de service d?un gouvernement, au renversement duquel il était résolu de travailler.

En 1821, la Charbonnerie Française fut fondée à Paris par sept étudiants ; Trélat fut un des trente premiers membres. D?abord simple carbonaro, il obtint en peu de mois, de ses camarades, le titre de député de la vente centrale, ce fut le dix aout. Peu de temps après, il fut nommé membre de la haute vente de Paris.

Trélat avait concouru, d?une manière active, au complot de Béfort. L?insuccès le compromit gravement : un mandat de comparution fut décerné contre lui par le juge d?instruction Desmortiers, aujourd?hui procureur du roi. Pour s?y soustraire, il fut obligé de donner sa démission, et il perdit ainsi une position acquise par des études longues et laborieuses.

La vente suprême confia à Trélat la mission de propager et diriger la charbonnerie dans les départements. Il devint, à partir du 15 janvier 1822, l?un des commissaires généraux de la vente suprême auprès des autres ventes départementales. Il visita, en cette qualité, le département de la Somme, de l?Aisne, de la Marne, de Seine-et-Marne, de l?Yonne, de la Côte d?Or, du Rhône, et plus tard, ceux de la Vienne, des Deux-Sèvres, de la Charente-Inférieure, de la Vendée et de la Loire-Inférieure. C?est à Laon, en 1822, que Trélat reçut de Kersausie3, alors lieutenant au 4e hussards, le serment de haine à la royauté. A Poitiers, à Niort, à Fontenay-le-Peuple, à la Rochelle, à Rochefort, Trélat sentit battre sur sa poitrine les nobles c?urs de Bories, Pommier, Raoulx, Goubin, Berton4, Caffé, Saugé, Jaglin5 et de tant d?autres citoyens. Barthe et Merilhou6 fraternisèrent aussi avec lui au milieu des ventes parisiennes. Trélat fut chargé de suivre à Poitiers les détails du procès du général Berton7; il ne put parvenir à soustraire à l?échafaud le seul officier-général qui, avant 1830, ait osé relever l?étendard national. Le matin même du jour fatal, il l?espérait encore, et ce ne fut pas sa faute.

Les deux Lafayette, Dupont (de l?Eure), d?Argenson, Beausejour, Corcelles et Koëchlin (l?aîné), furent les seuls députés qui s?associèrent à la pensée républicaine les fondateurs de la Charbonnerie Française. L?introduction du parti dit libéral dans cette société en fut l?anéantissement. La Charbonnerie cessa d?être républicaine ; trois mois plus tard, elle cessa d?exister.

En 1827 la société Aide-toi, le ciel t?aidera fut fondée par Trélat et soixante charbonniers. A cette même époque un plus grand nombre d?anciens complices de Berton ; de Caron, de Vallée et des quatre sergents organisèrent à Paris un système municipal occulte destiné à attaquer de haute-lutte le gouvernement de Charles X, souillé du sang du peuple, dans les rues St-Denis et St-Martin. Trélat fut élu membre de la commune centrale de Paris.

Les 27, 28 et 29 juillet 1830, Trélat combattit dans les rangs des prolétaires. Le 30, la société des Amis du peuple le nomma l?un de ses commissaires auprès du gouvernement provisoire : Trélat protesta contre l?érection d?un trône nouveau.

Trélat remplaça au fauteuil de la présidence de cette même société, le citoyen Hubert ; il fut réélu onze fois de suite.

Nommé chirurgien-major de la 3e légion de la garde nationale parisienne dans les premiers jours d'août 1830, Trélat préfèra faire le service de simple artilleur à la 3e batterie. Un procès lui fut intenté à cette époque, ainsi qu'à ses amis Cavaignac, Guinard et autres : le jury acquitta ces patriotes ; mais l'artillerie parisienne fut désorganisée.

En 1832, le choléra sévit à Paris. Trélat se consacra au bien public ; il renonça à sa clientelle pour accepter une mission gratuite dans l?une des parties de la capitale la plus exposée aux ravages de ce fléau, les fauxbourgs Montmartre et Poissonnière. Dans Trélat, le médecin se montra l?émule du président des Amis du peuple. Quand le fléau eût disparu, Trélat se disposa à partir pour Clermont-Ferrand ; plusieurs mères de famille l'accompagnèrent et lui présentèrent en pleurant un bouquet : Et si le choléra revient, lui dit l?une d?elles toute en larmes ? Eh bien ! bonne mère, reprit Trélat, je reviendrai aussi. L'administration municipale du 3e arrondissement crut devoir au docteur Trélat l?honneur de remercîments officiels, et lui fit des offres avantageuses pour le retenir à Paris. Trélat aima mieux se rendre à Clermont-Ferrand pour rédiger le Patriote du Puy-de-Dôme ; il quitta Paris à la fin du printemps de l?année 1832.

Dans cette nouvelle carrière, Trélat s?est placé au premier rang. L?Auvergne le comptera au nombre de ses plus utiles civilisateurs.

Comme écrivain, et en dehors du journalisme, Trélat a publié plusieurs opuscules de philosophie médicale et de médecine, un grand nombre d?articles insérés dans le journal des progrès des sciences médicales et un traité d?hygiène, de concert avec le docteur Buchez8, et qui fait partie de la bibliothèque du 19e siècle.

Nommé défenseur pour les accusés d?avril, par le comité de défense, Trélat accepta avec empressement cette honorable mission. Repoussé comme n?étant pas [4.1]avocat, son nom se trouvait au bas de la lettre adressée par les défenseurs à leurs clients ; cette lettre ayant été dénoncée à la chambre des pairs par M. de Montebello , et incriminée, Trélat eût, avec Michel de Bourgesle courage d?en assumer la responsabilité, dévoûment dont il n?a été tenu aucun compte aux gérants légalement responsables, ni aux autres prétendus signataires. Nous ne retracerons pas sa belle défense devant la cour des pairs, il faut la lire ; nous rappellerons seulement que cette chambre l?a condamné à trois ans de prison et à 10,000 fr. d?amende. M. Trélat s?est constitué prisonnier le 26 juin dernier ; une souscription a été ouverte en sa faveur, et assurera le sort de sa jeune famille. Nous devons espérer que la France ne sera pas ingrate. Le citoyen Trélat fait honneur à l?humanité : la science et la liberté le réclament.

Trélat vient d?être transféré à Clairvaux.

Notes de base de page numériques:

1Louis-Napoléon Lannes, duc de Montebello (1801-1874), tôt rallié au régime de Juillet, partisan des lois de septembre 1835.
2Référence ici à Benjamin Constant et à François-Bernard Chauvelin (1766-1832), député de l?extrême-gauche sous la Restauration.
3Théophile Guillard de Kersausie (1798-1874), carbonaro, était associé en 1834-1835 à François-Vincent Raspail dans la publication du journal républicain Le Réformateur.
4Le général Jean-Baptiste Berton (1769-1822), à la tête du complot de Saumur, arrêté et guillotiné en octobre 1822.
5Bories, Pommier, Raoulx et Goubin étaient les quatre jeunes sergents de la Rochelle qui furent guillotinés en 1822 pour leur participation au complot de la Charbonnerie. Les autres noms cités, Berton, Caffé, Saugé, Jaglin avaient participé simultanément au complot de Saumur et furent eux-aussi exécutés.
6Félix Barthe et Joseph Merilhou (1769-1822), ancien carbonaro, à qui les républicains du début des années 1830 reprochaient leur ralliement au régime de Juillet.
7Le général Jean-Baptiste Berton (1769-1822), à la tête du complot de Saumur, arrêté et guillotiné en octobre 1822.
8Référence ici au Précis élémentaire d?hygiène publié par Trélat et Philippe-Joseph Buchez en 1825.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique